Au delà de la violence extrême du manque qu'il exprime, en dehors de la rupture de lignée causée par le statut d'orphelin du père, ce besoin désespéré d'être vu, reconnu comme semblable, d'avoir contact, avec un de ses parents, qui peut guider la construction du moi, sans être universel, ni général, ni peut-être très répandu, me semble avoir été éprouvé par beaucoup, avec plus ou moins de prégnance. Lui (ou elle, car, finalement, ce besoin de lignée va de fils à père, et de fille à mère, même si dans ce cas ce peut être refus) parmi tous ces blocs imposants auprès desquels on est un enfançon, «encore plus chétif que les hommes faits, lesquels sont minuscules, imperceptibles au regard des sommets», eux les adultes. La conscience que l'on a de leur faiblesse, et chez lui, le besoin, lui, petit, de protéger.
Et beaucoup ont pu connaître aussi le refuge, la violence évacuée, loin des yeux, sur les plantes, les arbres et puis l'impression de fraternité, d'union avec eux, même si tous n'en ont la possibilité ; ils leur trouvent alors des substituts, comme peut-être, plus tôt que chez lui où cela devient primordial, avec plaisir mais surtout acharnement, parce que c'est là que doivent se trouver les réponses, et qu'il faut les trouver pour devenir, être, la découverte des livres.
Et la navrance qui nous reste quand le contact se fait trop tard, même quand on a toujours su que la tendresse était là, réelle.
Mais, il y a surtout, qui est à lui, la force dans l'expression de ce désarroi, la richesse des images, la volonté dans la conquête du statut d'homme.
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Si ce n'avait été ce livre là, par ce matin d'automne, c'eût été le lendemain ou l'hiver suivant, un autre livre écrit par quelqu'un d'autre, peu importe qui. Quand ce qui a eu lieu était capable de balayer l'océan et les plaines, de souffler comme pailles au vent des millions dont le moindre se jugeait singulier, important, qu'est-ce donc, pour lui, pour ce qui se passe, s'est déjà passé, de laisser traîner un vieux livre sur une table au moment où s'amène un type qui se prend pour tout ce qu'on voudra sauf pour un type et conçoit très sérieusement de devenir un morceau de fer, un bout de bois ou rien du tout.
Ils étaient toujours occupés, même quand on ne leur voyait pas d'activité précise, qu'on avait la légèreté de croire qu'on ne fait rien quand on est assis dans un fauteuil, les yeux dans le vague alors qu'eux l'étaient. Ils mettaient un temps considérable pour détourner leurs pensées de choses qui devaient être extrêmement compliquées, ajustées au dixième de millimètre, comme des machines-outils, ou vastes, encombrantes comme des buffets à deux-corps avec des rosaces, des colonnettes, des sculptures en bas-relief et des garnitures en bronze,
Mon père parlait. J'entendais sa voix sourde, que le temps, l'opiniâtre lutte à mort que j'avais soutenue pour vivre avait contrebattue, raréfiée, annuïe. Ce qu'elle disait, qui surgissait entre nous, dans le rayon jaune, c'était vraiment les choses, le temps où nous avions été enfants, mon frère et moi, les années de bonheur qu'il avait eues avec nous après avoir connu l'inquiétude et le chagrin, essuyé les fureurs d'un monde naissant partout à lui-même.
La nuit avait fini par investir le bois. Je ne voyais plus ma main lorsque je la plaçais devant mes yeux. Je ne voyais plus rien. L'odeur d'humus s'épaississait. Le froid m'enveloppait d'une sorte d'écorce fine comme en ont les cerisiers, les bouleaux, mais sur trois côtés, seulement. Derrière, où l'on n'a pas d'yeux, de visage, régnait une confusion tiède. Je ne savais pas où commençait l'arbre, où il s'achevait. Il n'y avait rien d'inutile à dire, entendre ou entreprendre. J'avais le temps.
Cette semaine, Augustin Trapenard est allé à la rencontre de Pierre Bergounioux à l'occasion de la sortie en poche de son livre "Le Matin des origines" aux éditions Verdier. Ce merveilleux ouvrage célèbre l'ancrage profond dans ses racines, dans les terres du Quercy entre Lot et Corrèze, où l'auteur a grandi, dans la chaleur de la maison rose et au sein des paysages qui ont façonné son être. Ces souvenirs, imprégnés dans sa mémoire, représentent une part essentielle de son identité qui demeure là-bas. À travers ces pages, Pierre Bergounioux évoque avec justesse le lien puissant que la terre tisse avec nos souvenirs et nos émotions, révélant ainsi le pouvoir des lieux familiers pour donner du sens à notre passé et à nos moments les plus heureux.
Il était donc évident qu'Augustin Trapenard se déplace au coeur de cette histoire, sur les contreforts du plateau des Millevaches, dans sa maison de Corrèze pour un retour aux origines de la vie et de l'écriture.
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