Etoiles Norabénistes : ******
Joker No Kuni No Alice - Circus To Usotsuki Game
Traduction :
Géraldine Oudin
Adaptation Graphique : Clair Obscur
ISBN : 9782355927485
OUI, ALORS, QUESTION SPOILERS, ÇA NE DEVRAIT PAS S'AMELIORER D'ICI L'EQUINOXE DU PRINTEMPS ... DESOLEE ... ;o)
Et nous voici au tome III du "Cycle de Joker", un volume où se précisent bien des choses. Comme nous avions déjà cherché à le démontrer (l'expression est bien pédante et merci de nous la pardonner), la sexualité, la sensualité et l'érotisme sont terriblement présents dans les cycles d'Alice imaginés par l'éditeur Quin Rose. Il arrive, bien sûr, que ces thèmes primordiaux rentrent parfois dans l'ombre afin de permettre à l'action elle-même d'avancer sans que le lecteur s'en trouve trop distrait mais ils reviennent assez vite envahir le premier plan.
Aussi, dans le troisième tome d'"Alice au Royaume de Joker", l'occasion nous est-elle fournie de revoir certains points :
1) d'abord, et l'attitude du Chapelier est là pour le confirmer, Alice devra bientôt choisir de faire le grand saut charnel. Et avec ce partenaire-là et pas un autre. Pour un homme de ce genre, capable, comme il le dit lui-même - comment pourrait-il être plus clair ? - de "prendre par force" ce qui lui plaît mais se refuse à lui, il faut admettre que, en dépit notamment du long intermède du "Cycle de Trèfle" où le Chat du Cheshire nous semblait devenir l'amant d'Alice, le Chef de la Pègre de Wonderland s'est montré - et continue à se montrer - sur ce point d'une patience exemplaire. Ce qui signifie, n'importe quelle femme le sait, que, même s'il éprouve l'un de ses plus grands plaisirs à jouer au chat et à la souris avec elle, il ressent surtout pour la jeune fille un sentiment sincère et qu'il ne la considère pas comme un simple objet sexuel - cela bien qu'une autre des plus extraordinaires jouissances qu'il puisse là encore éprouver dans leur histoire est de proclamer bien haut et bien fort le contraire dès qu'Alice est à portée de voix. La scène finale du volume, répondant aux pages en couleur du début, montre d'ailleurs que, poussé à bout par les habituelles provocations (dont certaines sont innocentes et d'autres, beaucoup moins) de la jeune fille, Blood Dupré est ici bien près de passer à l'acte sans autre forme de procès. Il faut dire que l'idée que Goround bénéficie des faveurs de la jeune fille l'a fait sortir de ses gonds - alors que, en fait, Alice ne s'est rendue au Parc d'Attractions que pour respecter la parole qu'elle avait donnée au duc - puisque Goround est bel et bien duc - d'aller écouter le nouveau morceau de musique qu'il venait de composer.
Peut-être le Temps n'est-il pas le seul responsable du désir de plus en plus violent affiché par Blood. Dans le "Cycle du Joker", la tension monte de manière générale Lui-même - et il le sait - devra tôt ou tard affronter Joker et son partenaire et, pour ce faire, contrevenir certainement aux sacro-saintes règles de Wonderland. Ce qui ne saurait le déranger outre mesure (ne l'a-t-il pas déjà fait ?) sauf que là, on s'en doute, il va lui falloir frapper un grand coup, comparable à celui accompli lorsque, jadis, il libéra le Lièvre de Mars. Tous ceux d'ailleurs qui observent la lutte larvée, mais souriante, entre Alice et Joker le Directeur de Cirque se doutent bien que le coup final, quel que soit celui qui l'assènera, sera d'une violence jusque là jamais vue.
2) révélations aussi du côté du Lapin Blanc. Révélations parmi lesquelles se perd peut-être cette phrase cependant décisive où il explique que, avant l'époque de Wonderland, Alice a pris soin de lui. Cette phrase, capitale, répétons-le, ne signifierait-elle pas que, jadis, le Lapin Blanc était la peluche préférée d'Alice ? L'exclusivité qui lie tout enfant à son jouet favori - et qui ne disparaît pas fatalement à l'âge adulte - est un lien que nous connaissons tous pour l'avoir expérimenté. Qui parmi nous n'a pas conservé - et avec un soin inhabituel - sa vieille peluche, toute rapetassée et devenue bancale ou manchote au cours des années, bien au chaud dans un tiroir ou une boîte douillettement arrangés ? Cette peluche - parfois cette poupée - c'est bien plus qu'un jouet : c'est une part de nous-même et de notre enfance, bonne ou mauvaise, celui ou celle qui nous a toujours consolé et protégé ...
A sa façon, il l'a dit mais dans le tome précédent, Peter White, Premier ministre en fonction de la Reine de Coeur, est lui aussi résolu à enfreindre toutes les règles pour qu'Alice soit heureuse. Et même s'il eût souhaité qu'elle le fût dans ses bras, si elle opte en définitive pour ceux du Chapelier, qu'importe si celui-ci lui donne ce dont elle a besoin plus que tout : amour et protection ?
En outre, le lien "enfantin" unissant Alice et le Lapin Blanc possède une pureté (qui explique peut-être la peur de Peter de voir "son" Alice contaminée par les microbes d'autrui, y compris par les siens propres) qui leur interdit, à tous deux, tout rapport sexuel. Cet amour exceptionnel doit rester platonique : sinon, il gâcherait - il tuerait - le passé.
3) pour Nightmare, c'est son mode de vie, puisqu'il assume deux rôles, démon des Cauchemars dans les songes et Dirigeant caractériel du Royaume de Trèfle au quotidien, qui semble lui interdire de passer à l'acte. Au fur et à mesure que nous avançons dans la saga, le narghilé dont on ne sait trop ce qu'il tire comme réconfort, apparaît de plus en plus souvent entre ses mains, en tout cas quand il ondoie dans son seul vrai royaume, celui des Songes et des Cauchemars. Or, nul n'ignore que les drogues, bien que certaines, dans certaines proportions également, aiguisent les possibilités intellectuelles, n'apportent à long terme à la sexualité qu'une immense frustration. Nous ne saurons jamais si la maladie de Nightmare - qui ressemble étrangement à la tuberculose et qui, s'il s'agit bien de celle-là, devrait au contraire le pousser à s'intéresser plus au sexe - rend Nightmare impuissant. En revanche, nous savons qu'il souffre d'une déviance : le voyeurisme, issu de sa soif de contrôle. Allié à cette déviance, l'apaisement que lui apporte ce qu'il fume place notre personnage, c'est sûr et certain, au-dessus de toute sexualité banale. de plus, il a le tempérament d'un authentique joueur d'échecs et son désir de tout contrôler, si pathologique qu'il puisse paraître, en fait l'un des personnages les plus puissants de chaque partie, parfaitement capable, s'il s'y autorise, de briser lui aussi les règles sur lesquelles il est chargé de veiller. Jusque là d'ailleurs, combien de personnages, Joker y compris, ont-ils fait quelques écarts ?
4) se profile ensuite la silhouette d'Ace qui, nous le savons depuis longtemps, tient lui aussi plusieurs rôles : en principe Chevalier de Coeur et donc au service de Vivaldi, il tue et récupère les montres pour l'Horloger (dans le volume III, une scène, brève mais très parlante, nous fait découvrir que Monrey, quoi qu'il en pense, ne bronche pas devant le plaisir de tuer qui anime Ace, tout son intérêt se portant sur la montre "qu'il ne faut pas abîmer") et, nous l'avons deviné depuis déjà pas mal de temps, il est aussi ce Bourreau dont, jusqu'à ce Cycle, ni Alice, ni le lecteur n'avaient entendu parler - d'où, peut-être, la ressemblance physique qu'il partage avec les deux Jokers.
Singulièrement ambigu face à Alice, qui l'attire et qu'il cherche tout autant à fuir, Ace l'aime avant tout quand elle est comme lui, c'est-à-dire "perdue." Mais, dans ce volume, il va très loin dans l'ambiguïté puisque, au moment où Joker, le Directeur du Cirque, est parvenu à attirer Alice dans la Prison et est sur le point de la faire "basculer" - mais dans quoi ? - Ace intervient et, expédiant son épée en direction de Joker, rétablit la réalité, c'est-à-dire la fameuse clairière dans la Forêt des Portes où le Cirque a monté son chapiteau. La tension est alors palpable entre les deux hommes qui s'accusent, à mots couverts, d'avoir mutuellement "triché." le plus étrange, c'est qu'Ace ne peut ignorer que Joker est immortel. Par conséquent, la seule explication de son geste était d'enlever Alice de la mauvaise passe où elle se trouvait. de son côté, Joker ne comprend pas les raisons qui ont motivé l'acte du Chevalier de Coeur. Leur allié selon les règles du jeu, à lui comme au Joker-Gardien, pourquoi le Bourreau a-t-il agi ainsi ? Pour avoir le plaisir de tuer Alice ? Ou pour se la réserver ? Si cette dernière question est la bonne, cela impliquerait, ce que découvre Joker alors que le lecteur, lui, le sait depuis le "Cycle de Coeur", qu'Ace l'Insensible éprouve pour la jeune fille certains sentiments qui ne devraient pas être et viennent brouiller encore plus les cartes de cette partie ...
5) enfin, si l'on excepte le cas du Lapin Blanc, plus masochiste qu'autre chose, le sadisme, qui plantait déjà ses griffes solides un peu partout dans les deux Cycles précédents, se déploie ici sans aucun complexe avec ni plus ni moins que le Joker du Cirque et son homologue, le Joker-Gardien. Ce dernier affiche d'ailleurs la panoplie intégrale d'une certaine forme de sadisme sexuel. Quand Peter White, réfléchissant à son projet d'enfreindre les règles, pense : "Je ne peux tout de même pas la laisser à ces deux individus ...", le lecteur soupçonneux ou averti n'a guère de mal à s'imaginer que, pour les Jokers, eux aussi mis pour la première fois en présence d'une authentique Etrangère, mignonne de surcroît et peu décidée à se laisser faire, la tentation serait grande non de la transformer en jouet et de "la ranger dans sa boîte" mais d'en faire une esclave docile. le Joker-Gardien admet d'ailleurs, en toute honnêteté mais quand il est seul avec son collègue, que, techniquement, la présence d'Alice n'enfreint pas les règles. C'est pourtant bien au nom de ces règles qu'elle n'enfreint pas qu'ils veulent l'attirer à la prison et l'y enfermer !
Une façon pour eux de conserver Alice la Perturbatrice pour leur jouissance exclusive ? Mais pourquoi perturbe-t-elle, en fait ? Parce qu'elle semble séduire tous les acteurs masculins - et Vivaldi elle-même ! Dans une série inspirée par un jeu dit "de drague", Alice se comporte de façon très normale. Et il semble bien que, de temps à autre, tant le Joker du Cirque que son alter ego, beaucoup plus brutal en apparence, de la Prison, soient touchés par sa douceur ...
Nous qui assistons depuis tant de pages aux diverses questions que pose la personnalité d'Alice à des hommes aussi différents qu'un Blood Dupré et un Julius Monrey - lequel est visiblement torturé, dans ce volume, à l'idée qu'il pourrait également être tenté d'enfreindre les règles, à tout le moins de détourner la tête lorsque quelqu'un s'en chargerait , afin de sauver Alice des griffes d'un Bourreau qu'il connaît mieux que personne - sommes à même de deviner les problèmes que fait naître chez les Jokers l'attitude de l'Etrangère. Irritation d'abord, puis étonnement, enfin fascination et plus encore excitation, désir de voir, de regarder, de toucher - de posséder dans tous les sens du terme - et surtout de conserver jalousement, tel Harpagon sa chère cassette.
En d'autres termes, cette partie, entamée pour mettre fin à une incohérence, ne fait, au contraire, qu'amener celle-ci sous la lumière crue de tous les projecteurs de Wonderland, et la complique encore des sentiments contradictoires que commencent à éprouver les deux Jokers envers leur victime désignée. L'ambiance se fait de plus en plus pesante à chaque page et l'idée qu'un Complot qui ne dit pas son nom se monte, de façon plus ou moins tacite, entre les Acteurs (et les Sans-Visages à leur service) pour qu'Alice respecte le choix qu'elle a fait, c'est-à-dire rester dans LEUR monde, se dégage avec une netteté qui saute aux yeux. Un Complot pour lequel les Acteurs sont prêts à tout. Absolument à tout, de l'acte le plus sensé à l'acte le plus fou.
Comme vous pourrez le constater dans les quatre tomes suivants ... A bientôt ! ;o)