Une édition parfaite et complète de la pensée d'Épictète
D’or sur fond noir, l’auteur, Épictète, n’est plus qu’un crâne dans lequel prennent les racines et d’où pousse un arbre certainement fruitier.
Épictète a déjeuné, puis est mort, a été enterré, et revit en donnant des fruits savoureux :
« Je dois mourir.
Si c’est tout de suite, je vais à la mort ;
Si c’est dans un moment, pour l’instant, je déjeune,
puisque l’heure est venue de le faire,
ensuite je mourrai. »
Ainsi en est-il de toute vie, de tout être vivant, qu’il meurt doucement ou dans d’atroces souffrances.
Il faut accepter la mort, car elle viendra, quoi que l’on fasse. Elle apparaîtra d’une manière ou d’une autre.
En attendant, il faut vivre cette vie que l’on n’a pas demandé, et il faut la vivre stoïquement, sans surprise, car la vie se doit d’être vécue, et non « vécue par procuration », fantasmée, ou encore en esclave d’une chose ou d’autrui.
Je place en très haute estime les Stoïciens, dont Épictète fut l’un des plus grands et des plus célèbres. J’apprécie énormément Sénèque et Marc-Aurèle également.
J’adore cette philosophie de vie, que je conjugue depuis toujours avec les préceptes bouddhiques. Vous allez voir : bouddhismes et stoïcismes vont bien ensemble et se ressemblent !
C’est dans le cadre du centenaire de la très belle maison d’édition des Belles Lettres que celle-ci propose, offre même à ses lecteurs, sur un plateau d’argent, ou de platine, toute l’oeuvre du boiteux (il en rira) et esclave (il en enragera) Épictète.
Cette « édition collector » vaut largement l’achat : le livre, par ailleurs illustré, est de toute beauté et son contenu, encore plus !
Il y a un nombre considérable d’Entretiens (qui me font penser aux Essais de Montaigne dans leur intitulés) dont une bonne partie est pourtant perdue.
Ces entretiens ou enseignements furent collectés et retranscrits par son disciple Flavius Arrien de Nicomédie (85-146), alors qu’Épictète les donnait dans la ville de Nicopolis.
C’est pourtant le maigre « Manuel d’Épictète » qui fit de ce dernier un philosophe renommé et c’est Arrien qui le composa grâce aux Entretiens : c’est donc un Abrégé de ceux-ci !
L’empereur Hadrien, dont Arrien était proche devint lui aussi un disciple d’Épictète.
A l’instar de Montaigne, beaucoup de sujets divers, surtout moraux et éthiques, mais aussi sociaux, politiques et philosophiques sont traversés, examinés et travaillés par Épictète à la lumière de la philosophie stoïcienne, dite Ecole du Portique.
Pour au temps, l’esclave fils d’esclave Épictète, issu du peuple, parle au peuple comme un homme du peuple. Habile orateur, il sait accrocher et haranguer les foules par son exercice de la « diatribe populaire » : son succès se fait donc aisément, bien qu’il n’ait pas un caractère facile.
Avant tout, il lui tient à coeur de donner une philosophie morale, éthique, une philosophie de l’action du bien, car il abhorre les mauvais comportements antisociaux. Amand Jagu nous éclaire avec adresse dans son introduction :
« L’école [du Portique, qu’il enseigne] devient une sorte de séminaire où se trempent, dans la retraite et l’exercice, de jeunes hommes destinés à rentrer dans le monde et à lui offrir leur conduite en exemple« . Eh oui : « l’éducation est la base de tout » dit-on. Une société ne peut devenir bonne que si ses membres agissent dans le bien…
La noblesse de coeur et d’esprit est donc primordiale pour Épictète. Il fait de son métier d’enseignant « un sacerdoce« . Enseigner la Sagesse, le Savoir-être et le Savoir-vivre, le Bon sens même, tout cela est essentiel pour Épictète.
On lui confie ainsi de jeunes hommes que les parents ne savent pas éduquer correctement, ou bien ceux-la viennent-ils à lui pour se parfaire.
Amand Jagu ajoute : « Il ne donne ses soins qu’aux jeunes gens qui veulent rompre avec le siècle, réformer leur conduite, devenir des apôtres, et qui, pour apprendre cette science, n’ont pas crainte de s’expatrier. C’est à eux seuls qu’il découvre sa pensée intime et qu’il livre ses confidences.
Il leur enseigne les vertus propres à quiconque veut progresser et acquérir cette sérénité d’âme qui est comme la marque particulière du sage : l’humilité et la patience dans la recherche, la poursuite de tout ce qui affermit le caractère et le mépris pour les études qui enorgueillissent. La logique, la physique ne sont pas répudiées mais orientées vers la formation morale qui compte seule. Détacher ses disciples des soucis corporels, les amener à cultiver leur âme, les entraîner vers Dieu, voilà son effort constant.
(…) La philosophie enveloppée dans le Manuel et dans les Entretiens est celle du stoïcisme primitif. Épictète s’est contenté d’adopter la doctrine de Zénon de Cittium, de Cléanthe, de Chrysippe surtout. Son dogmatisme et son orthodoxie sont à peu près absolus, et ce doit être une des raisons pour lesquelles il ne cite jamais Panétius ou Posidonius, qui avaient engagé le stoïcisme sur la voie de l’éclectisme et accusé les points où le stoïcisme se rapproche du platonisme. (…) C’est un apôtre : il rejette impitoyablement toute erreur qui menace la foi qu’il prêche« .
Enfin, « Tout son effort tend à libérer l’homme et, par là, à lui procurer le bonheur. Cette liberté qu’il prêche inlassablement est uniquement intérieure : elle sera réalisée quand l’âme pensera droitement d’elle-même, du monde et de Dieu. En effet, Épictète est convaincu, comme Socrate, que la rectitude de la conduite découle infailliblement de la rectitude de la pensée, et sa morale est rigoureusement intellectualiste« .
Il y a encore beaucoup de choses à dire de la manière de penser d’Épictète, et je dois dire que je me reconnais pleinement en elle. Religieux sans religion, cet ardent et fervent est une sorte d’anarchiste appelant à la sainteté.
Les Entretiens sont absolument passionnants. On entre dans cet esprit si vivant, si fiévreux du bien agir. Épictète, lui qui prêche en « Asie Mineure » – le Caucase et la Turquie actuelle – est au carrefour de nombreuses religions antiques. « Ça brasse ». Le Bouddhisme et le Christianisme ne sont pas loin, et les flammes païennes brûlent encore fortement. L’homme ordinaire est en prise avec ses vices. Certains font le choix de se purifier – et Épictète est un enseignant presque parfait pour les conduire à la droiture !
Je vous souhaite qu’Épictète vous apprenne autant qu’il m’a appris !
Car voici un livre « pour la vie » par un grand amoureux de celle-ci, qui voulait… bien la vivre, et qui mourut sans remords ni regrets.
Je vous recommande cette excellente lecture ! Merci Les Belles Lettres ! C’est ici un ouvrage de référence sur Épictète et je le place dans mon TOP20.
Zuihô.
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