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Critiques de Zakhar Prilepine (77)
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Le péché



Quand Zakhar Prilepine se place au centre de chacune de ces dix nouvelles autobiographiques c'est doux, c'est tendre, c'est cruel, c'est tourmenté, on sourit, on se laisse gagner par l'émotion tant il laisse parler son coeur et nous offre avec une rare sincérité des moments de vie ordinaires. Une vie d'enfant, d'adolescent, une vie de jeune homme qui se cherche, parfois à la dérive, fragile mais en même temps si fort. Une vie dont on ne guérit jamais car Zakhar Prilepine a eu plusieurs vies.



Les mots de Zakhar Prilepine m'ont bouleversée car il ne triche pas, il dit : je t'aime ma patrie, je t'aime mon amour toi la mère de mes enfants, je t'aime ma famille pour tout ce que tu m'as donné. Il se nourrit, il se délecte de chaque souvenir, il s'en réchauffe le coeur. Il nous raconte aussi son mal-être et ses désillusions dans une Russie post-soviétique profondément marquée par les inégalités dans laquelle on apaise les âmes tourmentées à coup de grandes rasades de Vodka. Mais dans ces récits ce sont les regards complices et les éclats de rire qui prennent le dessus et font oublier la misère ambiante et les coups de sang à la sortie des boîtes de nuit sordides dans lesquelles Zakhar gagne son bifteck.



La nouvelle qui m'a le plus touchée ? Sans nul doute la huitième nouvelle de ce recueil : "Il ne se passera rien". Rien que des regards fatigués mais tellement d'amour pour le jeune papa de Ignatka, 4 mois et Gleb, 5 ans. Quand il évoque ses enfants et sa compagne il le fait avec beaucoup de pudeur et autant d'émerveillement devant ce que la vie lui a offert.



Pudique, respectueux, lucide envers la vie tout simplement, Zakhar Prilepine nous offre en bonus un intermède poétique de toute beauté avec pas moins de vingt-trois poèmes et clôt son recueil avec une ultime nouvelle aux intonations douloureuses qui a pour titre "Le Sergent" puisqu'il s'est engagé dans les deux guerres tchétchènes en 1996 et 1999 et comme volontaire en 2016 dans l'armée de la république populaire de Donetsk.



Un recueil que je ne peux que vous inviter à lire pour découvrir la très belle plume de ce grand Monsieur.



" J'aime l'embrasser quand il se réveille. Fasciné, j'effleure de mes lèvres ses joues gonflées du lait de ma bien-aimée. Mon Dieu, que c'est tendre. On dirait la chair d'un melon. Et son souffle... L'épanouissement des fleurs duveteuses, au printemps, ne sont rien à côté de cela : mon fils ronfle, tout près de mon visage, lumineux comme après la communion..."

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Le péché

Six poèmes et dix nouvelles de Zakhar Prilepine, dont la plupart légèrement ou fortement trempées dans la VVH (= violence + vodka + humour ) et paradoxalement aux chutes d'une étonnante douceur. Leur protagoniste s'appelle Zakhar, qui n'est autre que l'écrivain lui-même ou ses avatars. D'inspiration autobiographique, un voyage dans le temps et la vie de Zakhar, sans ordre chronologique, à la campagne, à Moscou.....avec Zakhar enfant, ado, adulte, un Zakhar heureux, qui vit et travaille au gré du vent.



“Quel jour serons-nous demain ?”, question à la bien-aimée dans une ballade d'amour aux chiots,

“Le péché “, flirte avec les cousines, le temps d'un été à la campagne chez les grands-parents, sans conséquence grave,

“Le diable et les autres”, bruits et fureurs chez les co-locataires d'un immeuble moscovite où il habite,

“Les roues”, fossoyeur de fortune, carburant à la vodka, essayant d'enjamber de nuit, une voie ferrée,

“Six cigarettes et ainsi de suite”, ses mésaventures de videur dans une boite de nuit,.....le plus drôle de toutes.........

Un recueil qu'il termine avec de la poésie, magnifique et émouvante , et une farce noire du temps de son engagement volontaire aux guerres tchétchènes en 1996 et 1999.



Bref rien n'est rose dans cette Russie post-soviétique, au contraire tout est pauvreté crasse et violence, pourtant Zakhar s'y penche avec tendresse et humour et une prose qui n'a rien à envier aux grands auteurs classiques russes. C'est son troisième livre que je viens de lire et j'en sors toujours aussi émerveillée.



“En lisant les livres, je rêve toujours,

Et toujours je crois que la vie

Et la mort entre elles s'arrangeront

Et que, seul, je resterais en dehors de tout cela.”
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Certains n'iront pas en enfer

J'aurais voulu aimer ce livre du russe Zakhar Prilepine mais « Certains n'iront pas en enfer » a été une lecture assez laborieuse qui a failli me tomber des mains par moment, je dois l'avouer.

Et pourtant quelle ne fut pas ma curiosité d'envisager le conflit russo-ukrainien du côté des russes, en tout cas de ce russe là. En effet l'auteur a participé deux ans durant, en tant que combattant dans les rangs des troupes insurgées, au conflit et ce livre, certes romancé, narre ce combat pour le Donbass. Une sorte de «roman d'autofiction fantasmagorique » comme il le dit lui-même, un récit, voire un quasi témoignage en quelque sorte, où j'ai décidé de commencer ma lecture sans jugement moral et en m'efforçant d'oublier la guerre actuelle, en tâchant de ne pas porter de regard manichéen avec la gentille Ukraine d'un côté et le monstre russe de l'autre. En acceptant les nuances, les arguments, la complexité de la rive d'en face. En me laissant porter en quelque sorte. Condition sine qua non pour plonger dans ce livre.



Ce récit rend hommage à Alexandre Vladimirovitch Zakhartchenko (surnommé Batia, ou le Chef), président de la république autonome du Donbass, assassiné le 31 août 2018. Nous suivons notre homme prénommé Zahkar qui raconte le dernier été de cet homme dont il fut proche.

S'il se lit bien, j'ai d'abord été très déroutée par tous les termes liés à la hiérarchie militaire employés, car nous entrons dans le quotidien de ces hommes sans crier gare. C'est à la fois une façon d'entrer directement dans le vif du sujet mais aussi c'est assez déconcertant car ces termes militaires, pourtant bien expliqués, sont nombreux ; cela m'a demandé un réel effort pour les mémoriser et les comprendre. Même impression laborieuse, pour moi, concernant la stratégie militaire dans les tranchées, sur le champ de bataille. Mais il faut reconnaitre que, une fois ce cap passé, la lecture est étonnamment fluide et nous nous plongeons réellement dans le combat au côté de Zakhar.



Je suis assez partagée par le style employé par l'auteur. Un style éclaté et éparpillé à l'image de ce que ressent le narrateur, un style journalistique et nerveux, style que je n'apprécie pas vraiment mais que je comprends dans ce genre de récit de guerre, mais aussi un style très vivant voire comportant de belles fulgurances. Quand nous savons que Prilépine est un proche d'Emir Kusturica, nous ne sommes pas étonnés des images loufoques parfois convoquées qui jaillissent telles des gerbes de lumières, de façon détonante, dans cette atmosphère guerrière (et d'ailleurs en parlant d'Emir Kusturica, nous le croisons de belle façon dans ce livre).



« Nous traversâmes obliquement un champ, le chef de peloton, à trente mètres en avant de nous, nous montrait le chemin à suivre. Venaient ensuite La Teigne, puis moi, puis le Chamane et, quelque part derrière, le saucisson, les cigarettes et la vodka sans alcool ».



Quant à la guerre en elle-même les motivations ne sont pas vraiment appréhendées, parfois juste évoquées, et j'ai été refroidie par la nonchalance vis-à-vis de la souffrance et de la mort prodiguées qu'observe notre homme, voire qu'il semble éprouver. Il y a très peu de place pour l'empathie, l'analyse du camp adverse, la prise de recul, l'explication. Et beaucoup pour la boisson (très présente la boisson), l'entre soi entre combattants, ce qui peut paraitre assez surprenant de la part d'un écrivain.



« - Les éclaireurs du corps d'armée ont discrètement informé Tachkent : onze « 200 » (les 200 sont les morts) de l'autre côté, rien que dans un seul emplacement fortifié. Tout porte à croire que c'est une roquette. C'est vous ?

-C'est bien nous.

-Là-bas, dans le village, c'est un véritable va-et-vient d'ambulances. Il y a de nombreux blessés.

-Dis-moi si tu apprends encore quelque chose.

-Tu viens aujourd'hui ?

-Oui probablement. Pour l'instant je reste là pour observer.

Le jour commençait à tomber ; je transmis la nouvelle au kombat. Celui-ci se mit de nouveau à rire. J'allais encore me balader un peu, prendre l'air, voir les gars. Il y avait foule autour du QG. Tout le monde bourdonnait comme après un jeu divertissant ».



Mais je suis sévère je crois…car des analyses, il y en a. Et plein. Par exemple, j'ai trouvé très intéressantes les réflexions sur la notion de vérité qui mettent en valeur subtilement la complexité de tout conflit…où se situe la vérité ? Dans ce que nous retenons ? Dans ce que le peuple chante ? Dans ce que les historiens rangent par date et décortiquent ? Que retiendra le monde de cette guerre ?

Oui, je suis trop sévère, sans doute que l'ambiance, très militaire, les combats, le style journalistique a pris le dessus sur le témoignage rare que j'étais en train de lire et sur l'hymne à l'amitié qu'il constitue…Je n'ai pas aimé lire ce livre au point d'en oublier sa valeur à l'aune de la guerre actuelle. Je ne cessais de me rappeler l'importance de ce livre puis les combats et le style étiolaient ma curiosité. Laborieux ce fut…



Alors, c'est vrai, je n'ai pas eu le courage de faire comme Paul - @Bobfutur – à savoir d'aller mener de longues recherches au sujet de ces guerres. Je vous invite à aller voir son excellente critique en la matière, ainsi que celle de @Henri-l-oiseleur qui rend un bel hommage à ce livre à côté duquel je suis passée et je le regrette.



"Quand on fait la guerre, on se bat toujours pour son enfance, pour ses premiers poèmes. Vous pensiez quoi ? Qu'on se bat pour des imbéciles, pour des intérêts particuliers ? Non, au début c'est toujours pour son enfance qu'on se bat. le reste, ça vient après".



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L'archipel des Solovki

Emprunté Bibliothèque Buffon (à proximité du Jardin des Plantes--Paris ) - le 5 avril 2022



"Nos Solovki,disait-il,sont un lieu étrange ! C'est la prison la plus étrange du monde !

Nous pensons par exemple que le monde est immense et étonnant, qu'il est plein de mystères et d'enchantement, d'horreur et de charme, mais nous avons quelques raisons de supposer qu'aujourd'hui même, les Solovski sont l'endroit le plus singulier qu'ait connu l'humanité. Rien n'y est compréhensible ! "(p.63)



La découverte fracassante,époustouflante de ces derniers jours en faisant des recherches sur les artistes russes dissidents...et je déniche par le plus grand des hasards cet écrivain contemporain, aussi prolifique , engagé que controversé !!...



J'ai appris grâce à cet auteur l'existence de ce tout premier Goulag soviétique, à 160 km du Pôle Nord...créé quelques années après la Révolution d'Octobre, il a été installé curieusement, et fort symboliquement dans un haut lieu monastique...vers 1920.

Une galerie innombrable de personnages,haute en couleurs,ressemblant à une gigantesque Cour des miracles ...



Dans ce camp rempli de barbarie et de cruautés multiples,des éclairs de lumière et de solidarité...Mélange de toutes les populations, de toutes les classes, de tous les métiers : manuels, intellectuels...



***"Les Solovki étaient un Golgotha,mais sur elles brillait la lumière de l'esprit " ( cf.Boris Chiriaev)



Dans ce roman-fleuve,Prilepine est loin de tout manichéisme, montre en permanence la frontière bien fragile entre les victimes et les bourreaux...Entre le Bien et le Mal,l'équilibre reste fort instable !



Dans ce territoire des Solovki (qui est l'équivalent d'une Ville ), un enfer,il y a aussi la camaraderie,l'entraide,l'affection la complicité, les échanges intellectuels....Rien n'est définitivement "noir",même si le plus souvent ,les détenus sont dans une bataille quotidienne de "survie"...L'Arbitraire, omniprésent, entretenant une peur diffuse, constante,parmi tous les prisonniers !!



Il y a tant à dire de cette fresque fort ambitieuse...je souhaiterais insérer une parenthèse très significative de cette oeuvre.En écoutant divers interviews de Zakhar Prilepine- j'ai retenu cette anecdote racontée par

lui-même ; avant la publication de cet ouvrage, Prilepine écrit à la fille du directeur du camp des Solovki ( décrit dans le roman, qui a réellement existé) celle-ci vivant aux États-unis. Aucune réponse...



Il poursuit dans son idée première d'achever cette fresque historique par la rencontre de l'auteur avec la fille de l'ancien directeur des Solovki, leurs échanges et ce qu'elle peut expliciter de nouveau sur la personnalité de son père.



Quelque temps,après la publication de son texte,la "fille" se

manifeste auprès de lui...s'étonne grandement et interroge avec insistance l'auteur pour savoir qui l'a aussi bien renseigné sur sa vie,l'agencement de son appartement, de sa bibliothèque, des aspects moins connus du caractère de son père, etc.

Lorsque Prilepine lui répond et insiste sur le fait que personne ne l'a renseigné, que tout est sorti de son imagination;bien sûr, elle ne le crût pas !!



Anecdote que je tenais à relater,car entre une très impressionnante documentation,et exactitude historique engrangée, Prilepine a le talent peu commun de fondre,de mettre en symbiose L Histoire réelle et la fiction !...



Une lecture - coup de poing, littéralement "fracassante", qui ne peut que très durablement rester dans l'esprit du Lecteur.L'auteur est des plus créatifs pour décrire ces Iles Solovki et la pluralité des humanités, du pire au meilleur !!





****Voir aussi ma petite sélection d'ouvrages sur les Iles Solovki

https://www.babelio.com/liste/21146/Les-Solovki-iles-sacrees-iles-martyres

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Des chaussures pleines de vodka chaude

Des saisons qui défilent comme des pages qui se tournent. Avec douceur. Il y a des bouteilles qui se vident au grès du vent des quatre saisons. Avec nostalgie. La vodka à flot pour entretenir de petites nouvelles sur les bords de la Volga. Et je crois, confidence pour confidence, que j'aime la vodka comme je suis amoureux de Olga.



Entre deux prodigieuses cuites, saine habitude sous le grand froid, je t'imagine ma Cindirella, un shot de vodka, glisser ma langue entre tes deux cuisses, découvrant ta fine toison, jolie brebis au pubis parfumé à la senteur des steppes sibériennes. Je veux bien finir au goulag, si je garde en moi ce goût du plaisir ultime et comme une vodka glacée qui coule au fond de ma gorge, me réchauffe le cœur, je sens encore la chaleur s'écouler dans le délit pénétré. Sans chapka. Mais la vodka ne fait pas oublier, ces étés douloureux ou chaleureux, ces automnes pleins d'avenir et d'abandon, le silence volubile d'une vodka.



Préambule. Avec un roman russe, je prends mes précautions : je prévois toujours une bouteille de vodka au congélo. Les mots sont les maux de ce pays. Il y est souvent, toujours, éternellement question de vodka, et de femmes aux prénoms en a. Une pointe de mélancolie, douceur amère d'un grand pays... Le chagrin d'un été, puis ses espérances qui amènent des rêves de bonheur, avant de sombrer de nouveau dans le spleen des steppes solitaires.



En plus de découvrir un pays, de la Sibérie à la Tchétchénie, en compagnie de jeunes filles peu farouches, de jeunes gars passionnés par les filles et la vodka, j'apprends à vivre en ce milieu « hostile », l’auteur me prodiguant quelques bons conseils du genre que faire lorsque tes chaussures neuves sont trop étroites. Et puis je croise aussi le bison de Sibérie... Ah bon ? Non, là je crois que j'ai eu une hallucination, vodka frelatée probablement, ou delirium tremens givré, ou grosse femme pas épilée. Non, je croise surtout des histoires d'amour et d'amitié, de guerre et de campagne, de putes et de rock'n'roll d'antan. Bref, un cocktail Molotov pas explosif mais plutôt détonant entre mes mains. La littérature russe, j’aime l’aborder sous tous ses genres, mais ce n’est qu’une excuse, un plat prétexte pour sortir du congélo ma bouteille de vodka…



Merci, encore.
Lien : https://memoiresdebison.blog..
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Des chaussures pleines de vodka chaude

Zakhar Prilepine est homme politique et écrivain engagé, il a fait la guerre de Tchétchénie et il est anti-pouvoir. Par ailleurs, « L'archipel des Solovski » est roman magistral dans lequel il raconte la genèse des goulags sur ces îles de la mer Blanche.

Ici il nous livre onze nouvelles qui nous plongent au coeur de la « Terre Russe ». Fait original, dans ces nouvelles nous suivons le même personnage Gilka à différentes étapes de sa vie.

le titre nous interroge et nous embarque à la fois, nous apprenons qu'un peu de vodka chaude vont détendre des chaussures trop étroites, recette de grand-mère nous dit Gilka.

Dès les premières lignes nous cotoyons un monde sous l'emprise de la vodka et de la brutalité, mais aussi plein de tendresse !

Ainsi Gilka s'interroge : « Je ne me souviens plus pour les autres, mais moi, j'étais tombé durement dans cet état rare et étonnant, lorsque chaque nouveau verre vous dégrise, et que l'on boit alors sans s'arrêter, attendant, goguenard, d'être enfin abattu par l'ivresse comme un bout de bois ».



Un peu plus loin dans « un héros de rock'n'roll » ma préférée, avec cette écriture tout en finesse, poésie et tendresse, il nous parle de souvenirs :

« C'était un été de grande ivresse.

Ma vie est ainsi faite : il y avait eu, une fois, tout un été de voyages ; et puis l'année d'avant, un été de la musique. Je me souviens avec tendresse de l'été de la passion ; il y en a d'autre que je n'oublie pas : celui de la séparation et de la conscience. Ils se distinguent facilement les uns des autres… il suffit de se rappeler leur saveur dominante et la mélodie principale que l'on fredonnait…

Il y a aussi l'automne, et l'hiver, et le printemps.

Il y a eu l'hiver des morts. Et l'hiver de la paresse et du vide…

Il y eut l'automne de l'étude, l'automne de l'effervescence, l'automne de la déception. »



Zakhar Prilépine nous assène quelques phrases percutantes comme dans « Un village mortifère » « Mais tu sais bien, Valiok, le crime soude plus que la religion » et dans « Viande de chien » c'est la misère et la pauvreté qui se déploient…



Beaucoup de thèmes sont abordés amour, amitié, mort, regrets et fuite du temps, pourtant ces nouvelles on une note de bonne humeur et d'humour ! Zakhar Prilépine a une plume sensible, c'est un humaniste, certes toutes ces pages baignent dans la vodka mais elles sont pleines de tendresse et de générosité. C'est un véritable plaisir de plonger dans cette ébriété :

« Tandis que moi, c'est avec des yeux noyés dans l'ivresse que j'aimais le monde Nous rentrions chez nous, nos fronts effleurant parfois les vitres immanquablement sales, au printemps, des navettes périphériques, nous regardions nos reflets dans les vastes espaces russes. Personne n'était triste, au contraire. Chacun souriait à ses propres pensée : l'un à la tendresse qu'il avait trouvée, au goût et au parfum généreux ; l'autre à la sensation de la dernière neige de l'année, tiède contre sa tempe ; et le troisième, on ne sait pas à quoi. »

Comment ne pas aimer !



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Certains n'iront pas en enfer

"Roman d'autofiction fantasmagorique" ? Vraiment ?

Ce dernier mot est apprécié par l'auteur, du moins utilisé à plusieurs reprises dans les interviews que j'ai regardé ces derniers temps. En présence d'un tel livre, impossible de ne pas passer au moins le triple du temps nécessaire à sa lecture en recherches à son sujet, au sujet de ces guerres, et à l'histoire en général. On a beau avoir quelques notions, elles sont très vite balayées par l'ampleur de la tâche...



Donc entre les mains ce "roman", dont on n'arrive pas à le considérer autrement que comme un récit, une forme de gonzo-journalisme où Hunter S. Thompson aurait enfin pu laisser libre cours à sa passion pour les armes...

Est-ce juste un prétexte pour qu'on n'aille pas lui demander des comptes ?

Car on parle bien ici, toute opinion politique mise de côté, d'un écrivain s'engageant dans un conflit au point d'y être un acteur de premier plan... le guerre, oui, vous savez, ce truc que les Hommes font très bien, et où il n'y a jamais des gentils et des méchants, que des vainqueurs et des vaincus.



Ce livre est à prendre tel quel, car il y a en premier lieu beaucoup de talent dedans, bien que sa structure soit complètement éclatée, comme une volonté de ne PAS raconter, ni non plus de réellement s'en justifier. Comme le dit très bien Henri, dans sa critique vers laquelle je vous renvoie, c'est surtout le témoignage à propos des dernières années de la vie d'un homme, Zakhartchenko.

La fantasmagorie vient sûrement de cette correspondance, que le pseudonyme d'écriture depuis longtemps porté par Prilepine en soit compléter par ce suffixe de nom de famille typiquement ukrainien, et qu'ils soient devenus des frères. Vertiges.

Car Henri parle plus bas de Kundera, et tout de suite me revient ce paragraphe essentiel de L'insoutenable légèreté de l'être:

"Qu'est-il resté des agonisants du Cambodge ? Une grande photo de la star américaine tenant dans ses bras un enfant jaune. Qu'est-il resté de Tomas ? Une inscription : Il voulait le Royaume de Dieu sur la terre. (...) Et ainsi de suite, et ainsi de suite. Avant d'être oubliés, nous serons changés en kitsch. le kitsch, c'est la station de correspondance entre l'être et l'oubli."

Auquel on se doit d'ajouter Maïdan ? un film rythmé par des énormes tambours et le visage grêlé de Iouchtchenko ?

On a tous jugé l'histoire à ce moment là, forcément orange car de notre "côté". Bien-sûr, à creuser, à dépasser l'information donnée, simplifiée, on se heurte toujours aux abîmes de la complexité, ayant devant nous comme planche de salut facilitante le Relativisme, simplifiante le Complotisme, même si toutes ses notions se doivent d'être balancées à tout bout de champs pour achever définitivement celui qui cherche simplement la Vérité, quête quasi-religieuse pour nous ramener à la mystique russe, toujours au dessus de ses écrivains.

Je vous laisse dérouler l'argumentaire en vous, c'est sans fin, si l'on a un peu d'honnêteté. Je n'en ai pas fini avec toutes les questions que ce livre, parmi d'autres lectures, soulèvent; du rôle de l'artiste dans nos sociétés, etc.

Avec pour finir un souvenir plus léger (besoin après un tel livre): Kusturica ("frère" de Zakhar) déclarant qu'il avait songé à arrêter le cinéma après l'opprobre jeté par des intellectuels, BHL en tête, après la sortie de son chef d'oeuvre "Underground", qualifié de "pro-Grande Serbie" (sous-entendu "pro-Milosevic", bref méchant). Emir annoncera plus tard qu'il était obligé de revenir tourner, pour laver la culture mondiale de la tâche laissée par la sortie du film de BHL "le Jour et la Nuit"...



Voilà, et de Zakhar, j'aimerais toujours lire son "L'archipel des Solovki", ou d'autres romans, car celui-ci n'en est pas un. Merci les Editons des Syrtes et Babelio pour cet avant-première.
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Des chaussures pleines de vodka chaude

Tu t'installes sur un tabouret bancal et tu poses tes coudes sur la table graisseuse au fond de la cuisine. C'est étroit. La fenêtre entrouverte change la fumée des cigarettes pour un courant d'air glacial qui caresse ta nuque. Zakhar se tient face à toi. Il a disposé sur la table des tranches de pain noir, des malossols de la charcuterie. Il saisit la bouteille de vodka et remplit ton verre à moutarde à ras bord. Aucun bruit dans le salon, les femmes ont dû se coucher. Les premières gorgées te brûlent la trachée. Les suivantes ouvrent ton esprit. Te voilà débordant d'empathie et de sympathie pour ton ami, que dis-je, ton frère. Il plisse les yeux et commence une histoire de sa voix grave. le rythme est lent, peu importe, vous avez toute la nuit et trois ou quatre bouteilles sous la main. Il te parle de son enfance à la campagne, Eden perdu. Vous riez au souvenir des virées alcooliques avec son frère dans les bleds désolés de la Mère Patrie. Et les plans foireux de Roubtchik, tu t'en rappelles, toujours obsédé par les femmes, le bougre. Et ce groupe de rock russe qui a soulevé son cœur d'adolescent. Et puis viennent les confidences plus graves, la guerre en Tchétchénie, au-delà des forfanteries, avec son lot de héros et de racailles ordinaires. La politique prend le pas sur la nostalgie. Cette société qu'il exècre, qu'il veut renverser par une révolution brutale, mais qui vient un matin en uniforme, casser la porte de son appartement pour lui coller un bon coup de pied au cul. Et puis il te parle de ses enfants, il les adore, de sa femme, il l'aime. Enfin, il la déteste souvent pour mieux l'aimer ensuite.



Vous l'aurez compris, ces onze récits, cocasses ou graves m'ont parlés. J'ai eu le sentiment qu'ils étaient « authentiques », sans filtre, chauds d'une fraternité précieuse. Un coup de coeur.

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Le singe noir

Dans une ambiance de canicule étouffante, à Moscou, ce roman de fiction est percutant, noir, glauque, trouble. Il narre l’histoire d’un journaliste enquêtant sur la violence criminelle d’un groupe d’enfants accusés d’avoir massacré les habitants de tout un immeuble.

Zakhar Prilepine nous interpelle dès les premières lignes : « Savez-vous que dans la Chine antique, certains empereurs confiaient les tortures aux enfants ?... Ils les confiaient aux enfants qui, comme on le supposait, ne connaissent pas les catégories du bien et du mal. De plus, en vertu de ce que l’on peut appeler leur nature angélique, ils ne comprennent tout simplement pas ce qu’est la cruauté. On raconte qu’il n’y avait pas de tortures plus raffinées que celles commises par ces enfants. Le saviez-vous ou non ? »

Après cette entrée en matière édifiante j’ai bien failli fermer le livre ! Mais je connais le romancier, j’ai aimé d’autres œuvres.

Zakhar Prilepine nous trace le portrait sombre de ce journaliste homme marié vivant une désolation dans son couple, entre sa femme, maitresse et les putes. Il exerce aussi son métier dans ambiance bizarre !

Cette histoire s’entremêle à d’autres histoires toutes aussi noires et rocambolesques. Difficile de suivre le fil de ce roman où Prilepine dégaine un humour caustique et une multitudes de souvenirs loufoques et violents.

Il est question d’amour, de haine et de violence infantile. Il est questions d’enfants soldats d’Afrique se mêlant aux souvenirs d’armée de notre héros dont la vie s’écroule.

Je l’avoue la lecture est exigeante à tous points de vue et j’ai peiné pour terminer ce livre dont l’ambiance est un tantinet malsaine !

Mais que se passe-t-il donc dans la tête de notre journaliste et dans la tête de Prilepine ? Si les enfants deviennent des meurtriers, pourquoi ? Sont-ils manipulés, sont-ils forcés comme les enfants soldats ? Sont-ils mal aimés et battus ? Où va le monde si des enfants innocents ne distinguent plus le bien du mal ?

Le Singe noir c’est bien ce jouet grotesque qui ne nous fait pas du tout rêver.



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Pathologies

Dans "Pathologies", il y a des oignons, de la vodka, des Kalachnikov, et beaucoup, beaucoup de cigarettes, fumées en tirant très fort dessus, comme l'auteur sur sa "photo d'écrivain" présentée sur Babelio.

Et de l'humain... ? En tout cas, c'est la guerre, où depuis toujours l'Homme brille au plus fort de sa violente absurdité...

Une bouillie, celle qui vous retourne le coeur, sans comprendre quel sens dégoute-t-elle le plus. La chair et la boue se mélangent ad nauseam, devant nos yeux qui se brouillent faute de réelle force descriptive; quelques fulgurances dans l'ignoble, dès les premiers chapitres, tel ce vomi qui n'est que chien... oui, la guerre est insoutenable, mais se contenter d'en barbouiller les contours d'humeurs n'aide en rien, même à en prouver, encore une fois, sa sauvage absurdité.



Car on le dit talentueux, ce Prilepine, et je le crois volontiers, d'autres lectures à venir pourront me le prouver; ce premier roman, contrairement à l'avis éclairé de PatriceG, souffre pour moi de nombreux défauts, dont je tente ici de discuter malgré la difficulté du jugement négatif, qui peut faire hésiter le critique amateur à s'engager, toutes précautions d'usage sorties.



Pathologies donc, pluriel désignant à la fois la jalousie du narrateur envers les relations passées de sa compagne, et supposées les comportements de ces "spetsnaz" au combat, dont au final on ne saura pas grand chose, la partie tchétchène du livre étant centrée sur l'action, alternée avec ces flash-backs du narrateur, tantôt de son enfance, ou d'un âge adulte incertain où il y décrit sa vie avec Dacha. Je trouve cette alternance plutôt vide de sens, les temporalités ne se répondant qu'en creux, le prologue que l'on peut supposer postérieur à toute l'action noyant littéralement le tout.

Même habitué à la littérature russe, le va-et-vient incessant entre surnoms, patronymes et diminutifs des personnages, couplées à une analyse psychologique plus que sommaire, renforcent la désincarnation des protagonistes. le texte ne bénéficiant pas non plus d'une vraie force d'évocation du théâtre, suivre l'action devient difficile. Tout ceci pourrait être interprété comme volonté de brouiller, de rendre compte de ce maelström dégoulinant qu'est la guerre, l'auteur ayant une vocation de témoignage sans jugement clair, on le comprend bien.



Pour achever le tout, je trouve la couverture du livre particulièrement ratée, l'édition en poche ayant depuis corrigé le tir.



Voilà, je vais à présent boire une vodka en croquant dans un oignon, en attendant de recevoir, merci Babelio et les éditions des Syrtes, le dernier livre de Prilepine, confiant qu'il ait bien sa place dans le gratin des écrivains russes contemporains, au côté des Golovanov, Pelevine et autre Sorokine.
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L'archipel des Solovki

Voilà un roman de 900 pages dont la lecture n'est pas toujours facile mais que je quitte à regret !

L'arrière grand-père de Zakhar Prilépine a été dans un camp allemand, « enfant il sentait, dit-il une grande histoire, mais dans sa famille on en parlait pas ». Voilà une raison suffisante pour prendre sa plume !

Zakhar Prilépine s'est bien documenté il a fait un énorme travail, mais le tout est un roman de fiction.

le roman se déroule sur « L'île aux mouettes et aux moines noirs qui a reçu le nom de Solovki », plus précisément, dans le monastère, cette forteresse construite au XVI siècle par Zosime, Savva et Germain moines ascètes.

Le monastère fut transformé en prison sous les tsars puis il fut, comme on a coutume de le dire «en laboratoire du Goulag » sous Lénine puis sous Staline. Zakhar Prilépine nous raconte en quelque sorte la genèse du goulag dans un récit gigantesque et tentaculaire.

Ce monastère est devenu le haut lieu de Orthodoxie.



Nous sommes en 1929 nous entrons donc dans cette prison avec le jeune Artiom, au-dessus des portes on peut lire : « Nous tracerons une nouvelle route sur la terre. le travail sera le maître du monde » ! La rééducation par le travail est donc l'idée rédemptrice !

Dans les années 20 ne pas oublier nous dit Zakhar Prilépine que « le pouvoir soviétique pensait pouvoir changer l'être humain ». Peut-être ? Mais ce ne fut qu'horreur !



Dans cet espace clos, se trouve rassemblé une population de toutes origines : ethnique, sociale, (paysans, aristocrates, riches et pauvres) religieuse, politique (tchékistes, bolchevicks) militaire (officiers de l'armée blanche, soldats de l'armée rouge) et des droits communs (criminels, voleurs, malfrats).

Tout au long du roman nous découvrons les conditions de vie dans le camp, et une multitude de personnages dont pour les plus marquants :

Artiom, jeune, vigoureux, et esprit libre ; mais il a pour défaut la fougue et la spontanéité de sa jeunesse qui ne le serviront pas toujours. Il a cependant une bonne étoile qui le protège ! Il aura la chance de connaître l'amour avec Galia, et il va tout faire pour ne pas mourir dans cet « antichambre de l'enfer ».



Eïkhmanis le chef du camp, « c'est un salaud, sinon comment aurait-il pu le devenir" dit Afanassiev le poête,

(Eïkhmanis a réellement existé il est d'origine allemande, à la fin du livre nous avons une petite biographie édifiante sur cet homme brillantissime).



Galia , jeune, avide de vivre, fait partie de l'administration du SLON elle travaille à l'ISO (cellule isolement des prisonniers). Elle va séduire Artiom et connaître l'amour. Galia c'est aussi l'autre personnage réel dans ce roman, elle a laissé un journal que Eïkhmanis a conservé, sa fille l'a offert à Zakhar Prilépine qui ne connaissait pas son existence ; Il est inséré en fin de roman.

Tous ces éléments sont du plus grand intérêt et éclairent sur la part de vérité dans le récit, pas si fictif malgré tout !



Vassili Petrovitch, l'homme qui veut prendre Artiom sous son aile, l'aider, l'éduquer et le protéger ; « dans cet endroit lui dit-il, il ne faut pas chercher à vaincre, il ne faut ni bravade ni suffisance ». C'est aussi le sage, celui qui dit : « ici tous peu à peu deviennent féroces, c'est effrayant nous avons une âme tout de même…"! Mais qui est vraiment cet homme, Artiom ne sait rien de lui ?



Afanassiev le poète, qui apporte une part de rêve, « parler avec eux, c'est comme écrire des vers : on trouve la rime et on dame le pion »



Solomonovitch le chanteur.

Les Tchétchènes, surveillants cruels et sans pitié.



Krapine le bourreau sadique, et Ksiva le pickpocket, le criminel, le truand bourreau qui harangue incessamment avec des paroles abjectes et insultantes.



A coté de toute « cette racaille » il y le bon père Ioan, celui qui soigne le corps et console l'âme, celui qui élève les « consciences au bien, aux valeurs existentielles et religieuses dans ce monde de violence et de trahison »



Enfin, au dessus du monastère et au-dessus de toutes ces têtes, planent, menaçantes une multitude de mouettes rieuses, moqueuses, criardes, assommantes, elles scandent ce fou et lugubre récit. Elles sont cruelles, voleuses et chapardeuses, tous les zeks affamés convoitent leur chair, mais, tuer une mouette est puni de mort !



Dans ce monde rude, ce monde de cruauté, le travail forcé est harassant, épuisant, mortel quelquefois. L'hiver il fait un froid intense, les zeks presque nus et affamés travaillent sous les coups des bourreaux qui sont souvent des détenus de droits communs ! La haine décuple la force les coups sont quelque fois mortels... Ce système vicié fonctionne à merveille !

La punition c'est l'isolement et les tortures raffinées à la Sekirka, cellule de toutes les horreurs. Tous sont horrifiés à l'évocation de ce nom ils savent que c'est la mort assurée, de froid, de faim et de tortures.

Je vous épargnerez toutes ces horreurs c'est dans le monde entier toujours les mêmes, indicibles, insupportables, l'homme est capable du pire et du meilleur et l'histoire ne sert pas de leçons !

Dans le camp il y a aussi une vie culturelle, une bibliothèque, un théâtre, un orchestre, on parle politique et philosophie, des soirées de discussions sont organisées, à l'insu des gardiens, chez Mezernitski le penseur, philosophe et agitateur avec ses idées contre révolutionnaires, Artiom, Vassili Petrovitch, Afanassiev, le père Ioan et d'autres y participent.

Des compétitions sportives ont lieu : « le sport c'est la rédemption de l'esprit, aussi importante que le travail." « Oui, nous dit Zakhar Prilépine à côté de la férocité il y avait ça » !

Heureusement, Zakhar Prilépine nous offre un havre de paix, une romance : l'amour entre Artiom et Galia. Ces deux-là vont s'aimer au péril de leur vie lors de rencontres furtives, érotisme et sensualité sont au rendez-vous

Puis, un jour, après une tentative d'assassinat du chef de camp, tout se dérègle, tout tourne à la folie, les violences se déchainent, les exécutions se multiplient.

Le récit change de ton et de rythme et commence alors, pour tous, une longue descente aux enfers… je vous laisse découvrir



Ce roman est une mine de renseignements sur l'histoire de la Russie, l'histoire de l'orthodoxie (la réforme Nikon et les vieux croyants), l' histoire des Solovki avec ses labyrinthes végétaux énigmatiques datant du II siècle avant JC, l'histoire du monastère, avec des canaux creusés par les moines et enfin la naissance du Goulag . « Les Solovki sont le reflet de la Russie où tout est comme sous un verre grossissant – authentique, désagréable, évident » nous dit Prilépine.

L'écriture de Zakhar Prilépine n'est pas toujours facile, son langage est imagé, ses comparaisons sont souvent surréalistes, les images sont insolites par exemple : « Il s'élevait de l'intérieur des gémissements douloureux de femme, comme si chacune d'entre elles était possédée non par un mâle de race humaine, mais par un diable aux testicules noircis par le feu et au sexe de taureau incandescent – mince, long comme une baïonnette et demie, qui ressortait, gluant, des profondeurs d'un ventre plein de vers et d'une puanteur gargouillante ». Ou encore : « il se sentait plein de poissons morts, sonores, dénudés, qui roulaient ici et là comme au fond d'une chaloupe » ou bien « une sirène retentit, longue et toujours inattendue- elle vrillait dans une tempe comme un foret et ressortait de l'autre côté, en tournant toujours, avec un bout de crâne à son extrémité ». Parfois le ton peut devenir humoristique même si l'endroit ne s'y prête pas.



Zakhar Prilépine sait créer l'ambiance, l'atmosphère est étrange, le brouillard, la pluie, la neige, la boue, le cri des mouettes. Enfin il nous dit dans un interview que dans son livre il parle aussi « des russes, de leur endurance et de leur résignation ».

Voilà je ne vous ai pas tout dit 900 pages ça ne se résume pas facilement, à vous de découvrir !





































































































































































































































































































































































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Des chaussures pleines de vodka chaude

Dans «Limonov », son dernier ouvrage, Emmanuel Carrère mentionne avec considération Zakhar Prilepine, ce jeune auteur en vogue de 36 ans dont les œuvres rencontrent un grand succès auprès des citoyens russes des classes « inférieures ». Il est vrai que cet écrivain, adhérent au parti National Bolchevik (le parti fondé par Limonov) et militant anti-Poutine convaincu, a fait croître son œuvre dans le limon fertile de la Russie profonde, celle des campagnes boueuses, des villages à peine mentionnés sur les cartes, celle de la ruralité et de la pauvreté, celle de l’ennui, du désenchantement et de l’alcoolisme, enfin celle qui conserve dans ses chairs les plaies récentes des guerres en Tchétchénie dans lesquelles l’auteur a été personnellement engagé.



Après « Péchés » pour lequel il a reçu la plus haute distinction littéraire russe, le prix Supernatsbest 2011, après « San'kia » chronique douce amère des années Poutine, Zakhar Prilepine continue son exploration des confins de la Russie, mettant à jour la misère physique et morale et le désœuvrement dans lesquels une grande partie du pays, oublié par ses dirigeants, semble bien prêt de s’enliser.

A l’heure où l'on ne nous parle que d’oligarques et de nouveaux riches, de jeunes loups aux dents longues couverts d’or et de filles, d’une Moscou dorée où caviar et argent coulent à flot, il est intéressant de découvrir, à travers les nouvelles plumes de l’Est, que la réalité est tout autre et que si une infime partie de la population a su profiter d’une démocratie fondée essentiellement sur un libéralisme de marché effréné, la majeure partie du pays, provinciale et rurale, vit dans la précarité et n’est pas loin de déplorer l’époque stalinienne.

Un envers du décor que Zakhar Prilepine dénonce dans les onze nouvelles qui composent « Des chaussures pleines de vodka chaude », nous montrant ainsi un pays en jachère, abandonné à son triste sort et en proie à une totale vacuité existentielle.



Mais si ces nouvelles font état d’une réalité morne et d’un avenir bouché s’annonçant bien morose particulièrement pour la jeunesse de ce pays, le ton employé par Prilepine, à la fois viril et tendre, n’est jamais vindicatif, dramatique ou excessivement fataliste. Au contraire, il y a dans ses textes une énergie, une fraîcheur, un sentiment de camaraderie et de solidarité qui se dégagent de tout accablement pour s’inscrire dans une lecture aux intonations sincères, justes et touchantes.

Au travers de nouvelles comme « Gilka », « Récit de garçons », « Viande de chien », etc.…Prilepine aborde des sujets très contemporains avec finalement, une écriture de facture plutôt classique, dépourvue de vulgarité mais non dénuée d’un humour bon-enfant ainsi que d’une poésie douce et mélancolique que viennent auréoler d’originales et jolies métaphores.



Amitiés viriles, fraternité, femmes, guerre, jeunesse, alcool…le jeune auteur russe, avec une compréhension fine des mentalités et une affection mâle un peu bourrue, peint un tableau de la Russie contemporaine où les ors et les dorures du Kremlin font place à des voitures cabossées, à des jeunes gars qui veulent épater des filles, à des chemins boueux menant à des villages désormais désertiques…Tout cela généreusement arrosé de vodka dans un pays où les mots « tu veux boire ?» comptent « parmi les plus importants qui définissent les destins de la civilisation russe »…

Car dans cette Russie que l’on sent désolée et lasse, la vodka, c’est bien la seule chose qui ne fait jamais défaut !

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Des chaussures pleines de vodka chaude

J'ai dévoré ce recueil excellent. Quel nouvelliste ! Il y a du Tchekhov chez Prilepine : il est toujours à hauteur d'homme, toujours en empathie avec ses personnages, ses bousillés, ses paumés, ses déglingués. Aucune naïveté, aucune complaisance, là-dedans. Il décrit la bêtise et la violence des soldats, telles qu'elles sont, sans fioriture et sans complaisance mais sans condescendance et sans cynisme non plus. On dirait du Babel. j'aime le regard viril et sentimental qu'il porte sur son frère et ses potes bien allumés, sa femme et sa fille. J'aime la description truculente et nostalgique de l'enfance perdue, dans son bled rural et oublié. le voisin un peu chelou qui drague la petite soeur, les mecs qui cherchent la baston au bal. Les grandes réunions de famille autour de la Babouchka qui croque dans la fraîche pastèque sans se soucier des guêpes qui se sont posées dessus. Les femmes sont plutôt en arrière plan mais elles sont solides. Il en faut de la solidité pour supporter tous ses buveurs de vodka et de bière ! Qu'est-ce que ça picole !

Au fait si vous voulez avoir une explication sur le titre, ne comptez pas sur moi mais lisez ce recueil formidable !
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Une fille nommée Aglaé

Pour aborder l'oeuvre de Zakhar Prilepine, l'enfant terrible de la littérature russe contemporaine, j'ai choisi de commencer par un de ses recueils de nouvelles :"Une fille nommée Aglaé". Il comprend sept récits aux cadres différents qui offrent un panorama de la Russie d'aujourd'hui. Le premier texte illustre la fracture entre un pays moderne et ses campagnes arriérées symbolisée par le train de Moscou traversant à toute allure des zones isolées sans jamais s'y arrêter. Direction ensuite une ville de province sinistrée. Les salaires n'ont pas été payés depuis trois mois, l'usine a été vendue à des investisseurs étrangers pour être mieux liquidée, et la nuit, la ville ne vibre plus que des bagarres entre bandes de voyous et membres des forces spéciales. Les récits sont hantés par la figure paternelle, qu'elle soit méprisable ou épatante. le fils et le père ne parviennent jamais à communiquer et donc à se comprendre. La tendresse de simples gestes n'est saisie qu'une fois arrivé à l'âge adulte. Quant aux rapports avec les femmes, tout n'est que malentendu, que cela soit dans l'affectation étouffante d'une mère que dans l'amour inaccessible d'une jeune beauté. Les personnages aiment à se remémorer des moments de leur enfance ou de leur jeunesse, et après le constat amer du présent, naît la conscience de l'inéluctabilité des événements. Ainsi soit-il.... Le recueil termine en apothéose par une nouvelle de toute beauté : "la forêt" dont je recommande la lecture.

J'ai donc découvert un premier pan de l'oeuvre de Zakhar Prilepine et je compte m'attaquer dans peu de temps à son dernier roman : "l'archipel des Solovki".
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Une fille nommée Aglaé

Écrivain russe ,né en 1975, Prilepine est aussi appelé "le porte-parole de la génération "de ceux qui sont sortis de l'Union Soviétique à l'aube de leur adolescence et ont grandi et mûri a l'époque du capitalisme des jungles.

Dans ce deuxiéme livre de nouvelles que je viens de lire,on retrouve sa colère devant la misère économique et morale d'une grande partie de la population depuis la pérestroïka . Sept nouvelles, dont deux, de courts romans, qui se passent dans la Russie profonde. Des personnages torturés, abusant de l'alcool et autres substances, des relations familiales peu saines dû en grande partie au climat moribond économique et social, des relations homme-femme difficiles et la nostalgie d'une figure de pére distant voir absent. C'est une Russie, où il n'y a ni justice, ni droits communs, la foi y est mais n'arrive pas à subvenir à la morale.

L'humour est toujours présent ,mais beaucoup moins que dans ses nouvelles "Des chaussures pleines de vodka chaude", il a l'air d'avoir durci...vieilli...c'est ce qui me fait penser la dernière nouvelle de son livre, "La Forêt ", que j'ai beaucoup aimé avec celle qui a donné son titre au livre,truculent!

Mais pour qui n'a jamais lu Prilepine ,je conseillerais de commencer par"Des chaussures pleines de vodka chaude", c'est moins "hard".
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Je viens de Russie

Je remercie vivement Babelio Masse critique et les « éditions de la différence » pour m’avoir permis de découvrir ce livre et son auteur. Ce livre est très curieux, inclassable puisqu’il ne s’agit pas d’un roman mais de chroniques. Chaque chapitre est une réflexion sur un thème particulier et il va évoquer successivement ce qu’il pense de la Russie, de l’ex URSS, de ses dirigeants ceux de l’époque communiste, la transition avec Gorbatchev, Eltsine, et bien sûr de Poutine et Medvedev, de la vie de tous les jours, l’actuelle et celle d’avant.

Il évoque aussi la liberté d’expression, en comparant les différentes époques, les conditions dans lesquelles il est obligé de travailler en tant que journaliste.

Il nous parle de son amour pour la littérature, en énumérant les auteurs qu’il aime et pourquoi il les aime, la musique, les arts en général, et nous décrit le « peuple russe » qu’il aime comme on aime sa mère avec de la tendresse et de la colère, car il n’insurge contre ceux qui ne bougent pas….





Ce que j’en pense :



C’est un livre difficile à définir. Je m’attendais à un roman, et ce sont des chroniques. L’auteur qui est journaliste écrivain nous parle de son amour de sa terre qu’il considère pratiquement comme sacrée.

Le livre se compose de deux parties. La première partie s’appelle « je viens de Russie (comme le titre du livre) et s’étend de 1999 à 2008.

Il y évoque son amour pour son pays et nous décrit ce pays sous toutes ses formes : sa culture, sa façon de vivre, ses politiciens, ses conditions de vie les comparant avec l’Occident ….

On voit très vite son rejet du libéralisme. Il pense qu’avant sous l’ère soviétique les gens étaient plus solidaires, partageaient plus, se nourrissaient de peu, il n’y avait pas de tentations possibles, les Russes, ignorant qu’il pouvait exister autre chose, ne pouvaient pas se sentir frustrés…

Il fait une belle description de la beauté en citant Dostoïevski. On note une nostalgie des grands écrivains du XIXe, à l’époque des Tsars. Il est fascinant quand il nous parle de culture et d’arts.

Quand il parle des dirigeants, il n’est pas tendre… il ne porte pas beaucoup Gorbatchev dans son cœur et nous parle de son surnom : « Gorbatch » qui pour lui sonne dur et évoque un caractère rigide alors qu’en fait dans l’esprit des gens cela se rapproche de « Gorgoucha » qui est un poisson de la famille des salmonidés et qui fait référence à sa fameuse tache.

On a le même scénario avec Poutine mot qui signifie en russe « lumbago » et se rapproche de « paoutina » qui veut dire toile d’araignée. On voit tout de suite comment il considère ces deux présidents, et le chapitre consacré à son entrevue avec Poutine qui reçoit des écrivains dans son bureau est surprenant car il analyse le comportement du personnage : charmeur et inquiétant, obsessionnel car il note absolument tout et biffe les réponses

On note également un excellent chapitre dans lequel il compare Cervantès et le Ché qu’il considère comme le « jumeau métaphysique » de Cervantés et il compare de façon truculente leurs deux destins.

Il aborde aussi un autre thème : la superstition et de la suspicion chez les Russes, et insiste sur le fait que les gens cherchent ce qui se cache derrière les phrases des écrivains, cherchant entre les lignes. On sent ce que ces gens peuvent endurer car ils sont sans arrêt sous surveillance et ne doivent se contrôler en permanence, se censurer car on ne sait jamais vraiment qui est son voisin.

Il consacre un chapitre à l’ambivalence de l’âme russe en faisant un parallèle entre la fin du tsarisme et l’époque actuelle qui est époustouflant, comme si c’était une nation qui n’arrive pas à naître et accouche dans la souffrance d’un fœtus mort.

On sent son attachement profond au monde paysan qui est le monde vrai alors que le villes sont superficielles, sans profondeur.

Dans la deuxième partie, il parle de lui, de sas conditions de travail, de son grand-père, héros de la guerre, de la difficulté pour trouver un emploi, des tracasseries administratives, des conditions dans lesquelles il exerce son travail de journaliste car son journal est considéré comme subversif, ce qu’il pense de l’école dans son pays..

C’est un livre difficile à lire (il m’a fallu presque 30 jours car je rends ma critique au dernier moment. On ne sait pas bien s’il regrette l’URSS car les Russes étaient lobotomisés donc c’était bien agréable d’obéir, d’être docile car on était nourri ; il donne l’impression d’être dans l’utopie à la recherche d’un monde meilleur. Personne ne trouve grâce à ses yeux, le chapitre qu’il consacre à Sakharov est stupéfiant qui, pour lui, est un dissident donc un traître à sa patrie alors qu’il se comporte lui-même comme un dissident mais qui ne quitte pas son pays et fait de la résistance sur place.

J’ai besoin de lire un bon roman pour me remettre. La note que je lui attribue est en lien avec le travail sérieux qu’il a effectué et des interrogations qu’il a soulevées en moi.

Note : 6,5/10

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Je viens de Russie

«Mes vertèbres sont en place. Mon sang coule dans mes veines. Je viens de Russie.»
p 152



Même si l’aspect politique est important au gré des chroniques qui composent «Je viens de Russie» ce que je retiens, qui m’a touchée, c’est avant tout qu’à travers ces textes qui couvrent les années 1997 à 2011, apparaît un homme attachant, passionné, vivant, plein de contradictions, qui assume ce qu’il est en prenant des risques, en s’engageant, un homme qui aime ses semblables aussi, qui prend part à leur destin :



«Courage et patience, pitié et colère sont les quatre points cardinaux du Russe.


(...) Je n’ai absolument pas souvenir d’une seule personne dont je pourrais dire : c’est un salaud de première qui ne mérite que la mort. Tous les hommes que j’ai rencontrés brillaient par leur extravagance, leur cruauté ou leur bassesse extrême. Tels qu’ils sont, on aimerait les protéger et les choyer.


Bien sûr, on peut toujours tuer quelqu’un, mais en règle général, il vaut mieux éviter. Laissez-les vivre, tous.


Je me sens un lien de parenté avec eux.» 
(chronique «Tous les russes autour d’une même table»)





Prilepine quand il parle de son enfance, de son grand père qui a combattu les nazis («Nikolaï Egorytch, mitrailleur») et de son amour fusionnel pour la terre mère, la terre russe, le sang de cette terre, s’inscrit dans la lignée des écrivains et poètes russes qui l’ont précédé (Essenine, Bounine, par exemple, qu’il semble beaucoup aimer) :



«La terre a des qualités indubitables. A la différence des hommes, elle se tait. On peut prêter l’oreille à son silence et en capter la nature : est-il sombre ? tendre ? majestueux ?



Le sang aussi est silencieux, son flux est semblable à celui du temps. On peut ouvrir les veines du temps, et alors il coule hors du corps et déborde dans l’eau chaude, dans la serviette roulée en boule, dans les cris des proches et l’horreur curieuse de ceux qui n’en sont pas.» p10

( chronique «Le sang chante, la terre est en liesse»)



Son «nationalisme» (entre guillemets car ce mot n’a pas la connotation péjorative qu’on lui prête chez nous. Pour comprendre ce qu’il nous dit, ce dont il rêve, il faut abandonner tous nos préjugés occidentaux vis à vis de la Russie) se renforce par réaction face à la destruction et au pillage de toute la société russe tombée aux mains de mafieux qui ont volé les biens de l’état et les exploitent à leur seul profit, la grande braderie des années 1990, les années Eltsine que Prilepine qualifie de «bordel démocratique». Quand l’URSS a disparu ce n’est pas à cela que s’attendait le peuple russe humilié et appauvri par un libéralisme sauvage.



«Le pays est exhibé comme un animal qu’on vient de tuer à l’abattoir, les quatre fers en l’air, les entrailles ouvertes : approche-toi et viens te réchauffer les mains.
La réalité est évidente, elle s’autoproclame ; inutile de se plonger dans un livre pour faire tomber le voile de nos yeux et tout comprendre. Tout est visible -- il suffit de regarder.»
p 72 73(chronique «Encore un coup du petit Poucet»)



Zakhar Prilepine me séduit par son langage emporté, violent, imagé, sans détours dans lequel percent des notes de poésie, de tendresse et d’humour. Et oui, il peut en déranger plus d’un... Mais qu’il séduise ou dérange il mérite d’être lu.

Merci à Babelio dans le cadre de Masse Critique et aux éditions La Différence pour m’avoir offert ce livre qui m’a fait découvrir un auteur russe que je vais continuer à lire.

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Le péché

"Le Péché est une gourmandise littéraire" est écrit en quatrième de couverture. Il ne m'a pas fallu plus pour l'acheter, sans connaître l'auteur, car je ne me souviens pas avoir jamais été déçue par de la littérature russe. Et bingo ! J'ai vraiment adoré.



Ces nouvelles, en grande partie autobiographiques, sont liées entre elles car elles racontent toute un fragment de la vie de Zakharka, qui n'est autre que le double de l'auteur.



C'est l'histoire d'un jeune couple qui vit littéralement d'amour et... de vodka. Malgré qu'ils n'ont pas le sou (hormis pour leur vodka), il recueillent un quatuor de chiots abandonnés.



C'est l'histoire de deux jeunes frères de la campagne, amoureux de la même fille qui, elle, vient de la ville. Mais elle est si jolie, beaucoup papillonneront autour d'elle.



C'est l'histoire d'un adolescent aux études, venu passer ses vacances chez ses grands-parents. Il y retrouvera ses cousines le temps d'un été.



C'est l'histoire d'un jeune qui rêvait d'entrer à la légion, estimant ne pas avoir d'avenir ailleurs. Une rencontre va le détourner de ce destin, rencontre d'amitié noyée dans l'alcool.



C'est l'histoire d'un petit garçon qui veut coûte que coûte participer au jeu des plus grands. Ils jouent à chat. Un des meneurs l'intègrera au groupe avant de se cacher lui-même. Se cacher. Se cacher tellement bien...



Ce sont des histoires de voisins de palier dans un HLM, des histoires de soldat, de fossoyeur, de videur de cabaret.



Enfin, c'est l'histoire d'un jeune père qui raconte ses enfants. Oh, celle-là, un petit bijou ! Véritable ode à l'amour paternel.



Ces nouvelles sont tout simplement magnifiques. Pas seulement parce qu'elles sont bougrement bien écrites, qu'elles parlent d'amour, de solitude, de vague-à-l'âme, avec humour et poésie, mais parce qu'on s'attache à Zakharka. Il est comme une personne hors du temps, d'une nature sensible et optimiste malgré ses déboires. Il est en fait un "bouffeur" de vie en prenant tout ce qui se présente à lui, le bon comme le mauvais.



Ah, j'oubliais. L'auteur écrit aussi de la poésie. Il y a contraste entre ses histoires, souvenirs de son passé et les vers qui pour moi sont emprunts de noirceur et de désillusion.



Un auteur à découvrir. Réellement.
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L'archipel des Solovki

J'ai un peu de mal à digérer ce gros plat de bortsch russe qui fait des clins d'oeil au goulag de Soljenitsyne et je n'ai tenu la distance que par mon souvenir (touristique et historique) des îles Solovki et de son étonnant monastère, isolé sur la mer Blanche.



Sous le bolchevisme triomphant, il fut un camp de travail où se côtoyaient autant des droits communs que des relégués politiques ou sociaux pour le moindre larcin.

La plume de Zakhar Prilepine dessine un « laboratoire de rééducation », une industrie pénitentiaire en monde fermé et ubuesque, dantesque dans son organisation administrative en strates de compétence, violente dans sa gestion, incongrue par la cohabitation d'individus aux parcours ou appartenances inconciliables, réunis par l'arbitraire de l'Etat.



Artium, 28 ans, éduqué, intelligent et opportuniste par nécessité, y est en relégation pour meurtre. Sa vie de prisonnier est un perpétuel challenge de survie pour éviter les punitions, les blessures et la maladie, le cachot, la délation et la faim obsessionnelle.



Sur un décor fort réaliste de l'époque, de la société et des lieux, s'invite une trame romanesque sans grand intérêt. Si on peut saluer l'excellence de la documentation, on doit ingurgiter un gros roman foisonnant et bavard, qui se noie dans les détails et les conversations, et qui arrive même à paraître burlesque dans ses excès dramatiques. Un mélange des genres pas toujours réussi, à mon avis.



S'il n'est pas sans intérêt pour les jeunes générations de remettre en lumière une page d'histoire de l'URSS, les plus anciens, dont je suis, trouvent là comme un parfum de déjà lu.

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L'archipel des Solovki

Ce livre est puissant, 800 pages mais pas une qui baisse d'intensité ! C'est étonnant comme un écrivain (au passage officier russe) peut tenir son écriture avec autant de constance, fermeté, fluidité. Pas une phrase foireuse, inutile ou facile. Une véritable endurance militaire justement, quoique au service de l'art d'écrire, de la finesse d'analyse psychologique, introspection et projection dans l'esprit des autres. Ces trésors m'ont laissée coite. J'ai été sciée par sa force à faire apparaître les sentiments de ses personnages, ou inversement à faire comprendre que leur esprit se bloquait en chemin pour éviter d'être débordé par des réflexions qui vont leur ôter de la vie et de la puissance, ce qu'ils ne peuvent se permettre dans le contexte d'une survie au goulag.

Je l'ai lu en une semaine, avec l'impatience de retrouver Artiom, le "héros", sa force, sa jeunesse, sa grandeur d'âme, puis l'angoisse de voir au fil des épreuves les barrières de la civilisation tomber en lui comme des jouets et non comme les murailles qu'on les pensait être.

Il fait le choix de sauver sa peau et pour cela il doit renoncer à quasiment tout ce que la civilisation et même le raffinement de la culture avaient façonné en lui, mais qui ne se révèlent d'aucune utilité pour sa survie, voire même un poids encombrant et nocif.

Un moment, au cœur de ce goulag, on a l'impression que l'amitié va sauver le restant de beauté qu'il a réussi à entretenir avec quelques camarades choisis, mais, et c'est horrible, tout s'effrite sans recours.

L'amour est creux aussi dans ce contexte, car il est pris entre les tenailles des relations de pouvoir, falsifié, galvaudé; il lui est impossible de s'épanouir, les deux amants étant chacun à un pôle opposé du pouvoir (elle chef, lui prisonnier); rien de beau ne peut advenir dans ce contexte.

Oui ce livre est puissant et je pense qu'il va marquer durablement ses lecteurs.



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