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Gabrielle Danoux (Traducteur)
EAN : 9786065624436
73 pages
Aius (01/01/2014)
4.57/5   14 notes
Résumé :
Les débuts littéraires de Max Blecher furent poétiques et marqués par le surréalisme. Pour s'en convaincre, voici la traduction, en édition bilingue, de son premier recueil de poèmes publié en 1934 et inédit en français.
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Critiques, Analyses et Avis (10) Voir plus Ajouter une critique
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"Corps transparent' est le tout premier recueil de poésie de Max Blecher, il a été publié en 1934 et traduit du roumain récemment par Gabrielle Danoux qui a choisi de nous présenter ce recueil dans une version bilingue. C'est donc avec un immense plaisir que j'ai découvert l'univers de l'auteur au travers de cette palette de quinze poèmes, certains courts, d'autres moins, dans lesquels la couleur s'associe bien souvent aux sentiments qu'ils soient tragiques ou amour. Chacun de ces quinze poèmes nous est offert dans sa langue d'origine, le roumain, et est suivi de sa traduction en français. N'y voyez là aucun exercice de style de ma part, c'est la première fois que je couche mon ressenti par écrit sur de la poésie, le but étant de vous faire part au plus proche de mes émotions et non d'analyser l'écriture de l'auteur (j'en serais bien incapable par ailleurs).

Si je devais résumer ces quinze magnifiques poèmes en un seul mot, le premier mot qui me viendrait à l'esprit serait incontestablement "éclaircie" car oui la poésie de Max Blecher est pareille à une éclaircie. L'éclaircie, ce court moment qui parfois ne dure que quelques secondes durant lesquelles les rayons du soleil filtrent comme par magie à travers les nuages (j'ai toujours l'impression d'assister à un petit miracle pour ma part), ces quelques secondes durant lesquelles vous pouvez ressentir la chaleur des timides rayons de ce soleil que vous avez tant espéré et qui tout doucement viennent vous caresser le visage, vous fermez les yeux, vous vous abandonnez et soudain, ce petit frisson délicieux qui vous parcourt tout le corps... la chaleur vous enveloppe, elle vous rassure, elle est presque salutaire après le passage nuageux et à ce moment là seulement tout devient possible, l'espoir renaît car l'ombre ne saurait exister sans soleil.

Dans la poésie de Max Blecher il y a beaucoup de souffrance c'est vrai mais elle fait corps avec une forme de salut, de guérison, même inconcevable, l'âme qui souffre tente par tous les moyens de panser ses plaies, d'apaiser sa douleur, elle cherche la rédemption dans l'amour perdu, celui qui s'est enfui car la femme aimée est toujours là, dans l'ombre, mystérieuse Marie à laquelle l'auteur dédie ces vers : elle est dans l'horizon, elle est dans ses terres d'accueil et de refuge à l'image de la belle Istanbul symbole d'une vie meilleure pour tous les réfugiés syriens, elle est dans l'éternité...

Éternité

Les pas ne connaissent pas l'abîme
Le corps promène notre ciel
La tempête perd des lambeaux de chair
Plus vague, plus faible encore
Il y a un bleu commencement
Dans ce paysage terrestre
Et un autre qui réclame vengeance
Comme un doigt coupé
Vois juste quelle femme roule
Comme un fuseau
Et son delta copie
Le delta des eaux.


En bord de mer

Voici ce qu'à la mer tu verras
Les bateaux : des têtes de noyés la cigarette au bec
Rêveurs ils fument et flottent vers Istanbul
En bord de mer les gens : des suicidaires rescapés
Rêveurs ils fument et flânent à la nuit tombée.

La mer tragique, la mer lyrique, seule la nuit parvient à apaiser les coeurs quand ils sont torturés. Vous la ressentez l'éclaircie ? Elle est dans le bleu commencement du ciel, elle est dans le delta des eaux, dans la femme qui roule comme un fuseau, elle est dans les rêves des suicidaires rescapés, dans les bateaux qui fument symboles de jours meilleurs et de liberté, que ce soit la liberté de tous les hommes ou celle d'un homme qui souffre enfermé dans un corps qu'il rêverait transparent.

Matérialisations

Puisse le jour me déposer une pierre dans une boîte
Et un papillon en or vitrail sur une fenêtre
Puisse la nuit me laisser une poignée de cristaux
Glaçons de fièvre, poupée pétrie de rêves
Puis-je avoir des objets au coeur empli de vie
Et dans la soie des idées et dans le verre des souvenirs
De tes visites, de sanglants bracelets je voudrais
d'un sourire le collier et l'alliance d'un instant.

L'espoir infime aussi illusoire soit-il est là. L'urgence de vivre, d'aimer aussi quand on sent que la vie glisse entre nos doigts comme du sable sans qu'on puisse ne rien y faire. Max Blecher a quitté notre monde précocement en 1938, il n'avait pas trente ans, il fut immobilisé une grande partie de sa courte vie des suites d'une tuberculose qui ne le laissa jamais en paix. Il nous laisse à travers sa poésie un peu de sa douleur, de ses espoirs, de sa résignation et de sa fougue aussi qui est telle celle du "Calul", le cheval, qui s'en va parcourir le monde et qui donne son titre à l'un de ces quinze poèmes dont je ne manquerai pas de vous partager des extraits par la suite.

Que votre ciel intérieur soit gris ou bleu je vous invite à découvrir la poésie de Max Blecher, une poésie libre et sans contraintes, résolument moderne qui ne se limite pas aux règles d'usage de la poésie traditionnelle.
Une poésie qui vous emportera vers un ciel d'orage, vous y verrez passer des éclairs mais une chose est certaine il y aura des éclaircies.

"Des mots tels des oiseaux aux ailes ensanglantées
Des mots qui affolés volent dans les pièces du coeur..."







*Un grand merci à Gabrielle Danoux, dont je salue au passage le travail de traduction remarquable, qui m'a offert l'opportunité de découvrir l'auteur.

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À l'époque où j'étais étudiante et croyais comme une midinette (m'en suis-je guérie ?) en l'amour à vie, j'ai travaillé, assez longtemps, dans une boutique de luxe. Il m'est donc arrivé, plus d'une fois de vanter les qualités d'un lot de bagages unique (que je trouvais sublime), confectionné en peau de veau mort-né. Je taisais sa fragilité, mais tentais de la suggérer en évoquant l'aspect translucide, presque transparent de cette douceur. Ce qui ici est sincère jusqu'à la l'indicible transparence est la douleur d'aimer la vie et sa cruauté. Dans mon discours sur le tannage, ce que j'évoquais comme étant une matière exceptionnelle était en réalité le déchet d'un avorton. Il en est de même de ce fin (mais pas squelettique) opus que j'ai traduit d'une seule traite, la mort de mon propre amour physique au ventre. Bien que des universitaires travaillent (dans le plus grand et regrettable secret) pour réunir l'ensemble des écrits de Max Blecher, j'ignore presque tout de la genèse de cette oeuvre. Un bref éclairage m'a néanmoins été proposé par le film de Radu Jude, Coeurs cicatrisés, inspiré librement de la vie de l'auteur : Blecher a vécu des amours non partagées, comme nous tous diraient d'aucuns. Alors je lève ma traduction (maladroite sans doute, mais promesse tenue), tel un calice de bonheur à tous les amours perdus : « L'Amour est mort ! Vive l'amour ! »
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Nous trouvons ici un surréalisme plus inspiré par le côté tragique de l'existence que par la plongée dans les tréfonds de l'inconscient pour y trouver une écriture nouvelle:
"Ce sont les noces de celle qui jadis en vie
Lors de son mariage vivante mourut dans des fleurs de sang
Des frissons de spectres sursautent sur son visage blanchi
Quand la lente valse tourne, quand la valse pleure quasiment."
Il n'empêche que les images empreintes de romantisme deviennent saisissantes au-delà de leur tristesse visible.
"Tes mains sur ma tête
Telles deux pierres pour une seule tombe..."
Car le climat nostalgique reste celui du rêve, de la poésie et de l'écriture.
"Puisse le jour me déposer une pierre dans une boîte
Et un papillon en or vitrail sur une fenêtre
Puisse la nuit me laisser une poignée de cristaux
Glaçons de fièvre, poupée pétrie de rêves
Puis-je avoir des objets au coeur empli de vie
Et dans la soie des idées et dans le verre des souvenirs
De tes visites, de sanglants bracelets je voudrais
d'un sourire le collier et l'alliance d'un instant."

Plutôt que l'inconscient, le poète choisit le tragique de la vie, la mort, l'amour perdu, pour y arracher ces bijoux rutilants, ces "objets au coeur remplis de vie" qui sont objets dignes d'écriture poétique profondément enfouis "dans la soie des idées et dans le verre des souvenirs".
Ce que cherche Blecher ce sont ces fenêtres qui s'ouvrent sur un monde inspirant propre à l'écriture. À lui de les esquisser ces fenêtres:

"sans point ni virgule la fenêtre s'est détachée du mur et s'est mise en route bon voyage car tiens une autre fenêtre je dessine sur-le-champ."

L'expression "sur-le-champ" après le mot fenêtre n'est absolument pas neutre ici - est-ce miracle de la traduction de Gabrielle Danoux ou du poète que cette fenêtre s'ouvre sur le champ ? - désigne autant la temporalité que le monde de la nature.
Le poète nous dessine ¸a travers ses émotions, une vision tragique fantasmée du monde dans laquelle il nous ouvre des fenêtres pour un exil heureux.
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Max Blecher (1909-1938) est un écrivain roumain dont je n'avais jamais entendu parler. Merci à Tandarica de m'avoir permis de découvrir un des auteurs qu'elle traduit.

Corps transparent est un recueil (de 15 poèmes) publié en 1934. J'aime beaucoup la poésie, mais il arrive que des textes restent hermétiquement fermés. Je ne suis pas parvenue à visualiser dans les textes ce que Gabrielle Danoux (Tandarica, la traductrice) appelle "l'empreinte d'un érotisme surréaliste".

J'ai toujours été plus attirée par le romantisme que par le surréalisme, ceci explique peut-être cela?

Quoi qu'il en soit, le fragment de « La Tanière éclairée », son journal, m'a vraiment beaucoup plu et m'a donné envie de le lire.

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L'éditeur roumain a choisi de joindre à la plaquette publiée pour la première fois en 1934 en introduction la reproduction d'un dessin de 1935 signé M. Blecher et intitulé "Mon prince"; un addenda qui réunit des textes de Geo Bogza, ainsi que trois poèmes qualifiés d'inédits (Fugue, Instant diurne, Poème), une fiche biographique, ainsi que l'incontournable (en Roumanie) cahier critique qui contient des extraits des principaux (Dieu qu'ils sont nombreux!) exégètes de l'oeuvre de Blecher, dont on peut citer ici Nicolae Manolescu, Doris Mironescu ou Ada Brăvescu. En citation un poème dédié au Français Pierre Minet.
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Citations et extraits (25) Voir plus Ajouter une citation
Poem (Poème)


I

Une auge ton regard porte à l'intérieur puis me la renvoie
chargée du velours des yeux noirs et de diamants
minuscules de combien de rêves ou d'abîmes hier au couchant
un ange s'est pendu dans un instant de bonheur
et ses ailes déchues grincent sous tes pieds sur la
neige tant de fleurs tant de branches tant de doigts.


II

Robe marine dans la coquille du saphir tu t'avances ou tu glisses
embarcation ou acrobate, toi, fleuve vertical au diadème de chevelure bleue, cataracte de fougères ou de cris
et voici qu'une vitre s'incline, ta transparence tu modifies
et tu es une femme morte, un fantôme à la robe marine
dans la coquille du saphir, le palmier tend le bras pour te
saluer, les bateaux font voyager ton sillage et les nuages
transportent vers le crépuscule ta beauté.


*Dédicace spéciale pour mon ami Jipi (jaygatsby).
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Promenade marine

(à I. Ludo)

Rouge, le sang marin circule dans les coraux
Le cœur profond des eaux siffle dans mes oreilles
Je suis au fond du cercle de vagues
Dans le cellier des eaux profondes
Dans la lumière assassinée de la funeste bouteille
De petits poissons, jouets de platine
Parcourent ma chevelure flottante
De grands poissons, troupeaux de chiens
Aspirent en vitesse les eaux. Je suis seul
Je lève la main et constate son poids liquide
Je songe à une roue dentée, à un palmier
En vain je tente de siffler
On dirait que je traverse la masse d’une mélancolie
Et qu’il en a toujours été ainsi
Mi-beauté, mi-tristesse.
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Amour : phalène
à Geo Bogza
Amour, des noirs ports la phalène
Lumière parfumée des vastes tropiques
Pensée longue et douce de rayon, martyrisant comme la mer
Et l’horizon enflammé, piège hermétique

Amour urbain d’ombres dans des rues à réverbères
Aux secrètes paroles dans la mort ensevelies
Aux pages lentement tournées dans d’inutiles albums
Amour d’après-midi dans de vagues pièces closes

Amour à l’âpre odeur de glaise et de semence sous l’herbe haute
Comme un cheval, de la saison estivale engrossée par les graines
Amour dans des mouchoirs pleuré ou lent, qu’on rit au soleil
À la fine peau blanche ou aux mains vieillies

Amour, réseau du monde dans lequel les gens pris
Dansent : pantins sérieux et fous.
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Errance
(à Pierre Minet)

Toujours allant de l’avant les ombres de mes pas meurent
Comme la trajectoire d’une comète d’obscurité
Et derrière moi l’asphalte supprime
Ensemble ce que je fus et ce que j’ai songé
Comme un prestidigitateur
Censé escamoter ma vie.
Un correct alignement de maisons
Sur cette route qui pourtant
Doit bien signifier quelque chose
C’est un ciel incolore inodore décharné
Par dessus mes pas insignifiants
Les yeux clos j’explore une boîte noire
Les yeux ouverts j’explore une boîte blanche
Et j’ai beau m’escrimer à comprendre quelque chose
De pesants marteaux dans ma tête brisent toute pensée.
[Pășind mereu înainte umbrele pașilor mei mor
Ca traiectoria unei comete de-ntuneric
Și asfaltul în urma mea mă suprimă
Cu tot ce-am fost și tot ce-am gândit
Ca un prestidigitator
Menit să-mi escamoteze viața.
E o înșirare corectă de case
Pe drumul ăsta care totuși
Trebuie să însemne ceva
E un cer fără culoare fără miros fără carne
Peste pașii mei fără importanță
Cu ochii închiși umblu într-o cutie neagră
Cu ochii deschiși umblu într-o cutie albă
Și oricât m-aș căzni să înțeleg ceva
Ciocane grele-n cap îmi sparg orice gând.]
(Umblet, lui Pierre Minet)
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Amour, des noirs ports la phalène
Lumière parfumée des vastes tropiques
Pensée longue et douce de rayon, martyrisant comme la mer
Et l’horizon enflammé, piège hermétique

Amour urbain d’ombres dans des rues à réverbères
Aux secrètes paroles dans la mort ensevelies
Aux pages lentement tournées dans d’inutiles albums
Amour d’après-midi dans de vagues pièces closes

Amour à l’âpre odeur de glaise et de semence sous l’herbe haute
Comme un cheval, de la saison estivale engrossée par les graines
Amour dans des mouchoirs pleuré ou lent, qu’on rit au soleil
À la fine peau blanche ou aux mains vieillies

Amour, réseau du monde dans lequel les gens pris
Dansent : pantins sérieux et fous.

(Amour : phalène, à Geo Bogza)
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Video de Max Blecher (1) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Max Blecher
Une chronique sur le livre Cœurs cicatrisés, dans la traduction de Gabrielle Danoux.
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