Ce texte phare de la théologie chrétienne postmoderne est un examen du nihilisme contemporain. A la suite de
Nietzsche, Mark C. Taylor constate qu'il n'y a plus de sens dans un monde sans Dieu et qu'il ne nous reste plus qu'à errer dans ce monde privé de sens. le livre est fondamentalement nietzschéen dans son orientation (et le problème d'un point de vue chrétien pourrait bien être qu'il le reste dans sa conclusion).
La première partie est un examen de
Saint Augustin et des Confessions. La deuxième partie est la déconstruction postmoderne d'Augustin et de la compréhension apophatique de la Vérité par le christianisme occidental. Cette partie finit sur une tentative, dont on referme le livre sans être certain qu'elle ait abouti, de trouver comment naviguer dans le nihilisme (résultat de la négation de Dieu) de manière non nihiliste.
Taylor enracine ce nihilisme contemporain dans le christianisme, en particulier dans ses idées sur l'Écriture et l'Incarnation. Parce que Dieu se vide de son être dans le Logos et que le Logos est crucifié, il en découle le nihilisme. le problème étant qu'il n'y a pas de résurrection dans la théologie de Taylor. Comme
Nietzsche, Taylor se voue à errer dans le monde fondamentalement nihiliste qu'il préconise.
Pourtant, on ne peut s'empêcher de penser qu'un engagement plus approfondi avec le christianisme donnerait à Taylor la direction qu'il lui manque. Il se concentre en effet sur le texte de l'Écriture (signe d'une tendance protestante, voire carrément athée ?) et ne considère absolument pas le rituel chrétien (alors que si Dieu est silencieux et absent même pour un chrétien, il nous est proche dans l'Eucharistie).
Si l'on écarte la compréhension apophatique de l'Écriture pour se focaliser sur le texte comme totalité, alors oui le travail de Taylor a du sens : sans transcendance, on est piégé dans le texte et condamné à "errer sans fin". "Il n'y a pas de hors-texte" disait
Derrida, qui préconisait cette approche : si le texte fini est une totalité, il n'est voué qu'à se rattacher à un contexte intérieur infini, à l'infini, à l'intérieur de lui-même.
Dans une perspective chrétienne cependant, on devrait considérer que la façon dont Taylor justifie son a/théologie résulte d'un rejet du christianisme lui-même, plutôt que de quelque chose d'inhérent à ce dernier. Peut-être par inadvertance, il démontre ce qu'il récuse : la nécessité d'une compréhension apophatique du langage et des textes (et non la nécessité de s'en débarrasser !)
L'aporie de Taylor pourrait même suggérer en creux la nécessité à s'engager dans la pratique d'un christianisme sacramentel, autour de la participation au Transcendant comme fondement de notre être. Une piste développée depuis par Catherine Pickstock, dans "Après l'écrit. Sur l'achèvement liturgique de la philosophie", qui montre l'insuffisance de la critique postmoderne à fonder une théologie véritable.