Citations de Yann Moix (600)
J'en ai toujours voulu aux femmes qui n'ont pas su déceler chez moi la part nue, celle qui jamais ne triche ; le point incandescent, de vérité brûlante, le croisement des souffrances ineffables - cette croisée de mes chemins où mes piteux avatars se rencontrent pour se taire.
(...) les livres, mieux que les églises, sont un bel endroit pour pleurer.
Je note Aujourd'hui que je me sens plus seul à deux que tout seul ; tout seul je peux profiter de ma propre compagnie, là ou ta présence m'en empêchait
— Tout le monde, en fin de compte (commença mon père), y va de sa petite création. Les écrivains font des livres, les parents font des enfants. Faut que ça crée. Que ça turbine. Le marché de l’être humain est saturé, ceux de la littérature, de la musique, du cinéma, de la peinture, de la photo, tout autant, tout idem, tout pareil, tout jumeau : excès d’offre, surabondance de créativité. Les gens sont des vaches laitières. Ils ne peuvent pas s’empêcher de s’exprimer. De donner libre cours à leur « petite veine artistique ». Surproduction de nature, surproduction de culture ! On n’a pas le temps de lire : alors on écrit. On gratte. Tout le monde, partout, tout le temps, et que je te griffonne ! Et que je te ponds ! Perpétuelle obèse fabrication d’oeuvres, infatuation du « faire » : nul n’écoute nul, personne ne lit personne. Il y a plus de livres que d’arbres ! Plus de pages dans ces livres que de feuilles sur les branches de ces arbres ! Plus d’enfants que de parents. Aliénation par les tonnes. Par les tomes ! Les quantités tuent. Nous croulons sous les subjectivités, nous crevons sous le très pesant poids des personnalités, des particularités, des individualités, des spécialités, des unicités. C’est la dictature des différences. Déversements d’univers. Ceux qui sont « à part » sont devenus mille fois, un million de fois plus nombreux que les autres, les gens normaux, les banals, les qui ne créent pas. Le monde chie de l’exception à tout-va. Milliards de génies décrétés, de compositions essentielles, de tableaux fabuleux, de refrains divins, d’inouïs chapitres, de sculptures célestes. Pour quoi faire ? Personne ne s’arrête dix secondes pour se poser la question. Non : ça défèque ses génialités partout. Pour qui ? Mystère et boule de gomme. Créations sans public, errant dans les espaces vides, dérivant dans les cosmos inhabités, flottant sur toutes les indifférences, chefs-d’oeuvre sans chefs, disséminés sur le globe, multipliés par les artistes pullulants, fresques et sagas, sonates et films, pièces et fables, nouvelles, chansons, poèmes, solos, collages pour personne. Inédite fusion de la quantité et de la qualité. Grouillance des petites musiques, prolifération des voix. Individualité de masse ! Je te foutrais tout ce joli monde dans des trains, moi. Direction la Pologne. Tu verrais le voyage !
Sa cruauté semblait irrévocable. M'aventurant parfois à chercher quelque douceur auprès de ce corps qui m'avait jadis abrité, j'étais systématiquement arrêté dans mon élan, puis écarté comme un chien.
Je t'ai souri. En souriant à mon sourire, tu m'ouvrais la porte d'un lieu inconnu de tous les autres, où j'étais seul à pouvoir pénétrer. Je me jurai dès lors de devenir doux. Tu m'offrais l'occasion d'être autre chose que moi même. Tu me donnais cette chance de me recommencer de zéro, de renverser le jeu en ne gardant que quelques pions.
Tout est toujours compliqué, alambiqué, dans les sentiments. Tout le monde voudrait dire "je t'aime", être heureux. Etre heureux définitivement, sans altération, sans ramification; sans amplification mais sans dégénérescence: on en appelle à du fixe, à de l'immobile, à de l’immarcescible. Non il y a toujours une tumeur qui sourd, un orage qui fait ses gammes quelque part, une horreur qui tonne. On ne peut s'acheter, une fois pour toutes, cette tranquilité qui apaise, ronronne pourrait mourir avec nous, doucement.
Hé, lecteur, tu as fait quoi de ta vie ?
Je sais que tu triches, que tu n'es pas très sincère. Que tu (te) mens. Tu ne sais pas que faire de tes journées, tu as peur de rester tout seul chez toi. Tu sembles peureux, et je sais que : tu as peur de la peur. Vaguement, tu déprimes. Tu te promènes, tu fais des « achats », tu te trémousses dans quelques lits, avec des corps frôlés : tu jouis, hop hop (c'est fait, arrrgh). Tu te fais croire, parfois, devant une feuille blanche, que toi aussi tu es un gros malin, que tu as des choses politiques, thermodynamiques, poétiques, philosophiques à dire.
Tu prends des notes. Tu écris ton journal. Tu confies des choses à ton « blog ». Ça pour bloguer tu blogues. Tu dois pas prier des masses, tel que je te connais (je ne te jette pas la pierre, je ne prie pas non plus).
Je voudrais que, pour une fois, tu t'intéresses à une sainte : que tu te passionnes pour : Edith Stein. C'est une femme extrêmement originale. Un individu totalement individuel. C'est une philosophe très, très spéciale : elle mêle Husserl au Christ, la phénoménologie à la Croix. C'est assez fascinant. Tu n'entres pas dans une église. Mas dans une vie : une vraie.
Elle examinait mes réactions, car hurler était destiné à me planter ses cris dans le cœur.
Tout est susceptible d'humilier un enfant ; la moindre remarque, la plus petite brutalité, un mouvement d'humeur, un geste violent peuvent s'inscrire à jamais dans sa chair, y gravant le texte de ses folies à venir, dont il sera le monomaniaque interprète et le jouet chevronné. Qui nous dit que la démence ne provient pas d'une humiliation de trop ?
Avec moi, la menace que tout se termine dans la journée plane sans cesse. Je produis de l’intranquillité à flux tendu.
On montre souvent du doigt les êtres, sombres, gothiques, ténébreux, adolescents, qui surjouent le drame d'être né. On ne parle point assez de la symétrique exagération, plus taboue, bien plus terrible, qui nous exhorte à mimer la joie de vivre ainsi que des automates et des tricheurs. Il y a une pose dans la douleur comme dans l'allégresse. Qui nous pousse à déployer chaque jour cette épuisante gymnastique du sourire, de l a bonne humeur, de la gaie gaieté. La vie n'est guère supportable. Nous sommes livrés à la comédie, pourquoi ? Et surtout : pour quoi faire ?
On devrait arriver en silence, faire son entrée sur la pointe des pieds. Se faire oublier d’avance. On n’est jamais si prétentieux qu’en naissant. Il n’y a pourtant pas de quoi : mon père, lassé par un jeu télévisé où des vachettes locales entraient en excitation sous les huées d’un parterre de campeurs méchants, s’était dirigé, braguette ouverte, vers la salle de bains où ma mère glissait du fil dentaire entre deux douloureux chicots. Il avait soulevé le tulle de sa nuisette rose praline, s’était frayé un passage dans la pilosité de sa femme puis, entre deux râles de marcassin balancé sur une ligne haute tension, avait dégoisé des insanités en la secouant comme un flipper. Mouillé comme une éponge, rouge comme un chasseur de perdrix compressé dans son gilet après une dégustation de pomerol, il vérifia l’exagération de ses propres grimaces dans la glace, propulsa dans les entrailles de ma mère changée en cyclotron un jet de spermatozoïdes fusant à la vitesse des quarks, puis s’affaissa sur elle tel un figurant de film de guerre au coup de sifflet. Il était minuit.
Ce qui est cassé ne se répare pas ; ce qui est brisé se brise chaque jour davantage .
« L’absence de celle qu’on aime constitue une présence. Ce qui fait mal, dans une rupture, ce n’est pas l’absence d’une présence, mais la présence d’une absence. »
On sait, aux échecs, qu'à partir d'un certain niveau les noirs sont condamnés à perdre, tandis que les blancs sont presque sûrs de toujours l'emporter.
J'ai adoré la fondamentale perfection avec laquelle vous n'avez pas répondu à ma lettre. Tout y était : la clarté de l'irréciproque, la concision du silence, la cristalline mathématique du néant.
Cette inexistante lettre est pourtant une des plus belles qui m'aient été adressées ; son style lapidaire, sa fulgurante densité, son économie de moyens, son refus prononcé pour toute forme intempestive de spectaculaire me vont, sachez-le bien, droit au coeur.
On reçoit tellement de lettre écrites qui déçoivent, que je suis fier d'avoir reçu une lettre jamais écrite qui m'enthousiasme.
J'étais attendu mais par personne. Je savais qu'une fois sorti, j'aurais mille fois moins d'importance qu'au moment précis de sortir. Tout mon intérêt résidait dans le passage de l'intra à l'extra. Je n'étais qu'un événement. J'étais quelque chose qui arrive aux autres. On ne naît jamais pour soi.
Le plus beau des mariages n'est pourtant pas celui qui prélude à une vie: c'est au seuil de notre mort, quand l'amour s'est aguerri à tous les pièges, qu'il s'est essayé aux douleurs et affermi dans la patience et le pardon, lavé de tout ce qui n'est pas lui, devenu en même temps son seul moyen et sa fin unique, que nous pourrons enfin dire "oui". (...) "Terminée, la fraîcheur de la presse du matin, dans la cuisine. Abolis: les océans, le jazz, les pins. Les étés, le soleil, les jardins. Les rosiers, leur lumière rouge sur le ciel. Les fougères, les iris. La trépidation et les bruits. Et toutes les Italies du monde. Un morceau de Danemark déguisé par les brumes, et le pain laissé sur la table. La nuit des amants emmêlés s'évapore dans les champs, c'est l'hiver qui décide. A force d'hiver, on finit par mourir. Les saisons font la loi, qui nous passent sur le corps." (...) "Les salsas s'éteignent quand on meurt"
La promesse d'être avec quelqu'un m'a toujours rendu plus heureux que son effective présence.