Julia était belle. Elle l’avait compris depuis l’enfance. Au lieu de profiter de ce cadeau de la nature, elle le vivait comme un fardeau. Les gens étaient pleins d’idées préconçues sur les jolies filles. On disait que c’étaient des garces glaciales et capables de tous les coups bas qui finissaient toujours par avoir ce qu’elles méritaient, comme dans les films de John Hughes. Des trophées qu’aucun garçon, à l’école, n’osait convoiter. On la croyait distante quand elle n’était que timide. On prenait sa légère anxiété pour de la désapprobation. Tant et si bien que, à dix-neuf ans, elle avait relativement peu d’amis et elle était toujours vierge.
Elle avait horreur des leçons de vie. Elle avait horreur qu’on l’oblige à faire quelque chose. Elle était furieuse que son père l’ait fait monter en voiture en la laissant croire qu’ils allaient voir une portée de chiots. Elle était têtue (comme sa mère, disait son père) et contrariante (comme son père, disait sa mère), elle avait des idées arrêtées (comme ses parents, disait sa grand-mère) et elle était autoritaire (comme sa grand-mère, disaient ses sœurs). Voilà pourquoi elle s’était accrochée.
Dans les contes de son enfance, le croquemitaine était toujours vilain, avec des cheveux bruns en bataille, menaçant. Sous le déguisement d’agneau, si l’on y regardait de près, on reconnaissait bien un loup. Dans la vraie vie, ce n’était pas pareil, elle en était consciente. Il n’était pas si facile de repérer les moustaches et la barbiche qui révélaient que le loup était un salaud.
Celui qui les avait enlevées — l’une ou l’autre ou toutes les deux — savait ce qu’il faisait. Ce n’était pas un croquemitaine ni un loup de dessin animé. C’était un requin aux dents acérées qui s’emparait de malheureuses à la surface pour les tirer vers le fond, dans l’ombre, là où il pourrait les dévorer.
Ces filles n’avaient rien de particulier. Elles n’avaient rien fait de mal. Elles se fondaient dans la masse. Elles auraient pu être votre mère, votre cousine, votre copine. « Ta fille va au cinéma et se volatilise. Ta sœur va à la fête foraine et elle disparaît. Votre tante adorée prend sa voiture ; on ne la reverra jamais. » Julia savait ce qui était important dans l’histoire de Beatrice : les mêmes détails que ceux qui la hantaient depuis des semaines.
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