Fleur du mal ou dérisoire étoffe de héros ?
Dans le film Saint Laurent du réalisateur
Bertrand BONELLO, il irradiait l'écran en vénéneuse fleur du mal, Jacques de BASCHER incarné avec maestria par un Louis Garrel canaille et pervers, Lucifer porteur de blanches ténèbres, ange déchu entraînant dans sa chute
Yves Saint-Laurent travaillé par ses démons intérieurs et coupé des réalités du monde, fasciné et amoureux « Je suis esclave de l'Époux infernal, celui qui a perdu les vierges folles » qui ira à son exemple « par un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens, toutes les formes d'amour, de souffrance, de folie, il épuisera en lui tous les poisons » jusqu'à s'avilir dans toutes les humiliations et se perdre lui-même pour sauver son art dans un sublime et quasi religieux don de soi sacrificiel.
Sans nier la réalité de la relation passionnelle et destructrice d'YSL, le portrait dressé par
Marie Ottavi paraît plus prosaïque et moins mythique que la représentation de sa fiction. Jacques de Bascher, enfant du baby-boom et des années folles libertaires post soixante-huitardes, ne brille que grâce à la lumière portée des deux grands géants/génies de la mode, YSL, et surtout
Karl Lagerfeld, figure tutélaire, qui lui offre appartement de 390 m2, confort financier pour assouvir sa dépendance à la cocaïne, ses perversités, fêtes et folles débauches, à domicile ou dans les plus célèbres boites homos à la mode. Gigolo entretenu, à l'image des courtisanes, parité oblige, coquettes et semi-mondaines de l'entre-deux guerres du XXe siècle, Odette du Swann de
Proust.
Gloire usurpée de dandy dilettante et oisif, " sa statue de plâtre fait pâle figure à côté des bustes en marbre de ses amis ", velléitaire du travail qui n'aura ni réalisé, ni créé ou écrit, « il ne produit rien en dehors de lui-même ; il est dans le paraître qu'il peaufine jour après jour » il restera comme le vestige et le témoin privilégié d'une époque hédoniste - ni tabous ni politiquement correct - d'intelligentsia, d'avant-gardes et d'artistes gay, de frénésies de plaisirs et d'émulations créatrices. Il finira par se perdre entre lignes de coke et sexe, comme d'autres « se noyer dans la queue de comète des eighties » et s'éteindra en 1989 à 38 ans, terrassé par une nouvelle maladie mortelle, le Sida.
La biographie - doublée de l'étude ethnographique des années 1970-80 - d'un « dandy de l'ombre », figure emblématique décadente de l'âge d'or d'un siècle finissant, qui n'aura vécu que pour brûler sa vie et la construire égoïstement comme une oeuvre d'art : dérisoire étoffe de héros.