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Critiques de Raphaël Jerusalmy (265)
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La confrérie des chasseurs de livres

Livre étonnant que La confrérie des chasseurs de livres ? Pas tant que cela si l’on sait que Raphaël Jerusalmy, son auteur, né à Paris en 1954, s’est engagé dans les services de renseignements militaires de l’armée israélienne et surtout, qu’à la retraite, il s’est spécialisé dans les livres anciens.



En effet, La confrérie des chasseurs de livres est un hommage au livre et à sa diffusion souvent très difficile et très dangereuse, ainsi qu’à la Palestine historique que se disputent juifs, chrétiens, musulmans et à notre grand poète maudit : François Villon.

C’est lui que l’auteur fait revivre dans cette histoire une peu folle des idées contre les dogmes. Il rend la parole aux poètes, aux créateurs contre les profiteurs de tout poil, ceux qui détournent les plus belles idées à leur seul profit et exploitent leur prochain.

Quelle imagination ! Faire de François Villon un ambassadeur, un chercheur, un enquêteur, l’amant d’une jeune berbère et toujours un malicieux qui, accompagné de son complice Colin, un coquillard (1) comme lui, va jusqu’en Palestine. Là-bas, ils se retrouvent au cœur de toutes les hostilités possibles qui opposent juifs, mamelouks, prélats mais ils défendent les livres, les idées, la création contre l’Inquisition, la censure, les persécutions de toutes sortes.

C’est une belle fresque parfois un peu compliquée qui démarre dans un cachot parisien, sous le règne de Louis XI puis nous emmène donc au Moyen-Orient en passant par l’Italie où les Médicis et la papauté s’affrontent, faisant beaucoup de victimes collatérales.

Dans ce livre, j’ai particulièrement aimé faire plus ample connaissance avec François de Montcorbier, dit Villon. S’il est né en 1431, on sait seulement qu’il est mort après 1463 et j’ai tenté de suivre cette histoire un peu folle qui permet de comprendre tous les obstacles auxquels se sont heurtés les auteurs, les imprimeurs et les libraires. Les puissants que ces écrits dérangeaient, puisqu’ils instruisaient le peuple, n’hésitaient pas à censurer, incarcérer, torturer, exécuter sans oublier de brûler les livres, trésors inestimables perdus à tout jamais. Nous savons tous que de tels faits se sont produits et se produisent encore sous certaines dictatures.

Je ne sais pas si cette confrérie de chasseurs de livres a existé mais je pense qu’un peu partout en Europe, des passionnés ont pris d’énormes risques pour diffuser la pensée et j’ai apprécié que Raphaël Jerusalmy leur ait rendu hommage dans ce roman plein d’anecdotes et de rebondissements.



1. Coquillard : nom donné, au XVe siècle, aux mauvais garçons, voleurs, escrocs pouvant aller jusqu’à tuer pour parvenir à leurs fins. François Villon et Colin de Cayeux auraient fait partie d’une bande mais rien n’est vérifié.


Lien : http://notre-jardin-des-livr..
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Sauver Mozart

Le Festival de Salzbourg (Salzburger Festspiele) a été créé en 1918. Il s'agissait d'offrir un emploi d'été aux artistes de l'Opéra dans une Autriche affaiblie et appauvrie par la guerre. L'Autriche et Salzbourg en particulier qui deviennent après l'arrivée au pouvoir des nazis, le refuge d'artistes qui ne peuvent ou ne veulent plus apparaître en Allemagne, tels les musiciens juifs ou antifascistes. Mais les choses changent en 1938 quand l'Autriche est annexée à l'Allemagne...



Durant l'été 1939, Otto J. Steiner, un critique musical juif autrichien, se morfond dans un sanatorium de Salzbourg. La maladie tuberculeuse le ronge et la musique de ce monde désormais mené par les nazis le dégoûte au plus haut point. C'est pourquoi dans un baroud d'honneur, avant une fin qui semble maintenant si proche, il se met en tête de sauver Mozart ; au festival de Salzbourg de 1940, sensé glorifier le pouvoir d'Hitler, il fomente ce qui s'apparente à un attentat musical, franchement burlesque.



Un roman parfait. Pétillant d'intelligence et d'humour subversif Raphaël Jerusalmy dénonce, ce qui à mon sens est trop souvent occulté au profit d'autres considérations pour expliquer les exactions d'Hitler et de ses acolytes, l'inculture et la bêtise nazies.
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Des Sex Pistols à l'Intifada

« Francois-René de Chateaubriand nous a légué un charmant “Itinéraire de Paris à Jerusalem” via l'Anatolie, Rhodes et Jaffa.

Des Sex Pistols à l'Intifada, de la guerre du Liban à “Sauver Mozart”, voici le mien.”,

Jerusalmy nous présente son autobiographie qui vient d'être publiée.



Né à Paris, enfant précoce, à 15 ans le bac en poche, Raphaël nage vers l'âge adulte, coincé entre punks et rabbins. Mais il ne tardera pas à y retrouver "la sagesse", qu'il va compléter par " un acte émancipateur, un déracinement salutaire" en s'engageant dans l'armée d'Israel, le Tsahal. Entre-temps il termine Normal Sup, fait une virée en Californie pour écrire son mémoire, et tout ca terminé, ouvre une librairie d'anciens sous les arcades du Palais Royal. C'est en touriste, en dilettante, qu'il entreprendra TOUT dans la vie, le punk, Normal Sup, la librairie, le Tsahal.....Bon ben j'vais pas tout vous raconter, mais c'est que Rafi va vite, trés vite et on n'est qu'aux premières pages de son curriculum vitea 😁!



Jerusalmy dans une langue truculente, cynique raconte ,

Israël, ce pays qui semble avoir si bien tout construit et organisé, sauf une société, une société en chantier, et qui l'est toujours d'ailleurs,

Israël ce melting-pot où il est difficile de trouver des choses en commun entre les divers groupes ethniques , où personne n'est d'accord sur la définition de "Ce qu'être Juif veux dire ", mais heureusement il y a les autres pour les mettre tous dans un même panier,

Et surtout entré aux services de l'Intelligence militaire israélienne, nous livrer un tableau des égouts de l'humanité , la nourriture vitale des dits services secrets de par le Monde. Alors que nous discutons égalité, liberté, fraternité, honnêteté à la lumière , à l'ombre , c'est exactement le négatif en plein action aux commandes de notre Monde, “En bon israélien, j'allais vite me faire à l'idée que tous les coups sont permis, vite à voir les pots-de-vin changer de mains, les prostituées envahir la salle arrière des restaurants où se concluaient les affaires, les épouses de ministres de la Défense pointer du doigt une bague en diamant qui leur plait".

Ce qui sort des confessions de Jerusalmy, en tant qu'ex-officier du Mossad,est une vérité difficile à croire mais évidente , Israël investit énormément dans la recherche et l'application pour l'extermination de l'Autre, non seulement les Arabes mais tout genre de peuples ennemis de ceux à qui il vend le fruit de ses recherches et son expérience. Il y gagne beaucoup en espèces, vu les pots-de-vin versés, et autres. Des pays clients très très nombreux et surprise parmi eux les fameuses dictatures, La Thaïlande, les pays d'Amérique latine.......et surtout un gros client, Pinochet. Que dire, les victimes de la Shoah semblent un souvenir bien lointain, bien qu'ils le brandissent à chaque occasion, et que l'auteur y fait références dans son livre à l'occasion des visites des camps de concentrations. le résultat revient au même, seul change les méthodes et l'image des carnages est plus propre.

L'auteur lui-même se contredit souvent vu que avec sa logique et son bon sens lui dit ouvertement qu'il y a bien quelque chose qui cloche fort dans cette situation avec les Palestiniens, mais quand parlant à un vieux Palestinien qui a quitté sa maison à Safed en 1948, on lui demande s'il a pris la bonne décision à l'époque et voudrait y retourner et celui-ci répond, seule si je peux "la retrouver comme avant , sans voisin juifs autour", il émet le jugement "Haine du Juif"..... Qu'est-ce qu'il pensait, "si l'on te donnes une gifle sur la joue droite, tends l'autre joue "? Ca c'est seulement dans la Bible , dans la vraie vie ca ne fonctionne pas.



Un livre très intéressant sur un homme à multiples facettes et ses aventures de par le monde, de Paris à Tel-Aviv, de Gaza à Bogota, de la Suisse au Zaïre, dont la route croise Pinochet, Dick Chenney, le prince héritier de Thaïlande, et les enfants malades du génocide rwandais.....Très bien écrit avec beaucoup d'humour ( l'anecdote du prince héritier de Thaïlande en visite officielle en Israël est hilarante !), l'homme sait si bien parler des hommes, exprimer l'indicible et poser un regard intelligent et critique sur son propre pays, Israël.



"Nous n'avons pas droit à Israël....Notre droit à la terre n'a rien à à voir avec la terre. Ni le ciel. Rien à voir avec des frontières reconnues et des traités , mais si nous méritons ce pays ou pas. J'avoue que je l'ignore. J'écris ce livre pour tenter d'en juger."

" "Y a-t-il une ontologie par-delà le langage ?"



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La rose de Saragosse

Pour venger son confrère Pedro de Arbués, assassiné en pleine cathédrale de Saragosse en 1485, le Grand Inquisiteur Tomas de Torquemada organise un gigantesque autodafé où sont brûlés des centaines d’hérétiques. Sous son impulsion, l’Inquisition espagnole est en train d’acquérir une puissance sans précédent. Pourtant, à sa grande fureur, des placards subversifs à l’effigie d’une rose se mettent à apparaître sur les murs de la ville. Un homme s’y intéresse de près : Angel de la Cruz, indicateur motivé par l’appât du gain, mais aussi artiste à ses heures. Il va bientôt croiser la route de Léa, fille d’un noble converti, au caractère bien trempé, elle aussi très versée dans les livres et les gravures. Tous deux vont se défier, pour finir par tenter de sauver leur liberté et celle de leur art.





Avec pour toile de fond la rumeur sanglante des persécutions religieuses du 15ème siècle espagnol, cette histoire dessine un joli motif poétique autour de deux personnages engagés dans la préservation de ce qu’ils ont de plus cher : l’art, fenêtre sur l’âme humaine, et ici, vecteur de liberté, symbolisée par cette rose épineuse, fragile et irréductible, d’une beauté d’autant plus délicate qu’elle fleurit dans le décor brutal d’un obscurantisme aveugle et meurtrier.





De Pedro Gracia de Benavarre et Bartolomé Bermejo jusqu’à Botticelli, en passant par les ateliers des graveurs et le nouveau pouvoir qu’ils donnent aux images en les reproduisant et en les diffusant, ce récit admirablement construit entrelace savamment les allégories pour nous livrer une histoire d’une grande beauté, aux messages intemporels : un hommage à la liberté de penser et de créer, à la puissance de l’art capable de parler sans mots, si bien comprise par les despotes de tout poil qu’ils ont toujours tenté de la contrôler et de la réprimer. Coup de coeur.


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La rose de Saragosse

Très jolie infidélité à l'Histoire, La rose de Saragosse est un roman délicat comme une fleur. Raphael Jerusalmy s'inspire de l'assassinat en 1485 de l'inquisiteur Pedro de Arbués dans la cathédrale de Saragosse pour tisser son intrigue. Qui assassina l'inquisiteur provincial chargé de la traque des marranes dans le royaume d'Aragon? On soupçonna les grandes familles de la cité qui voyaient d'un mauvais oeil le pouvoir grandissant du Saint-Office. Pour venger la mort de Pedro de Arbués, Torquemada mit en place à Saragosse un important autodafé au cours duquel on brûla des centaines d'hérétiques.

Raphaël Jerusalmy ne s'intéresse pas à l'identité des assassins de l'inquisiteur, mais à des placards collés le long des façades de la ville représentant le cadavre écorché de l'homme d'église. Le placard est signé d'une rose épineuse. Scandalisé par cette oeuvre subversive qui nargue l'Inquisition, Torquemada lance ses tueurs et ses mouchards sur la trace du mystérieux et talentueux graveur.

La rose est une allégorie de la résistance à l'obscurantisme religieux. Jerusalmy dépeint avec finesse la montée en puissance de l'Inquisition. D'abord réticente, une partie de la population de Saragosse finit par se plier à cette institution qui étend son pouvoir sur tout le territoire, gangrène le royaume d'Aragon, aidé en cela par l'assassinat de Pedro de Arbués, puis quelques années plus tard par le meurtre supposé du Santo Niño de la Guardia. Le décret de l'Alhambra de 1492, qui entraîne l'expulsion des juifs d'Espagne, achève la christianisation de la péninsule et l'unification des Espagne Médiévales.

Comment résister pendant sept ans aux tribunaux religieux, aux autodafés, aux bûchers, à la chape de plomb de l'obscurantisme, ? Deux figures se détachent, deux personnalités ô combien distinctes et pourtant si emblématiques de la société de l'époque, unies par l'amour de l'art.

Angel Maria de la Cruz y Alta Mesa, dont le patronyme n'est pas garant de privilèges, est le cadet d'une famille de la petite noblesse. Pauvre, méprisé, contraint de frayer avec la populace pour survivre, il ne sait pas encore qu'il est l'homme de la future Espagne. Car il est vieux chrétien et demain la pureté de son sang lui ouvrira toutes les portes. Léa de Montesa, quant à elle, est fille de conversos. Eduquée, cultivée, raffinée, elle est espèce négligeable, contrainte de taire ses capacités intellectuelles et ses dons naturels. « Elle n'est pas un homme. Sa sédition commence par là. En jouant du burin, elle ne défie pas uniquement la gent masculine. Elle menace les autres femmes qui se débrouillent très bien autrement, trichant, à la manière des artistes pour tromper la vigilance des pères et des maris. Léa s'insurge et se cabre d'une façon qui ne sied certainement pas à une demoiselle de la ville haute et que même ses servantes la voient d'un mauvais oeil car elles ne lui pardonnent pas son courage. Et puis, il ne faut pas oublier qu'elle n'est pas vraiment chrétienne. Ni Espagnole. Comme les roses de son patio, elle est greffée sur un plant qui n'est pas le sien. Et a beaucoup d'épines. »

Angel et Léa sont deux esprits libres, deux amoureux du beau, deux esthètes broyés par le fanatisme religieux. En faisant de l'art un outil de subversion, Raphaël Jerusalmy nous offre de très belles pages aussi délicates que la machine de répression est brutale. L'Homme aux yeux gris de Petru Dumitriu, s'ouvrait sur les mésaventures d'un converso fuyant Tolède, puis l'Espagne et se terminait dans l'atelier du Titien. La rose de Saragosse commence en Aragon et se termine avec Botticelli, comme si finalement la seule façon de survivre à la répression résidait dans l'exil, et dans le goût des belles choses.
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Évacuation

Tel-Aviv, évacué,sous menace de guerre,

Saba, un grand-père qui lit Beckett et Joyce,

"Molloy" sous son bras il refuse de partir et résiste à Naor son petit fils et Yael la petite amie de ce dernier qui viennent le chercher,

Les voici coincés, tous les trois, dans une ville désertée où l'attaque a débuté.

"Nous évoluions comme dans un rêve.

Des panneaux publicitaires étaient restés allumés. Celui de la dernière Mazda fonçant à travers l'Arizona. Une promotion d'El al pour un vol direct Tel-Aviv-Colombo. Valable jusqu'à la fin du mois. Une pub de la Phénix, “la meilleure assurance vie”."



Un récit en deux temps,

L'épisode des trois, coincés dans un appart squatté de la ville évacuée est

racontée par Naor à sa mère durant un road movie à deux, à travers le pays, du Kibboutz Ein Harod à Tel-Aviv, un voyage symbolique dont l'issu ne sera connu qu'à la fin.....

Récit aéré de panneaux routiers , symbols d'un pays pas comme les autres....



Vous pensez sûrement à un récit apocalyptique, qui donne mal au coeur, mais

c'est sans compter sur l'humour caustique de Jerusalmy, qui nous déroule les quatre cent coups que font les trois compères afin de survivre, self service à volonté,dans un Tel-Aviv hors des circuits touristiques.....Naor, étudiant en cinéma les filme avec les moyens de bord, son smartphone. Au bout d'un moment tout les repères changent puis disparaissent, ne compte plus que l'instant que l'on vit, et le récit devient de plus en plus loufoque, jusqu'à.......



Une métaphore générale de la vie en Israel,-"Tel-Aviv est faite pour le présent. Exclusivement. le lendemain y a toujours été incertain......N'était-ce pas pour cela que nous avions refusé d'évacuer ? Ne pas nous laisser catapulter vers l'avenir."-,

Agrémentée,de réflexions politiques,-"Il a dit que ça ne faisait de mal à personne de se prendre un coup de pied aux fesses de temps à autre. Et que nous, les Israéliens, en avions fort besoin. Parce que nous nous étions enlisés dans un statu quo. Non pas seulement avec les Palestiniens. Ce qui était certes regrettable. Mais aussi et surtout avec nous-mêmes. Ce qui était bien pire."-



Un court récit intéressant qui porte le lourd héritage d'Israel dans une prose légère, avec un zeste d'humour qui relève le tragique.



Merci Mollymoon.







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Sauver Mozart

Sauver Mozart est un récit très fort, qui marque nos consciences et nous interroge sur la résistance de l'homme face à la barbarie,

J'ai choisi de lire ce livre sans connaissance de son contenu, simplement en lisant son titre qui m'a touché car j'aime infiniment la musique de Mozart et particulièrement son concerto pour piano numéro 23.

Ce récit nous plonge dans le début de la seconde guerre mondiale, en Autriche, à Salzbourg, au cœur même de ce festival qui a fait sa réputation.

Un homme, un critique musical se meurt peu à peu dans un sanatorium, la seule chose qui l'aide à survivre, c'est la musique, la musique de Mozart et l'écriture d'un journal qu'il destine à son fils qui vit en Israël.

Car, Otton Steiner, est juif mais comme tant d'autres, il ne sait pas ce qu'il est vraiment.

"Je n'ai jamais suivi aucun mouvement. C'est cela que m'a légué mon père, bien malgré lui, la non-appartenance. Je ne suis ni juif, ni non-juif."

Ce qui l'aide à vivre ses derniers mois, c'est de pouvoir se rendre au festival de Salzbourg et par un astucieux pied de nez à des hommes incultes, il réussit à faire jouer à un musicien un air de musique yiddish en le faisant passer pour du Mozart.

Sa manière très émouvante de résister.

Un petit livre, je le disais qui marque, retient notre esprit.

Je laisse le dernier mot à Raphaël Jerusalmy.



"Le Talmud dit que celui qui sauve une âme, c'est comme s'il avait sauvé le monde"

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In Absentia

Comme c'est le cas pour les romans de Don DeLillo, Carlo Lucarelli, Hervé le Corre, j'achète toujours le dernier Jerusalmy sans en connaître le thème, et sans avoir lu d'article qui lui serait consacré. Quelque soit le sujet, je sais que je vais apprécier la précision de sa plume, et la concision de son style au service d'une histoire qui m'emmènera dans l'Espagne médiévale, avec François Villon ou à Tel-Aviv. Ancien élève de l'E.N.S, ancien officier du renseignement, négociant en livres anciens, cet homme est un couteau suisse, et peut nous transporter sous toutes les latitudes et à toutes les époques.



Avec In Absentia, je ne m'attendais pas à être conduite sans ménagement entre les murs de Natzweiler-Struthof, seul camp de concentration nazi implanté France, en Alsace annexée. Sans préambule, Jerusalmy nous jette dans la fosse aux lions: « Tu gardes les yeux fixés sur ses bottes noires. Elles sentent bon le cuir. Tu prononces les chiffres de ton matricule, un à un, en allemand. La bise venue des collines te glace la nuque. Surtout, ne pas lever la tête. »

Le déporté Pierre Delmain, écrivain et résistant communiste, est chargé d'achever les prisonniers désormais impropres aux expériences scientifiques des « médecins » du Struthof. Passé maître dans l'art d'abréger leur souffrance avec empathie, Delmain pratique une sorte de dissociation pour échapper à la réalité. Il s'évade du camp par l'esprit, et rêve. Lorsqu'un prêtre cistercien, littéralement supplicié par l'un des médecins, le compare à un Hospitalier qui soignait les pèlerins en Terre Sainte, Delmain vaque à ses affreuses besognes et trompe la faim en s'imaginant voyager des châteaux français jusqu'au Mont Carmel.

Saül Berstein quant à lui, est un esthète, un collectionneur parisien nullement inquiet de la montée du nazisme. Homosexuel et juif, il fuit la réalité de l'Occupation grâce à l'art et à l'abus de mescaline. Mais la vie n'a que faire de la Coupole, de Picabia, et du musée de Cluny. Arrêté, interné à Drancy, déporté à Auschwitz, son parcours le conduit jusqu'à Delmain, et à l'épouvantable anatomiste August Hirt .



In Absentia est le récit d'une rencontre entre deux hommes, et d'un geste, dans un lieu cauchemardesque, avec en toile de fond la collection de squelettes juifs du professeur Hirt, qui voulut créer une représentation anthropologique de la « judéité ».

Je n'aime pas lire les romans sur les camps, exceptés ceux écrits par des auteurs qui ont vécu l'expérience concentrationnaire (Levi, Semprún, Bialot…) ou qui en ont été les témoins directs (Behm, Meyer Levin…). Raphaël Jerusalmy m'a fait changer d'avis. Sans emphase, avec justesse, pudeur, et beaucoup d'humanité, il nous offre un beau roman, dans la brume électrique avec les déportés, pour paraphraser James Lee Burke. Le lecteur se perd d'un univers à l'autre, d'un homme à l'autre, de la réalité la plus triviale, au rêve le plus enchanteur, bringuebalé par Raphaël Jerusalmy qui entretient la confusion, faisant de nous des acteurs et des témoins de la précarité des vies et de la fragilité d'une humanité plus que ténue. Oppressant, mais nécessaire.

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Sauver Mozart

"Sauver Mozart"est un petit livre d'une grande humanité. Alors que la seconde guerre mondiale se met en marche,Otto Steiner vit ses derniers mois dans un sanatorium de Salzbourg.La tuberculose fait son oeuvre et notre personnage semble rechercher un moyen de quitter ce monde dans lequel il n'a plus sa place .

Est-il juif?lui même ne le sait pas vraiment,son père ayant toujours tenu la religion loin de ses pensées,mais,le nazisme se fait pressant...

Au sanatorium,il tient un journal et révèle bien des choses qui pourraient lui valoir de sérieux ennuis.Ce journal,il nous le livre.Le ton y est léger ou grave,sérieux ou insouciant,drôle ou désespéré,mais d'une profondeur exceptionnelle.

Et c'est là qu'il va nous présenter son ultime projet,son ultime combat,son ultime victoire sur l'ignorance et la barbarie:assister au Festspiele et y sauver Mozart au nez et à la barbe d'Hitler et de ses soldats,Sauver Mozart,c'est sans doute sauver bien plus,faire un pied de nez aux soi-disant représentants d'une" race"qui se voulait supérieure.

Ce petit livre est extraordinaire.Les mots y sont parsemés avec une force et une puissance remarquables,au service d'une réflexion profonde sur la pire face de la nature humaine.

Je ne l'ai pas choisi,mon libraire me l'a offert car j'avais acheté deux ouvrages de la même collection.J'ai adoré. Heureux hasard ou compétence ?Je penche sans hésiter sur la seconde option.Merci,N.......Quel bonheur que d'avoir un si bon libraire et conseiller.!!!
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Sauver Mozart

Même reclus dans un sanatorium de Salzbourg, Otto Steiner, « autrichien de confession phtisique » et critique musical, veut sauver Mozart ! Oui, Mozart, rien de moins ! En effet, au « Festspiele » annuel de l’été 1940, à cause des nazis en place, Mozart va se retrouver calé entre des grosses productions, lui, si « fluide », si « léger » au risque d’être complètement écrasé. Et l’exécution de ses œuvres elles-mêmes sera de toute façon « massacrée », « exécutée » au sens premier du terme. Que peut-on attendre en effet de musiciens de l’armée et d’un public composé essentiellement de militaires, « uniformes de parade trop amidonnés », de « SS qui se pavanent au balcon » et aussi de « bourgeois en frac, de jeunes aristocrates vêtus à la Gatsby avec leurs poupoules, de vieilles comtesses qui ronflent, de maîtres d’académie à bésicles, et de toute cette racaille austro-hongroise qui, bien que huppée à outrance, sent encore la Forêt-Noire » ?



Otto Steiner va donc se charger de sauver Mozart...et aussi de faire une méchante petite farce à tous ces nazis, coup de théâtre et clou du roman ! Difficile, pourtant, quand on doit se battre soi-même avec la maladie, avec la nourriture peu ragoûtante et de plus en plus rare, avec la promiscuité honteuse et puante. La tranquillité d’esprit, la jouissance musicale, le repos, la liberté d’expression, ne sont plus que rêves et regrets.



A coup de petites phrases lucides et assassines, notre narrateur Otto livre ses pensées intimes dans son journal. C’est marrant, c’est insolent, c’est intelligent, c’est brillant, c’est pétillant.

Combien de fois ai-je opiné ! Combien de fois ai-je souri, et même ri ! Oui, j’ai adhéré totalement à la manière de penser d’Otto, je me suis amusée, et c’est le comble puisque nous entrons avec ce roman dans la période noire du nazisme...



Sauver Mozart ? Raphaël Jerusalmy y est arrivé, et si vous le lisez, vous aussi serez sauvés de l’ennui, de la déprime, de la bêtise.

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Sauver Mozart

Une petite pépite que je n'aurais jamais lue si elle ne m'avait été offerte pour l'achat de deux livres de la collection Babel. Je suis mélomane mais pas musicienne alors un livre qui veut sauver Mozart oui certes pourquoi pas ? Allons voir un peu de quoi il retourne...



Il s'agit du journal d'Otto J. Steiner, autrichien, journaliste passionné de musique, juif et tuberculeux vivant dans un sanatorium de Salzbourg. Ça fait beaucoup pour un seul homme surtout lorsqu'on est en 1939.

Au fil des pages et de l'année écoulée (juillet 1939 – août 1940), Otto dont la famille n'était guère pratiquante et qui ne se sent pas particulièrement juif, prend conscience de faire partie de quelque chose de beaucoup plus grand que lui. Il comprend que chaque juif est en danger de mort, il pense à tous les gens qu'il a connu et qui sont censés avoir quitté l'Autriche, ont-il réussi à échapper à l'implacable où se sont-ils retrouvés dans un convoi spécial ? Il se souvient des rituels juifs auxquels il a parfois assisté sans y prêter attention. Et quelle est cette étrange petite chanson que fredonne sans cesse son voisin de lit ? Ainsi, tout en finesse grâce à l'écriture parfaite de Raphaël Jerusalmy, l'héritage identitaire d'Otto refait lentement surface.

Parallèlement, Otto aide son ami Hans à rédiger les textes et choisir les morceaux de l'annuel "Festspiele" de Salzbourg. Son plus grand combat, hormis la tuberculose, c'est la musique, la brutalité et l'absence de finesse des nazis en matière d'art est une véritable torture pour lui. Otto est une force de la nature, Otto a du caractère, Otto est un résistant. Comment peut-on devenir un résistant lorsqu'on est un phtisique coincé dans un sanatorium autrichien ? Apparemment c'est impossible, et pourtant Otto part en croisade, une croisade contre la grossièreté nazie, une croisade certes un peu décalée quand on pense à l'ampleur de la tragédie méthodiquement exécutée par les nazis mais une belle, une magnifique croisade. Alors Otto qui dit de lui-même "Je n'ai jamais suivi aucun mouvement. C'est cela que m'a légué mon père, bien malgré lui, la non-appartenance. Je ne suis ni juif, ni non juif. Un peu par sa faute.", pourra-t-il sauver Mozart et réussir ainsi un acte de résistance autant qu'un acte d'appartenance ?



Belle surprise, ce petit roman de 150 pages est un concentré de fantaisie et d'humour grinçant, dénonçant l'horreur nazie sous un angle complètement original et vraiment très agréable à lire.

Riche idée donc que ce cadeau fait aux lecteurs car il permet de découvrir des auteurs qu'on n'aurait peut-être pas approchés sans cela et dans le cas présent cela aurait été fort dommage. Je compte bien d'ailleurs découvrir d'autres œuvres de Raphaël Jerusalmy que j'ai trouvé vraiment excellent.
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Sauver Mozart

Un ouvrage romanesque d’une forme très subtile. Le journal personnel et secret tenu par un homme dans la dernière année de sa vie, avant que la maladie incurable dont il souffre ne l’emporte. Des phrases brèves ajustées au manque de souffle. Certains jours, juste quelques mots lâchés, sans verbe, lors des courtes pauses consenties par la douleur, la fatigue et la difficulté à respirer.



Le journal d’Otto J. Steiner n’est pas autobiographique. L’auteur, Raphaël Jerusalmy, se porte bien, du moins je lui souhaite. Né en France, normalien, il est aujourd’hui établi à Tel Aviv après avoir fait carrière dans les services de renseignement de Tsahal. Sauver Mozart, son premier roman publié en 2012, est le journal d’un personnage fictif dans un contexte historique.



Salzbourg, juillet 1939. Le Festspiele, le fameux festival d’opéra, de théâtre et de musique classique, bat son plein avant d’être écourté. Une décision soudaine venue d’en haut. Personne ne se hasarde à protester : depuis un peu plus d’un an, l’Autriche est annexée à l’Allemagne nazie. Personne ne se manifeste non plus quelques mois plus tard, quand les autorités nazies proclament leur volonté de faire du Festspiele de 1940 une démonstration éclatante du rayonnement culturel du Reich.



Les Nazis au pouvoir ont imposé leurs lois antijuives, accueillies avec enthousiasme par une partie de la population. On ne voit quasiment plus de Juifs à Salzbourg, ni ailleurs en Autriche. Ceux qui n’ont pas quitté à temps le pays ont été persécutés, spoliés, déportés. Quelques-uns survivent ; en dissimulant leur judaïsme.



C’est le cas d’Otto Steiner. Au fond de lui, il sait bien qu’il est juif, mais il préfère se convaincre qu’il ne l’est pas. Ou presque pas, l’essentiel étant de ne pas susciter le doute autour de lui. Question de survie.



Il faut dire que la survie d’Otto Steiner est sujette à d’autres contingences. La tuberculose dont il souffre a atteint un stade très avancé. Pronostic vital engagé, dirait-on de nos jours. Très affaibli, il est hospitalisé dans un sanatorium de Salzbourg. Le quotidien y est sinistre. Les locaux sont sordides, les repas rationnés, les soins illusoires, les conditions hygiéniques précaires. La promiscuité avec les mourants est angoissante, désespérante, avilissante. Et tout va se dégrader, à mesure que s’affirme la volonté de dédier en priorité les établissements de soins aux soldats blessés au front. Chez les Nazis, on n’aime pas trop les malades. Ce sont des parasites encombrants. Des intouchables.



Au travers des propos très laconiques de son journal, on comprend qu’Otto Steiner est un grand mélomane. Il a même été un spécialiste reconnu de la musique. Il connaît par cœur les partitions des œuvres majeures, ainsi que les paroles des grands opéras allemands et italiens. Malgré sa maladie et ses origines … hum ! …, on vient le voir discrètement pour avoir son avis sur le programme des concerts du festival à venir et pour en rédiger les brochures de présentation. On le sollicite aussi pour l’accompagnement musical d’un événement politique majeur, la rencontre au sommet – dans tous les sens du terme – du Führer et du Duce au col du Brenner en mars 1940. Une occasion qu’Otto Steiner aurait bien mise à profit pour tuer Hitler ! Mais c’était plus facile à dire qu’à faire !



Steiner est particulièrement amateur de l’œuvre de Mozart, dont on sait, bien sûr, qu’il est la personnalité emblématique de Salzbourg, et dont les œuvres occupent toujours une place de choix dans le programme du Festspiele.



Dans un premier temps, Steiner, abattu, ne critique pas la programmation qu’on lui dévoile et qu’il juge stupide. Il rédige ses textes en caricaturant discrètement la pompe nazie. Il va s’enhardir peu à peu, indigné d’apprendre qu’une œuvre d’un compositeur lieutenant de SS est programmée juste avant un concerto de Mozart. Il concoctera alors une petite surprise savoureuse pour le public et les dignitaires nazis assistant au concert.



Avant de tirer sa révérence en paix quelques jours plus tard.


Lien : http://cavamieuxenlecrivant...
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La rose de Saragosse

Voici un roman historique lumineux, porté par un récit mystérieux à l'écriture dense , à la fois épurée, subtile et elliptique, traversée par des portraits forts et simples, comme sait le faire l'auteur , dont j'avais lu avec bonheur "Sauver Mozart "en 2014.

Il tisse son récit de petites phrases à la fois puissantes et économes.

Nous sommes à l'automne 1485, à Saragosse , quand l'inquisition fait régner la terreur en Espagne...

Aprés le meurtre d'un prélat, membre de cette juridiction, le pére Arbués, dans la cathédrale de Saragosse, c'est le dominicain Torquemada qui est investi par le roi du titre de grand inquisiteur.



Qui est l'assassin ?

L'enquête se tourne vers les juifs convertis," naturellement" suspects , l'auteur se concentre entre deux personnages: Léa , la fille d'un riche converti , indépendante , espiègle et raffinée, élevée dans l'amour des livres et de l'art.Son pére , Menassé de Montesa, est un collectionneur précieux de gravures et de livres , possesseur d'une importante bibliothéque , avec un penchant pour les volumes mis à l'index et Angel de la Cruz, noble déchu, hidalgo en guenilles mouchard, indicateur de l'inquisition ,habitué aux moqueries ....mais artiste lui- même, toujours flanqué de son molosse impressionnant : Cerbero....

En même temps , une série de gravures satiriques --- infâme placard signé d'une rose épineuse placée en marge, telle une provocation, ------sont affichées dans toute la ville, en signe de résistance, au sein de ce royaume d'Aragon, autrefois béni, où vivaient ensemble chrétiens et Maures, juifs et païens , terre de liberté , peuple pugnace si jaloux, de son indépendance , tombé, hélas ! sous le joug d'une poignée de dominicains ....

"À quoi diable reconnaît- on un homme libre " ?

C'est un ouvrage mêlant religion et histoire , mais surtout l'art de la gravure, cousine de l'écriture, " Les graveurs , la plupart sont d'ailleurs anonymes . De simples faiseurs d'images....

Sous des apparences de naïveté dissimulent une acuité redoutable" ..." Cette alchimie des alliages , ce sortilège des pointeaux et des burins qui font surgir des images hors du néant ...." La gravure est l'art des rebelles...."

A l'aide d'une plume défiant les temps obscurs qu'elle évoque,retenue et sobre, l'auteur place l'art au coeur de ce roman , parmi les faux semblants , les non- dits, où chacun joue sa peau et porte un secret....

Une lecture à la fois vive et enrichissante, évocatrice où le mystère, l'art de la séduction et l'aventure exaltent la conquête de la liberté ....

La première de couverture est colorée et lumineuse .

Aux éditions Actes Sud .
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La rose de Saragosse

Pour une première rencontre avec Raphaël Jerusalmy, j’ai lu « La rose de Saragosse » un roman passionnant mêlant histoire, art et religion dans une époque tourmentée, celle de l’Inquisition espagnole.

Nous sommes en 1485. L’inquisiteur de Saragosse, Pedro de Arbuès, vient d’être assassiné au cœur même de la grande cathédrale. Ce crime va renforcer le pouvoir du Grand Inquisiteur Torquemada. Son arrivée sur place marque le début de persécutions accrues contre les Juifs et les conversos, ces Juifs convertis au christianisme. Angel de la Cruz, hidalgo au visage balafré profite de ces évènements pour gagner de l’argent en tant que « familier », Indic à la solde du plus offrant, suivi de près par un chien errant, cet homme frustre est aussi un artiste. Sa rencontre avec Léa de Montesa, fille d’un noble converti, élevée dans l’amour des livres et de l’art, va bouleverser sa vie. Ces deux personnages vont se défier, se rechercher, jouer de leur art pour se protéger et conquérir leur liberté.



Au-delà des personnages, au-delà de l’histoire, c’est l’art qui est au cœur de ce roman et surtout la gravure. L’art est donc une arme et ce n’est pas pour rien que tous les gouvernements cherchant à dominer une société s’attaquent en premier lieu à la liberté d’expression, aux journalistes mais aussi aux artistes. Les artistes sont aussi bien pourchassés que courtisés pour les politiques ou les religions. La rose de Saragosse est donc un hymne à la liberté artistique mais aussi un rappel à l’ordre : veillons sur nos artistes



À l’instar d’un graveur, Raphaël Jérusalmy trace à coup de stylet les personnages aussi complexes qu’attachants: Léa de Montesa, Angel de la Cruz, Yehuda Cuheno ou encore Torquemada sont décrits autant par les mots que par les blancs qui les entourent. Il y a un certain mystère sur ces pages et c’est aussi ce qui m’a séduite. J’ai aimé les non-dits, comme un trait de dessin à peine appuyé pour faire ressortir l’élément principal.

J’ai aimé ce roman finement ciselé par la plume élégante de Raphaël Jerusalmy.

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Sauver Mozart

Actes Sud a le don pour nous faire découvrir des romans courts et percutants qu'on oublie pas de sitôt. Celui-ci, de la veine d' Inconnu à cette adresse (même sobriété de ton, même cruauté dans la simple description des faits, même humour rageur), a choisi en plus la forme poignante d'un journal tenu par un vieil homme.



Otto Steiner, ancien musicien et critique musical d’origine juive, végète dans un hospice à Salzbourg où sa tuberculose l’a condamné. Seul l'amour de la musique le tient en vie dans cet endroit sinistre. Il décide de tenir son journal car ce qu'il voit l'attriste ou l'effare, c'est selon. Car nous sommes en 1939 et les nazis qui ont fait main basse sur l'Autriche, s'insinuent dans l'organisation du festival Mozart qui se prépare. Avec d'abord beaucoup de détachement, puis de mépris, puis d'horreur, Steiner voit l'emprise du national-socialisme sur l'esprit de cette rencontre musicale. Alors, profitant de la demande qui lui est faite par le directeur du festival de l'aider ponctuellement, Steiner va concevoir un attentat musical...



Impossible de vous en dire plus sans dégoupiller ce roman de petit calibre dont le final, grandiose, nous explose à la figure. Sachez que cet homme, libre de toute attache, sans illusions mais pas sans principes, va nous prouver que résister peut se manifester à tous les niveaux et à toutes les époques. C’est touchant, cruel, drôle et d’une grande justesse. Un premier roman saisissant et d'une grande noblesse d'âme dont l’originalité, dans la forme, le ton et surtout dans l’histoire, ne laisse pas insensible …. Quelques heures de pur bonheur littéraire.

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Sauver Mozart

C’est l’histoire d’un « attentat musical » ou comment un homme, d’origine juive et tuberculeux réussira dans une Autriche déjà nazie, à sauver une part d’humanité. Non non, ne fuyez pas ! Car si le sujet semble aride il y a du plaisir à suivre ce héros « malgré lui » au fil des pages. Face à l’effondrement du monde et avec une idée aussi insolite que forte, il préservera l’essentiel pour lui : la culture.



Le narrateur, critique musical, est un mozartien adepte du festival de Salzbourg. Son journal d’une année, du 7 juillet 1939 au 2 août 1940, en forme de vignettes de vies et de lettres adressées au fils est la trame du récit. Cette année cruciale dans l’histoire, il la passe exclu du monde en sanatorium. Si la maladie lui ronge le corps, elle laisse place à une judaïté jusqu’alors tenue à distance. Otto J. Steiner se savait Juif mais ne le ressentait pas vraiment. Nazisme et génocide en mettant à bas toute dignité, lui assignent un destin, une identité. Otto combattra le monstre avec son arme, la musique. Bien sûr, il ne fera pas barrage au monstre et à sa marche. Mais il se sera dressé, donnant voix humaine contre l’inhumanité.



Dans ces lignes, pas de pathos, pas de voyeurisme des corps malades, pas d’effets lyriques, ni grandiloquents. Une chronique au fil des jours qui soulève une interrogation philosophique souvent posée, « la culture peut-elle sauver le monde » ? Mais l’auteur pose la question à hauteur d’individu, à notre portée en somme.

Une écriture sobre pour ce bref premier roman dont la lecture est un pur moment de bonheur.
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Les obus jouaient à pigeon-vole

Attirée par la photo d'Apollinaire, avec son bandage autour de la tête, j'ai aussitôt saisi le livre, dont je ne connaissais l'auteur que de nom.



Tout ce qui se rapporte à mon poète préféré me passionne, et j'ai beaucoup apprécié cette lecture. L'auteur imagine , dans ce court roman, les derniers moments, en fait les deux derniers jours d'Apollinaire sur le front, durant la première guerre mondiale, avant qu'il soit atteint par un éclat d'obus. C'est-à-dire le 16 et le 17 mars 1916.On sait qu'il a été ensuite trépané, et qu'affaibli par cette terrible blessure à la tempe, il succombera à la grippe espagnole , en 1918.



L'auteur a choisi d'adopter un rythme rapide, les phrases sont courtes, souvent nominales et cela s'harmonise bien avec le découpage des chapitres, brefs aussi, qui se présentent comme un compte à rebours jusqu'à l'instant fatal, ponctués par des citations de vers du poète.



Le style m'a plu, mots lapidaires et saisissants de réalisme et de lyrisme à la fois. Les compagnons de guerre sont décrits avec tendresse, l'atmosphère d'ennui et de peur bien rendue. Cointreau-whisky - surnom du poète- est rêvé par l'auteur, certes, c'est sa vision, mais je trouve qu'elle s'approche de la réalité, d'ailleurs la bibliographie citée à la fin montre qu'il s'est beaucoup documenté sur cette période de la vie d'Apollinaire.



On imagine bien le poète, en train d'écrire fébrilement des lettres, du fond de sa tranchée, porté par sa passion des mots, de la vie, et c'est d'ailleurs au moment où il griffonne quelques vers sur la revue " le Mercure de France" qu'il sera blessé ...



" Hommes de l'avenir, souvenez-vous de moi", écrivait-il . Oui, cher Guillaume, nous te gardons précieusement dans notre coeur...





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La confrérie des chasseurs de livres

Mon premier est un titre aguicheur pour les bibliomanes que nous sommes

Mon deuxième est un immense poète, mauvais garçon, ayant vécu au temps de Louis XI, et dont on perd la trace après que la peine capitale prononcée à son encontre eût été commuée par le roi en bannissement.

Mon troisième est une maison d'édition tout ce qu'il y a de plus respectable

Mon quatrième est un auteur dont le CV, impressionnant, ressemble par certains côtés à celui de Villon.

Mon cinquième est une babeliote en vacances

Mon sixième est une libraire ordinairement de bon conseil

Mon tout est une sortie de lecture au bout de quelques dizaines de pages, en plusieurs soirées quand même..

Pourquoi, mais pourquoi, me désolais-je, ne puis-je trouver de qualités à ce livre, malgré tous les ingrédients savamment dosés dont il est l'aboutissement? Pourquoi de la bonne camelote assemblée par un homme du sérail laisse -t-elle pour finir une telle impression de fadeur? Pourquoi le moindre roman policier bien ficelé me tient-il éveillée alors que cette oeuvre a priori ambitieuse, para- universitaire, pimentée d'une certaine force évocatrice (ah le replâtrage des caries de Villon par un méchant barbier..)

me laisse de marbre ?J'ai cru trouver la raison, qui est je pense d'ordre stylistique. Ce livre n'est absolument pas passionnant, car les mots, tout savamment choisis qu'ils sont, ne disent rien d'autre que ce qu'ils disent.

On ne trouve cette platitude que sur les emballages alimentaires, les notes de service, les notices de médicaments, et certaines pierres tombales.

Ci-gît donc la littérature..

Quant à Francois Villon, il n'est pas tombé dans cette embuscade tendue par un auteur matois. Il court encore, suivi par nombre de lecteurs qui préfèrent la vraie poésie à la fausse.
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La rose de Saragosse

C’est en lisant le billet de Tatooa que j’ai eu envie de lire La rose de Saragosse. Mon ressenti est similaire et je crains de ne faire qu’un plagiat de billet ici.



Ressenti similaire, cela veut dire que j’ai beaucoup aimé. Pouvait-il en être autrement, alors que ce roman réunit des faits historiques comblés par une imagination qui rend le récit vraisemblable et un amour de l’art, de la gravure en particulier ?



Sans m’étendre sur le résumé, le livre cause de la montée en puissance de l’Inquisition espagnole, et des réactions de la communauté juive « convertie » (pas trop le choix), à la fois résistance via la caricature et préparation au départ. J’ai découvert l’assassinat du père Arbuès, prédécesseur de Torquemada comme Grand Inquisiteur, qui m’a fait penser à celui de Jules César aux ides de Mars (j’ajoute un lien vers une peinture, en commentaire). Le portrait de Torquemada fait froid dans le dos, un tas de fanatisme fait homme. Je n’avais pas réalisé qu’il était contemporain de Savonarole. L’auteur Raphaël Jerusalmy décrit la réaction aragonaise à l’Inquisition comme loin d’être favorable. Le fanatisme ne se propage pas si aisément, la noblesse rechigne à obéir aux diktats de l’Église.



Le roman cause aussi de la puissance du dessin pour frapper de moquerie les Puissants. La gravure est à l’honneur. L’auteur lui offre de magnifiques odes à sa gloire, des phrases et des métaphores poétiques. A cet art est associé l’égo des artistes méconnus mais fiers, qui confrontent leur talent à fleuret moucheté, obligé de le laisser dans la pénombre, l’un parce qu’elle est une femme, l’autre parce qu’il est un séide de l’Inquisition.

Je ne suis pas amateur de la technique narrative qui change le point de vue dix fois par chapitre. Il ne permet pas de s’imprégner des personnalités, de s’y installer comme sous une couette. Pourtant ici cela n’empêche pas de ressentir la force des personnages : Léa, Angel, Yehuda, Torquemada lui-même, esquissés au fusain et pourtant éclatants – de perversion pour certains – comme sur les dessins d’Angel. Même Cerbero, le chien d’Angel, a droit régulièrement à son point de vue.



Ressenti similaire – j’y reviens – sur la sensation de pas avoir assez de pages. Il y a beaucoup d’ellipses, en particulier sur l’arrestation des « caricaturistes » et sur la torture. Un voile pudique est déposé pour les cacher aux lecteurs. L’information parvient depuis l’extérieur de la scène, comme dans le théâtre antique qui ne montrait pas l’action mais la racontait.

La question se pose : aurais-je aimé lire les scènes affreuses que j’imagine ? Voir les personnages auxquels je me suis attaché brisés par le fanatisme et la torture ? Tout cela pour allonger le récit ? J’hésite sur la réponse. Peut-être cette dimension devait-elle rester en coulisse afin que ne resplendisse seulement que l’amour de l’art.



Ce fut une très belle lecture, sur une époque qui méritait un éclairage.

¡ Adelante !

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Sauver Mozart

Raphaël Jerusalmy nous propose de lire le journal d’Otto J. Steiner, journal qui s’étend de juillet 1939 à août 1940 et qui est rédigé dans un sinistre sanatorium de Salzbourg. On comprend très vite que le narrateur est fou de musique, mais on ne sait trop, au début, si c’est un interprète ou seulement un mélomane averti. On comprendra bientôt qu’il est issu d’une famille de musiciens et qu’il est connu comme critique musical, bref, que la musique emplit toute sa vie. Otto Steiner se retrouve doublement paria : il est tuberculeux et il est juif par son père. Sa famille n’étant pas pratiquante, il n’est pas circoncis et aucune religion n’est mentionnée sur son certificat de naissance, ce qui lui vaut une relative tranquillité par ces temps troublés. Entouré de malades voués à la mort à plus ou moins court terme, Otto se sent bien seul. Heureusement, il possède un gramophone, des disques, des partitions… Il écrit régulièrement à son fils Deiter qui est loin, reçoit de temps en temps la visite de sa locataire, et puis, un jour, un ancien collègue vient le solliciter : ne pourrait-il pas aider discrètement à l’organisation du Festspiele de Salzbourg ? ne pourrait-il pas participer à en constituer le programme et à rédiger quelques textes de présentation ? C’est là que, voyant son compositeur préféré présenté au milieu de ce qu’il considère comme de la musique vulgaire et sans intérêt, Otto J. Steiner va décider de Sauver Mozart !

***

Je n’ai trouvé que des qualités à ce bref roman ! Le journal est celui d’un mourant qui se sait condamné à brève échéance. Ce personnage, qui est resté toute sa vie loin de la religion, va commencer à s’interroger sur sa propre judéité, révolté qu’il est par les brimades, puis les persécutions que subissent les juifs en Allemagne et en Autriche. Il se trouve rattrapé par des pans entiers de sa culture familiale, occultés ou simplement ignorés par son père. La vie quotidienne, dans le mouroir qu’est devenu le sanatorium, se révèle chaque jour plus difficile, mais Otto décrit la déchéance du lieu et des occupants avec férocité parfois, parfois avec compassion pour certains, mais lucidité et presque toujours beaucoup d’humour, noir, forcément… Tout lecteur saura dès le début qu’Otto va mourir, mais l’incroyable pied-de-nez qu’il adresse à une prétendue intelligentsia nazie rend sa sortie sereine, et la lectrice que je suis a quitté ce beau personnage avec le sourire.

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