Citations de Sigrid Undset (161)
Elle eut comme une vision du monde: une chambre sombre dans laquelle tombait un rai de soleil; les grains de poussière dansaient entre les ténèbres et la lumière, et elle sentait que maintenant enfin elle était entrée dans le rai lumineux.
Bjoern, le vieux chien, se levait et se secouait en bâillant, puis il venait vers sa maîtresse. Dès qu'elle le caressait, il posait ses pattes sur les genoux de Christine, et à ses bonnes paroles il répondait en lui léchant consciencieusement le visage et les mains, tout en agitant la queue. Quand Bjoern s'en retournait d'où il était venu, il regardait sa maîtresse d'un air penaud ; ses petits yeux luisants et son corps lourd et velu, et jusqu'aux bouclettes de sa queue, paraissaient témoigner de sa mauvaise conscience. Christine souriait placidement, et faisait comme si de rien n'était. Alors le chien sautait dans le lit et s'y roulait en boule.
- Je te le dis, Christine, pour l'amour de tes fils, il faut que tu te réconcilies avec ton mari. Si tu as le moindre tort, il doit être plus facile pour toi de tendre la main à Erlend.
Les sentiments qui avaient grandi en elle avec le temps furent emportés comme sont entrainés la foret et la végétation des montagnes par l'avalanche. Le rocher reste nu.
- [...] Dieu m'assiste, Christine, je ne crois pas pouvoir te perdre ; je ne connaîtrai plus la joie, si je ne t'obtiens pas.
Elle savait que dans la sauvage forêt rôdaient le loup et l'ours et que sous chaque pierre demeurait le peuple des génies, des lutins et des elfes, et cela lui faisait peur, car personne n'en connaissait le nombre, mais il devait y en avoir bien des fois plus que de chrétiens.
- Je ne crois pas que nous ayons rien à gagner, ni toi ni moi, en allant chacun de notre côté et en portant seuls notre chagrin. Tu ferais mieux de rentrer dans ta maison et en faisant ta besogne de maîtresse. Peut-être ta peine serait-elle moins lourde. (Ljot)
- Je ne supporterai plus de veiller au bien de la maison, dit-elle (Leykni). Je crois sans cesse avoir perdu quelque chose et quand j'y réfléchis, je m'aperçois que ce sont mes enfants que j'ai perdus, et qu'ils n'auront plus jamais besoin de moi.
Jamais il n'avait pensé à cela: toute la beauté de la vie, c'était justement le corps, les sens qui la créaient. L'âme ne pouvait faire aucun rêve céleste si le corps, si les sens n'en recueillaient les éléments...
Ce qu'un homme possède le possède lui-même davantage qu'il ne le possède.
(Le prêtre Gunnulf)
Ma soeur, tout autre amour n'est qu'un reflet du ciel dans les flaques d'eau d'un chemin boueux. Tu t'y salirassi tu t'y plonges. Mais souviens-toi toujours que c'est un reflet de la lumière de l'autre séjour; alors tu jouiras de sa beauté, mais crains de la détruire en remuant la vase qui est au fond...
Dans les jours qui suivirent, le vent tourna au sud, soufflant en tempête, annonçant des pluies torrentielles ; par moments la bourrasque était d'une telle violence qu'on pouvait à peine traverser la place entre les maisons, sans risquer, semblait-il, d'être emporté par-dessus les toits.
Il avait, leur raconta-t-il, une sorcière de Laponie qui était âgée de deux cents ans et si desséchée qu'elle n'était "pas plus grande que ça". Il la gardait dans un sac de cuir, dans le coffre qui se trouvait dans sa remise à bateaux. Eh ! oui, bien sûr qu'elle mangeait toutes les nuits de Noël la cuisse d'un chrétien - cela lui suffisait pour une année. Et s'ils n'étaient pas sages et gentils, s'ils ne cessaient pas de tourmenter leur mère qui était malade, ils iraient eux aussi dans le sac de cuir.
Toi, tu es morte et moi je reste à jamais appauvri. Je n'ai plus que les pauvres rêves que je fais de toi. Et cependant si je la compare aux richesses des autres, ma pauvreté rayonne de richesse. Je ne voudrais pas ne plus t'aimer, ne plus rêver de toi, ne plus souffrir comme je souffre à présent, même pour sauver ma vie.
J'avais vingt-huit ans quand j'ai rencontré Helge. Je n'avais jamais éprouvé d'amour pour personne. J'étais lasse de ne pas aimer. Helge m'aimait. Son amour vif, jeune, sincère m'entraîna. Je me suis menti à moi-même tout comme la plupart des femmes. La passion de Helge me réchauffait et je m'imaginais que c'était moi qui brûlais. Au fond, je savais bien qu'une illusion pareille ne dure pas, ne durerait qu'autant qu'il ne serait pas exigé la moindre chose de mon amour.
D'autres femmes agissent comme moi en toute innocence parce qu'elles ne font pas la différence entre le bien et le mal et qu'elles sont habituées à se tromper elles-mêmes, mais moi je n'ai pas ce genre d'excuse.
L'amour était venu, lent et presque imperceptible comme ce printemps du Sud. Tout aussi égal, tout aussi sûr, sans rien de brusque, sans journées froides ni tempêtes. Le coeur n'était pas ravagé par la nostalgie du soleil, de la lumière éblouissante, de la chaleur torride de l'été. Les soirs ne ressemblaient en rien aux longs soirs du printemps nordique, alors que l'angoisse semble émaner de la clarté insolite, de l'interminable crépuscule. La journée de soleil finie, la nuit tombait douce et égale. La fraîcheur suivait l'ombre, invitant au sommeil paisible et tranquille. La chaleur augmentait un peu chaque jour ; chaque jour quelques fleurs nouvelles s'épanouissaient dans la campagne verte, verte non pas plus que la veille, mais un peu plus que la semaine précédente.
L'amour qu'elle éprouvait était venu ainsi.
Elle savait que dans la forêt sauvage rôdaient le loup et l’ours et que sous chaque pierre demeurait le peuple des génies, des lutins et des elfes, et cela lui faisait peur, car personne n’en connaissait le nombre, mais il devait y en avoir bien des fois plus que de chrétiens.
Il respira longuement — il faisait bon vivre. Une joie riche et dorée débordait de son cœur. Kristin était sa douce amie à lui. Les pensées amères qui avaient pu l’assaillir n’étaient plus que sottises, à demi oubliées. Pauvre amie, que ne puis-je te faire du bien! Pour te revoir heureuse, je donnerais volontiers ma vie.
Dame Gunna avait des traits lourds, elle était jaune et bouffie. Trois rides profondes barraient son front qui semblait de cire. Ces bons yeux bleus au regard vif étaient un peu enfoncés ; sur sa bouche édentée pendaient de longs poils de moustache.
- Te voilà donc ici, cousin !... Moi qui m'attendais à apprendre que tu étais un homme marié et établi.
- Nenni, je ne me marierai que si je dois choisir entre la femme et la potence, dit Ulf en riant.
- Jusqu'à présent je trouvais bien pénible le destin qui ne m'avait donné qu'un seul enfant et pas de fils. Mais je croyais t'avoir toujours témoigné de la tendresse et ne m'être jamais montré dur à ton égard. Je pensais te voir heureuse et honorée avant ma mort. Il eût été préférable que je fusse sans enfant plutôt que de t'entendre qualifiée de putain et de voir ton bâtard grandir au domaine dans ma vieillesse.