Voilà un roman de 900 pages dont la lecture n'est pas toujours facile mais que je quitte à regret !
L'arrière grand-père de Zakhar Prilépine a été dans un camp allemand, « enfant il sentait, dit-il une grande histoire, mais dans sa famille on en parlait pas ». Voilà une raison suffisante pour prendre sa plume !
Zakhar Prilépine s'est bien documenté il a fait un énorme travail, mais le tout est un roman de fiction.
le roman se déroule sur « L'île aux mouettes et aux moines noirs qui a reçu le nom de Solovki », plus précisément, dans le monastère, cette forteresse construite au XVI siècle par Zosime, Savva et Germain moines ascètes.
Le monastère fut transformé en prison sous les tsars puis il fut, comme on a coutume de le dire «en laboratoire du Goulag » sous Lénine puis sous Staline. Zakhar Prilépine nous raconte en quelque sorte la genèse du goulag dans un récit gigantesque et tentaculaire.
Ce monastère est devenu le haut lieu de Orthodoxie.
Nous sommes en 1929 nous entrons donc dans cette prison avec le jeune Artiom, au-dessus des portes on peut lire : « Nous tracerons une nouvelle route sur la terre. le travail sera le maître du monde » ! La rééducation par le travail est donc l'idée rédemptrice !
Dans les années 20 ne pas oublier nous dit Zakhar Prilépine que « le pouvoir soviétique pensait pouvoir changer l'être humain ». Peut-être ? Mais ce ne fut qu'horreur !
Dans cet espace clos, se trouve rassemblé une population de toutes origines : ethnique, sociale, (paysans, aristocrates, riches et pauvres) religieuse, politique (tchékistes, bolchevicks) militaire (officiers de l'armée blanche, soldats de l'armée rouge) et des droits communs (criminels, voleurs, malfrats).
Tout au long du roman nous découvrons les conditions de vie dans le camp, et une multitude de personnages dont pour les plus marquants :
Artiom, jeune, vigoureux, et esprit libre ; mais il a pour défaut la fougue et la spontanéité de sa jeunesse qui ne le serviront pas toujours. Il a cependant une bonne étoile qui le protège ! Il aura la chance de connaître l'amour avec Galia, et il va tout faire pour ne pas mourir dans cet « antichambre de l'enfer ».
Eïkhmanis le chef du camp, « c'est un salaud, sinon comment aurait-il pu le devenir" dit Afanassiev le poête,
(Eïkhmanis a réellement existé il est d'origine allemande, à la fin du livre nous avons une petite biographie édifiante sur cet homme brillantissime).
Galia , jeune, avide de vivre, fait partie de l'administration du SLON elle travaille à l'ISO (cellule isolement des prisonniers). Elle va séduire Artiom et connaître l'amour. Galia c'est aussi l'autre personnage réel dans ce roman, elle a laissé un journal que Eïkhmanis a conservé, sa fille l'a offert à Zakhar Prilépine qui ne connaissait pas son existence ; Il est inséré en fin de roman.
Tous ces éléments sont du plus grand intérêt et éclairent sur la part de vérité dans le récit, pas si fictif malgré tout !
Vassili Petrovitch, l'homme qui veut prendre Artiom sous son aile, l'aider, l'éduquer et le protéger ; « dans cet endroit lui dit-il, il ne faut pas chercher à vaincre, il ne faut ni bravade ni suffisance ». C'est aussi le sage, celui qui dit : « ici tous peu à peu deviennent féroces, c'est effrayant nous avons une âme tout de même…"! Mais qui est vraiment cet homme, Artiom ne sait rien de lui ?
Afanassiev le poète, qui apporte une part de rêve, « parler avec eux, c'est comme écrire des vers : on trouve la rime et on dame le pion »
Solomonovitch le chanteur.
Les Tchétchènes, surveillants cruels et sans pitié.
Krapine le bourreau sadique, et Ksiva le pickpocket, le criminel, le truand bourreau qui harangue incessamment avec des paroles abjectes et insultantes.
A coté de toute « cette racaille » il y le bon père Ioan, celui qui soigne le corps et console l'âme, celui qui élève les « consciences au bien, aux valeurs existentielles et religieuses dans ce monde de violence et de trahison »
Enfin, au dessus du monastère et au-dessus de toutes ces têtes, planent, menaçantes une multitude de mouettes rieuses, moqueuses, criardes, assommantes, elles scandent ce fou et lugubre récit. Elles sont cruelles, voleuses et chapardeuses, tous les zeks affamés convoitent leur chair, mais, tuer une mouette est puni de mort !
Dans ce monde rude, ce monde de cruauté, le travail forcé est harassant, épuisant, mortel quelquefois. L'hiver il fait un froid intense, les zeks presque nus et affamés travaillent sous les coups des bourreaux qui sont souvent des détenus de droits communs ! La haine décuple la force les coups sont quelque fois mortels... Ce système vicié fonctionne à merveille !
La punition c'est l'isolement et les tortures raffinées à la Sekirka, cellule de toutes les horreurs. Tous sont horrifiés à l'évocation de ce nom ils savent que c'est la mort assurée, de froid, de faim et de tortures.
Je vous épargnerez toutes ces horreurs c'est dans le monde entier toujours les mêmes, indicibles, insupportables, l'homme est capable du pire et du meilleur et l'histoire ne sert pas de leçons !
Dans le camp il y a aussi une vie culturelle, une bibliothèque, un théâtre, un orchestre, on parle politique et philosophie, des soirées de discussions sont organisées, à l'insu des gardiens, chez Mezernitski le penseur, philosophe et agitateur avec ses idées contre révolutionnaires, Artiom, Vassili Petrovitch, Afanassiev, le père Ioan et d'autres y participent.
Des compétitions sportives ont lieu : « le sport c'est la rédemption de l'esprit, aussi importante que le travail." « Oui, nous dit Zakhar Prilépine à côté de la férocité il y avait ça » !
Heureusement, Zakhar Prilépine nous offre un havre de paix, une romance : l'amour entre Artiom et Galia. Ces deux-là vont s'aimer au péril de leur vie lors de rencontres furtives, érotisme et sensualité sont au rendez-vous
Puis, un jour, après une tentative d'assassinat du chef de camp, tout se dérègle, tout tourne à la folie, les violences se déchainent, les exécutions se multiplient.
Le récit change de ton et de rythme et commence alors, pour tous, une longue descente aux enfers… je vous laisse découvrir
Ce roman est une mine de renseignements sur l'histoire de la Russie, l'histoire de l'orthodoxie (la réforme Nikon et les vieux croyants), l' histoire des Solovki avec ses labyrinthes végétaux énigmatiques datant du II siècle avant JC, l'histoire du monastère, avec des canaux creusés par les moines et enfin la naissance du Goulag . « Les Solovki sont le reflet de la Russie où tout est comme sous un verre grossissant – authentique, désagréable, évident » nous dit Prilépine.
L'écriture de Zakhar Prilépine n'est pas toujours facile, son langage est imagé, ses comparaisons sont souvent surréalistes, les images sont insolites par exemple : « Il s'élevait de l'intérieur des gémissements douloureux de femme, comme si chacune d'entre elles était possédée non par un mâle de race humaine, mais par un diable aux testicules noircis par le feu et au sexe de taureau incandescent – mince, long comme une baïonnette et demie, qui ressortait, gluant, des profondeurs d'un ventre plein de vers et d'une puanteur gargouillante ». Ou encore : « il se sentait plein de poissons morts, sonores, dénudés, qui roulaient ici et là comme au fond d'une chaloupe » ou bien « une sirène retentit, longue et toujours inattendue- elle vrillait dans une tempe comme un foret et ressortait de l'autre côté, en tournant toujours, avec un bout de crâne à son extrémité ». Parfois le ton peut devenir humoristique même si l'endroit ne s'y prête pas.
Zakhar Prilépine sait créer l'ambiance, l'atmosphère est étrange, le brouillard, la pluie, la neige, la boue, le cri des mouettes. Enfin il nous dit dans un interview que dans son livre il parle aussi « des russes, de leur endurance et de leur résignation ».
Voilà je ne vous ai pas tout dit 900 pages ça ne se résume pas facilement, à vous de découvrir !
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