Staline a peur. Il se sent haï, se sait méprisé. Il connaît mieux que personne la précarité de son acier, dur mais cassant. Il appelle trotskisme son impopularité, le mécontentement général, la sourde hostilité latente qui le rend responsable de tous les malheurs, comme il appelle communisme sa dictature personnelle, oligarchique et inégalitaire. Il a beau exiger de ses courtisans une adulation permanente, de son innombrable domesticité les preuves incessantes d’un servilisme indicible, aucun superlatif ne le rassure. Il scrute les arrière-pensées et, devinant des restrictions mentales, crie qu’on l’assassine. Il en est venu à décider froidement d’anéantir au physique les anciens rivaux dont l’existence spectrale trouble son sommeil et d’annihiler au moral tous les contradicteurs invisibles pour supprimer même les virtualités de concurrence. Il interdit à présent l’apologie des chefs de deuxième ordre pour décourager les éventuels prétendants et affirmer son monopole. Il a peur. Il veut des têtes quand il perd la tête. Seuls ceux qui n’ont rien appris en étudiant l’histoire peuvent supposer que ces choses « finiront par des chants et des apothéoses ». (p. 81)
Table ronde, carte blanche au collectif Smolny
Modération: Mylène HERNANDEZ, docteure de l'EHESS, éditrice du collectif Smolny
Intervenants: Robert FERRO, traducteur, Jérôme LAMY, historien et éditeur
scientifique, Sébastien PLUTNIAK, historien et éditeur scientifique
À l'occasion de la publication de l'ouvrage : Pour une autocritique du marxisme. Oeuvres complètes (1917-1936) de Julius Dickmann (Smolny)
L'oeuvre écrite de Julius Dickmann (1895-1941?) est non seulement un témoignage des crises, des guerres et des révolutions qui secouent la première moitié du XXe siècle mais elle est aussi et surtout un legs offert à l'avenir par l'un des francs-tireurs les plus singuliers du marxisme. Aussi riche que méconnue, cette oeuvre comprend des articles d'intervention dans l'actualité politique autrichienne et allemande d'alors, des essais de théorie marxienne, et des correspondances avec d'autres marxistes hétérodoxes tels que Boris Souvarine, Lucien Laurat ou Karl Korsch. C'est cette oeuvre atypique, novatrice, enfin disponible en français, qui rend compte de la pensée d'un des précurseurs de l'éco-socialisme, que nous vous proposons de découvrir.
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