Raoul Vaneigem

Entre travail et chômage, il n'existe plus que la distance d'un salaire à une allocation, si bien promis l'un et l'autre à une baisse constante que travailleurs et chômeurs se retrouvent désormais côte à côte sur la lampe de lancement des objets au rebut.
Les patrons s'enrichissaient du sur-travail. Devenus spéculateurs, ils s'enrichissent du chômage croissant.. Ils contraignaient jadis à produire pour survivre. Ils ont ensuite incité à se consumer pour consommer. Ils n'ont plus, pour prospérer aujourd'hui, qu'à propulser la pauvreté au-delà du seuil tolérable : vers une terre promise aux consolation de la mort.
Au reste, pourquoi les bénéficiaires du capitalisme financier se gêneraient-ils ? Légataires universels de l'escroquerie stalinienne et de l'escroquerie libérale, ils ne rencontrent autour d'eux que l'indignation résignée et les révoltes de l'impuissance qui ont, de tout temps, assuré le succès de la tradition oppressive.
Ne voit-on pas réélus chaque fois qu'ils promettent des emplois, ceux-là même qui ferment la plupart des usines, automatisent les autres au dépends de la main d’œuvre, tirent du chômage des dividendes en hausse et s'arrogent le droit d'appeler parasites les victimes du système parasitaire qu'ils instaurent ?

Il est pour le moins piquant d’encourir le reproche d’utopie de la part de politiques dont la carence mentale et imaginative a mené toutes les classes de la société à un désespoir que n’a cessé d’accroître l’absurdité de leur système de gestion.

Nombre d’opinions, hier encore acceptables, voire recommandables, sont, d’une génération à l’autre, happées par la désuétude. La plupart des polémiques à la mode ont déjà les relents d’une querelle de bouffons.

L'autorité instituée a toujours eu besoin, pour affermir sa tutelle de traiter les hommes en aveugle, incapables de se guider par eux‐mêmes, à tel point que, accoutumés à aller les yeux fermés où on leur enjoint de se rendre, ils craignent la lumière et réclament à leurs dépens plus de nuit et de brouillard, où ils puissent errer en s'insurgeant contre la dureté des temps. L'obscurantisme a toujours été le mode d'éclairage du pouvoir.

L'esprit tutélaire excelle à produire les conditions qui rendent nécessaire cette protection dont le système mafieux a le mieux exprimé la vérité pratique en faisant payer la sécurité au prix du péril qui la menace.

Les promoteurs de l'idéologie sécuritaire sont les mêmes qui propagent la délinquance, le meurtre, le viol, la violence en prônant le fétichisme de l'argent et en perpétuant des mœurs de prédateur, les mêmes qui en appellent à la répression d'une criminalité qu'ils encouragent. Pris en otage, parce qu'il aspire à la paix et est hanté par la peur de la perdre, le citoyen paie à la fois le prix de l'insécurité et la redevance d'un service de protection. Dans l'arène sociale du spectacle, où s'affrontent avec une égale cupidité les forces du bien et les puissances du mal, il faut que le combat continue puisque les deux camps y gagnent financièrement.

Le travail tend à n’être plus qu’une gestion de services bureaucratiques parasitaires, de management, comme dit la langue française, elle aussi astreinte à s’économiser. L’idée même d’un travail utile à la société laisse place à ce besoin factice que la rapacité capitaliste inculque comme modèle par excellence de l’efficacité universelle : gagner de l’argent.

Une société qui abolit tout aventure fait de son abolition la seule aventure possible.

L'obligation de produire aliène la passion de créer.

Que croissent et multiplient les terres affranchies de la tyrannie étatique et marchande !

Le laxisme n'est pas le souffle de la liberté, il est la respiration de la tyrannie.

L'entreprise scolaire n'a-t-elle pas obéi jusqu'à ce jour à une préoccupation dominante: améliorer les techniques de dressage afin que l'animal soit rentable?

Apprendre sans désir c'est désapprendre à désirer.

Mais il existe en ce monde des êtres qui résistent à la grande broyeuse du profit. Ils n’ont pas l’intention de se plier au destin funeste que la force des choses semble leur imposer. 

La dénonciation de l’intolérable n’a que trop tendance à s’assortir d’un constat d’impuissance qui, en dernier ressort, prête sournoisement à la barbarie un caractère inéluctable, voire paradoxalement attrayant.

Le rôle des médias : « Engranger l’insignifiant dans la mémoire des résignés. »

On ne me fera pas admettre que l’émancipation de la femme consiste à accéder à ce qui a rendu le mâle si souvent méprisable : le pouvoir, l’autorité, la cruauté guerrière et prédatrice. Une femme ministre, chef d’État, flic, affairiste ne vaut guère mieux.

Toute collectivité animée par la volonté de faire primer l’humain sur l’économie inaugure une terre d’où la barbarie est bannie, une terre que fertilise la joie de vivre.

N'attends rien, désire tout.

L’autogestion est le seul projet d’organisation sociale qui exclut toute forme de pouvoir et de structure hiérarchique.

Rien n’est plus sécurisant que les gens heureux, car jamais ils n’inclinent à la malfaisance.

La souffrance est celle d’êtres particuliers, elle est existentielle et n’a pas à être délayée dans cette identité ethnique, rituelle ou idéologique sous laquelle se dissimule la seule vérité concrète à laquelle un homme puisse s’identifier : sa part d’humanité. Juifs, Tziganes, Bosniaques ou Tutsis, il n’est pas d’hommes, de femmes, d’enfants, martyrisés au nom de quelque raison que ce soit, qui ne nous concernent universellement en tant qu’êtres de chair, non en tant que groupe, masse ou donnée numérique.