Citations de Régis Jauffret (633)
On ne peut pas en vouloir à quelqu'un de n'avoir pas existé. Alfred n'existait pas beaucoup, il existait à peine. Une dentelle de papa, quelques fils autour de vides, de manques, d'absences, de déceptions de ne trouver personne au lieu de quelqu'un.
Elle vivait dans la nostalgie de la supposée splendeur passée de sa famille dont les femmes ne travaillaient pas et laissaient aux domestiques le soin de nettoyer la tanière, de gérer l'alimentation, de s’occuper des enfants que le soir on amènerait en costume de nuit embrasser leurs parents en train de se pomponner pour aller dîner chez d’autres oisifs qui au lieu de s’ennuyer à ne rien faire des heures de leur vie passaient leur temps à jouir de n’en être pas réduits à la gagner. (Page 77)
... l'amour est très utilisé dans le marketing et la publicité, alors que les ménages le plus souvent s'en passent.
je suis pourvue de cinq enfants adorables que je laisserais volontiers sur le bord de la route en échange d'une dent en céramique
Sa disparition vaudra à peine le sanglot que vous verserez comme un pourboire à la mort pour la remercier de l'avoir effacé.
Elle a secoué plusieurs fois la tête comme si elle pompait les mots dans le réservoir de sa mémoire. Elle a soupiré.
P.13
Sur votre profil vous avouez quarante ans mais je peux vous certifier qu'on vous aura menti sur votre date de naissance.
— Vous en avez sept de plus.
Il suffit de regarder votre cou.
La souffrance est bonne exploratrice, elle creuse des galeries, fracasse les murs et tout s’éclaire quand les illusions se sont effondrées
Avoir pour dessein de s’accaparer un seul éclat de la gloire des grands est plus condamnable encore que chez un joaillier gratter en catimini les pierres d’une rivière de diamants pour en dérober des fragments de carat.
on se dit en apercevant une marguerite qu'on servira bientôt de terreau aux fleurs
Elle ne croit plus du tout au lundi, les peurs s'émoussent quand elles ont duré longtemps.
PRÉAMBULE
La fiction éclaire comme une torche, Un crime demeurera toujours obscur. On arrête le coupable, on découvre son mobile, on le juge, on le condamne, et malgré tout demeure l'ombre, comme l'obscurité dans la cave d'une maison illuminée de soleil. L'imagination est un outil de connaissance, elle regarde de loin, elle plonge dans les détails comme si elle voulait explorer les atomes, elle triture le réel, elle l'étire jusqu'à la rupture, elle l'emporte avec elle dans ses déductions remplies d'axiomes qui par nature ne seront jamais démontrés.
Oui, mais la fiction ment. Elle comble les interstices d'imaginaire, de ragots, de diffamations qu'elle invente au fur et à mesure pour faire avancer le récit à coups de schlague. Elle est née de mauvaise foi, comme d'autres naissent bleus ou complètement idiots. D'ailleurs, elle est souvent bête, Quand la logique ralentit sa course, elle sait sauter l'intelligence comme un obstacle.
Etre adulte, c'est choisir de faire son trou et de laisser l'infini aux étoiles.
Les mots quels qu'ils soient résonnent, font trembler les vitres et pourvu qu'on la gueule n'importe quelle soupe verbale paraît puissante comme un torrent.
Un souvenir oublié dans un placard pendant des décennies qui serait réapparu en se faisant passer pur une fiction. Après tout, le cerveau d'un homme a le droit de confondre le réel avec un artefact de son imagination. Il fait souvent le contraire.
Si je n'avais pas vu ces images tu serais resté dans les égouts de ma mémoire. Les égouts, les jardins, le paradis perdu de mon enfance, souvent il faut aligner les mots sans en choisir aucun car chacun d'eux est le bon à condition de tous les citer. Je n'ai peut-être écrit tout au long de ma vie que le livre sans fin de tout ce que nous ne nous sommes jamais dit. (p. 133)
-La vie est une maladie dont on guérit.
Sans séquelles. Le traitement est prompt. Il ne donnera lieu à aucune récidive. Traitement non invalidant par ailleurs. Ni troubles de la vision, de l'audition, de la locomotion, de la sexualité, ne sont à redouter. Il est d'une telle innocuité qu'on pourra le prescrire aussi bien aux enfants de moins de quinze ans, qu'aux femmes enceintes, et au vieillards souffrant d'une inflammation de la prostate. Il peut être prescrit par un professionnel de la santé, mais l'automédication est recommandée. Aucune ordonnance n'est nécessaire pour le suivre avec succès et obtenir une guérison plénière. J'attire cependant votre attention sur le fait, qu'étant irréversible, on ne le laissera qu'exceptionnellement à la portée des bébés et des animaux domestiques. Notez également, qu'étant considéré comme un traitement de confort par les autorités sanitaires, il n'est malheureusement en aucun cas remboursé.
 mes moments perdus, je me demandais si je ne ferais pas mieux de redevenir enfant, retourner dans le ventre de ma mère et en définitive regagner les siècles où je n’existais pas encore. Avec un peu de chance, un événement inattendu surviendrait et la vie me serait épargnée.
- Je suis écorchée vive.
Je souffre et je n'oublie rien. Même les gens qui me bousculent sans l'avoir voulu me causent une insupportable douleur. Mon mari m'a laissée tomber il y a huit ans, et chaque soir je persiste à l'attendre, comme ce 7 juin 1999 où il n'est définitivement plus rentré. Il est parti avec une femme, avec un homme mais le plus humiliant pour moi c'est qu'il n'est parti avec personne. Il a encore préfèré la solitude à ma présence. On m'a dit qu'il vivait dans l'isolement. Lorsqu'on l'apercevait dans une réception, il resssemblait à un homme de béton dont les yeux brillaient comme deux cailloux bleus. Si on lui adressait la parole, il répondait en riant, mais on sentait qu'il était encore entre ses quatre murs et qu'il envoyait des mots par la fenêtre sans y prêter plus d'attention que s'il jetait sa poubelle.(Cailloux bleus)
Sans doute avez-vous parmi vos ancêtres quelque mulet ou pour le moins un chimpanzé qui aura engrossé une de vos aïeules entichée d'amants velus.