Citations de Raoul Vaneigem (275)
les gens sans imagination se lassent de l'importance conférée au loisirs, à ce qui détruit l'imagination. Cela signifie qu'on ne se lasse pas du confort, de la culture ou des loisirs, mais de l'usage qui en est fait et qui interdit précisément d'en jouir.
La haine consolide la chaîne des prédateurs. La vengeance, la loi du talion, l’effroi et l’exigence d’un châtiment continuent d’être les exorcismes auxquels se livre une justice qui balance entre un principe apparenté à celui du commerce équitable et la politique sécuritaire exaltée par le clientélisme des partis et des gouvernements.
Les ennemis de la vie disparaîtront dans les sentines de l’argent, qui se détruit en se dévorant et en excrétant son inutilité croissante.
Les armes d’une vie sans usage rouillent et s’enrayent ; apprenons à les employer en sorte que les armes qui tuent perdent leur efficacité.
Qui veut noyer son chien le prétend galeux. Le risque de contagion agit tel un argument massue, car la culpabilité a besoin de se répandre pour diluer son impureté dans une fétidité collective qui l’allège et la sanctifie. Quel sacrement, en effet, que la délation !
Quand il n’existe d’autre culte que l’argent, d’autre foi que l’arrivisme, d’autre loi que celle du marché, n’importe quel simulacre fournit un mobile à l’appétit de pouvoir et de lucre .
L’argument selon lequel nous ne pouvons attendre que le monde se réforme pour nous prémunir contre les criminels qu’il engendre, dissimule sous le principe d’urgence la nécessité de changer les mentalités et les conditions, de telle sorte que s’efface peu à peu la propension à nuire à la vie et à l’être humain. Partout l’impératif qui prescrit d’agir vite pour agir efficacement aboutit à des remèdes inopérants, voire pires que le mal.
L’humanisme consumériste a fait du confort une idée missionnaire. Il a surpassé l’efficacité du sabre et du goupillon en propageant dans les recoins les plus sombres du monde la gloire et la lumière des civilisations industrielles et boutiquières.
L’avidité des colonisateurs a toujours conforté son emprise sur les peuples vaincus en desserrant les tenailles de la violence pour les ouvrir à la ruse qui pacifie. À quoi bon verser le sang quand chacun s’avise qu’un moindre mal préserve d’une pire infortune ? La conquête écrase un peuple avec l’intention de le spolier, le commerce le relève afin qu’il se courbe de bon gré. Persécuter entretient le ferment de la rébellion.
La vie se perd là où s’accroît le confort de survie
On a les aveuglements qu'on mérite...
Compréhension n’implique pas tolérance. Analyser une barbarie n’a pas pour but de la cautionner ou d’en dresser passivement le constat.
Le mépris de l'homme pour la bête et pour l'arbre qu'il abat par goût du pouvoir et du profit est de la même essence inhumaine que le mépris de l'homme pour l'homme, en quoi réside la cruauté de toute exploitation.
Nous avons moins besoin des droits de l'homme, de la femme, de l'enfant, de l'animal, de l'environnement que d'une conscience du vivant, capable d'assurer partout sa souveraineté.
De l'adolescence à l'âge de la retraite, les cycles de vingt-quatre heures font succéder leur uniforme émiettement de vire brisée : fêlure du rythme figé, fêlure du temps-qui-est-de-l''argent, fêlure de la soumission aux chefs, fêlure de l'ennui, fêlure de la fatigue.
On demande à tous leur avis sur tous les détails, pour mieux leur interdire d'en avoir un sur la totalité.
J'ai fait mienne l'idée des aborigènes australiens que l'on compose et chante sa destinée chaque jour. Partout où le chant trace ses pistes au gré d'une improvisation désinvolte, naît un territoire où s'esquisse l'univers du désir.
Le développement de la consommation a permis, en touchant une plus large couche de population, d'absorber jusqu'à un certain point une quantité croissante de marchandises conçues moins pour leur usage pratique qu'à l'effet de rapporter de l'argent. La qualité d'un produit a été traitée avec d'autant plus de désinvolture que ce n'est pas elle qui déterminait le chiffre des ventes mais le mensonge publicitaire dont elle était habillée pour séduire le client.
C'est se condamner à ne s'atteindre jamais que de rechercher son identité dans une religion, une idéologie, une nationalité, une race, une culture, une tradition, un mythe, une image. S'identifier à ce que l'on possède en soi de plus vivant, cela seul émancipe.
Quand sera passé de mode le prétoire où sont jugés genre, transgenre, catégories érotiques, écriture économisée et prétendument inclusive (alors qu'elle réduit la femme à un suffixe de l'homme), peut-être l'intelligence du corps pourra-t-elle réfléchir au propos d'Empédocle: « car je fus, pendant un temps, garçon et fille, arbre et oiseau, et poisson perdu dans la mer. » (De la nature)