Allers simples

Et pourtant, la dernière chose que je pourrais regretter serait d’être parti. Parce qu’on revient rarement avec des valises pleines de regrets d’un voyage élargisseur d’horizons. Les rencontres, les souvenirs, les embûches, les accomplissements et les dépassements de soi qu’on y a vécus compensent amplement ce qu’on a pu rater du cycle de notre quotidien sédentaire.

Dans la cellule souvent enfumée, entre les délires de mes camarades et mes propres démons, je prends sur moi de ne pas m'emporter. J'essaie de m'habituer à cette compréhension post-soviétique du respect de l'autre, qui consiste à faire et à laisser faire. Ici, dans l'espace public, chacun est libre de se comporter comme il le souhaite. Les agissements individuels sont accueillis par la tolérance et l'indifférence collectives. Là d'où je viens, cette compréhension est diamétralement opposée. Le respect est dans la privation. Chacun se retient de déranger, s'excuse s'il enfreint le droit à la tranquillité d'autrui et s'estime justifié de se plaindre lorsque la sienne est rompue par les actions des autres. Aucune des deux approches n'est probablement meilleure que l'autre. Mais il peut être difficile d'intégrer celle qui n'est pas nôtre quand on doit y faire face. D'autant plus lorsque, emprisonné, quitter la scène pour éviter l'affrontement des mœurs n'est pas une option. p.47

[…] il y a tant d’histoires muettes à faire parler.