« Je savais que j'avais une belle gueule et que je devais m'en servir » dira le très jeune premier à l'aube d'une carrière cinématographique peu commune et fulgurante. Enfant né au sein d'un couple déchiré, il sera élevé cahin-caha par une mère absente et un père en cavale et mis en nourrice comme on dit chez une dame âgée et de qualité trois années (« Je ne l'ai jamais oubliée, elle avait pour moi de la tendresse »). L'époux de sa protectrice était gardien de prison à Fresnes et Alain connut les heures de récréation avec les enfants de matons dans la cour entourée de hauts murs. Littéralement ballotté de droite à gauche, il vécut en pensionnat, d'établissement en établissement – six en tout – chaque fois renvoyé pour tapage et indiscipline notoire. Son père, s'étant remis en ménage, devint patron d'une grande boucherie-charcuterie à Bourg-la-Reine, aujourd'hui disparue (et non loin d'un cinoche). Alain suivra les cours d'apprenti boucher et il obtiendra son seul certificat d'études. « Vous savez, je sais toujours aujourd'hui vous désosser un quartier de viande fort convenablement ! » Sur un de ses communs coups de tête, il décida de quitter l'écatissage et s'engagea à dix-sept ans (avec l'aval et les signatures de ses parents) d'abord à l'aviation (apprenti radio), puis à la Royale. « Cette façon de se débarrasser de moi me reste en travers de la gorge ! » Scorpion dans l'âme, il ne saurait mentir ! Expédié avec le corps expéditionnaire (après une longue traversée en navire) dare-dare en Indochine en guerre et il y connaîtra « la fraternité des armes » : « Tous si jeunes, nous étions solidaires, échappés de France sans trop savoir pourquoi, certains pour en découdre, d'autres par dépit amoureux ou comme moi parce que nous reçûmes une forte prime d'engagement ». Il connut quelques patrouilles entre les rizières où sur un patrouilleur une quarantaine de « marins » claquaient tous des dents : « Cela fait un bruit affreux, les mandibules qui claquent de peur, je les entends encore » ! Puni sévèrement pour avoir « emprunté » une jeep pour faire la bringue – et la précipiter à la casse – il fut emprisonné à la nouvelle année, passant son vingtième anniversaire en tôle. Il fut renvoyé pour indiscipline à ses foyers. Revenu à Paris, seul et sans le sou, il fit divers métiers (porteur aux Halles) et, loup solitaire, fréquenta aussi les boites de nuit et les milieux interlopes (comme il fréquenta évidemment les belles Asiates au quartier très chaud de Saigon). Il fut remarqué par la très jolie femme du cinéaste Allégret, qui lui ouvrit fort généreusement les bras et le gîte (pour un marin, le gîte est le tangage féminin ?) Sa relation avec le couple Allégret allait lui ouvrir les portes du 7ème Art. « Une certaine langoureuse fascination du cinéaste pour le bel Alain fut notoire… »
Ensuite le bouillant jeune homme dira : «
Naturellement, grâce à Maurice, je me mouvais sur le plateau comme si j'y avais toujours vécu. Il m'apprit à jouer de la force hypnotique de mon regard ! »
Ainsi débuta la carrière d'un écorché vif qui a aujourd'hui 80 ans et a le coeur fragile.
Commenter  J’apprécie         01
A toutes les pages un scoop, ou presque, et des noms connus, actrices, femmes, enfants, metteurs en scène, acteurs, mais aussi grands malfrats, politiciens de tous bords, et au milieu, un homme qui reste droit dans ses bottes, même lorsque celle-ci sont parfois crottées.
L'image de l'acteur en prend un coup à la lecture et c'est rafraichissant parce qu'après toutes ses recherches, l'auteur parvient, parfois avec force répétitions, à décrire cet homme en acteur maladroit de sa vie, à nous en donner un portrait fidèle. Une lecture haletante, un peu comme un polar, car il y des meurtres qui hantent le récit.
Commenter  J’apprécie         30
Alain Delon n’est plus la fringante vedette d’autrefois. Le domaine qu’ilarpente en propriétaire solitaire est un théâtre d’ombres et de fantômes. L’acteurne compte plus les figures familières emportées par l’âge ou la maladie. Solitaire et déprimé, il est de ceux qui macèrent la nostalgie des années d’or et désespèrent du temps qui passe . L’icône qui incarnait la jeunesse et la vitalité, la beauté et l’insouciance, est désormais octogénaire. La silhouette s’est voûtée,le visage s’est empâté, le sourire s’est assombri. Les années, cruelles, ont blanchi les cheveux, terni le regard clair, usé l’éclat. Plongé dans des hiers à jamais révolus, perdu parmi les fantômes d’autrefois, la star vieillie ressemble à un personnage de Patrick Modiano. Il en a le pedigree et le parcours, mélange de lumière et d’ombre, de mystères et de confessions, d’assurance et de vacuité.
C’est en courant les bars et les fêtes de Saint-Germain-des-Prés qu’il découvre le milieu du cinéma. De la rue Saint-Benoît à la rue des Canettes, de la Pergola au Club Saint-Germain ,qu’il fréquente et où il est remarqué, on croise alors aussi bien Jacques Prévert que Juliette Gréco, Roger Vadim que Simone Signoret. Actrices, réalisateurs,
comédiens, critiques et auteurs se rejoignent sur les terrasses et dans les caves d’un quartier qui est alors encore le poumon de la vie artistique et littéraire. Au-delà des vedettes, s’agrègent les acteurs de demain, les seconds rôles et les
petites starlettes, les apprenties qui espèrent et les plus âgées qui désespèrent.
Le réalisateur parle de « l’amour, la religion de son métier » qu’a Alain Delon, mais laisse entrevoir,derrière les formules convenues et laudatives, un acteur plein d’assurance et d’amour… pour lui-même : « Il a la passion d’être Delon », lâche-t-il . Au fil des rôles et des critiques louangeuses, l’acteur ne cesse de raffermir un ego qui,bientôt, fait sa réputation dans le milieu. Sa cote par film atteint désormais trente-cinq millions de francs (cinq cent mille euros d’aujourd’hui), les critiques l’encensent, les admiratrices sont nombreuses, son charme irrésistible est renforcé par sa célébrité. Cette réussite le pousse à poursuivre sa stratégie très
sélective.
Visconti est de ces maîtres qui voient grand, se nourrissent de précisions, ne renoncent à rien, peuvent faire attendre des heures leurs acteurs pour obtenir la bonne lumière. Il aime exacerber les sentiments des interprètes pour les pousserà se dépasser. Alain Delon a pour partenaire l’Italien Renato Salvatori et la Française Annie Girardot avec lesquels il va fraterniser malgré les jalousies que Visconti suscite ou entretient. L’affrontement entre Rocco et un de ses frères,
interprété par Salvatori, doit, en effet, être « d’une violence terrible ». Parce que Visconti a besoin « pour un plan de quelques secondes, du visage exaspéré,à bout de nerfs » de Salvatori, il le convoque à sept heures du matin, le faitpatienter toute la journée et ne le fait tourner qu’à huit heures du soir. La prise devant être refaite à cause d’un incident technique, l’acteur rentre dans une rage folle et se casse le poignet en frappant le mur.
La situation en Indochine, la décolonisation, la personnalité de Pierre Mendès France sont des paramètres qui lui sont étrangers. Il était très jeune et très inconscient, confessera-t-il bien plus tard . On le découvre alors sur des photos d’époque, pompon rouge sur la tête, extrêmement juvénile, tout juste adolescent, souriant et insouciant. S’il est parti en Indochine, c’est aussi que l’armée qu’il a connue en métropole n’avait rien d’exaltant. De formation en préparation sur la terre ferme, la Marine ne fut pas synonyme de voyage au large et d’intervention lointaine. Il a subi un long apprentissage physique et général,