Ma chronique a été publiée le 25 mai dans Haute-
Provence info., avec qui je collabore régulièrement.
Le Paraïs, une maison revisitée
Sylvie Giono s'est prêtée au jeu d'une nouvelle collection sur les maisons d'écrivains, dirigée par
Nicole Czechowski et
Françoise Grard aux éditions Belin : elle offre au lecteur, à travers l'évocation de la maison familiale du Paraïs, à
Manosque, un nouveau regard sur le père, le mari et l'écrivain que fut
Jean Giono.
le premier intérêt du livre est là : la fille de l'auteur a su dépasser le récit purement anecdotique. C'est certes une famille qui vit là, dans un quotidien qu'elle décrit précisément, mais « c'est lui, l'enchanteur, qui est l'âme de cet endroit. » le recul du temps lui permet d'analyser ce passé, illuminé par un père « heureux de pouvoir vivre de son plaisir : l'écriture », elle n'en occulte pas pour autant les aléas qu'une si forte présence impose à la vie des siens.
Le lecteur n'entre pas seulement dans l'intimité de l'homme : la dimension littéraire, ou plus précisément les conditions de la création, y compris matérielles, sont évoquées plus qu'analysées : ce n'est pas une approche théorique (les travaux de spécialistes et d'universitaires ne manquent pas!), mais par exemple à partir de la description de l'ancienne peinture chinoise Les Chevaux mongols, « qui compte parmi ses « essentiels » et qui « le suivra de bureau en bureau »,
Sylvie Giono parle, sans s'appesantir, de l'inspiration de son père : « C'est sa fenêtre sur l'imaginaire par laquelle il s'échappe du réel. » Elle cite aussi son père à ce propos : « La
Provence que je décris est une
Provence inventée […] J'ai inventé un pays. » Une manière de récuser tout régionalisme réducteur. Les transformations architecturales de la maison trouvent leur sens au regard des évolutions de la famille. Sont aussi évoqués les visiteurs, comme son ami
Lucien Jacques, et aussi les engagements de l'auteur qui lui valurent quelques déboires.
Ce n'est pas une nouvelle étude, il n'y a pas de recherche d'exhaustivité, mais un témoignage de première main, rendu émouvant par la proximité de la fille écrivant sur son père.
Sylvie Giono est un guide impliqué affectivement. C'était un défi, mais elle a trouvé le juste équilibre entre l'émotion et l'information. C'est un texte « pensé », construit, étayé de citations très pertinentes (de textes pour certains inédits), mais jamais « savant », où
Jean Giono est là, vivant, à chaque page. Les petits détails de la vie courante, parfois très prosaïques croisent très naturellement les réflexions littéraires. Un cahier de photographies, au centre de l'ouvrage, parle aussi à l'imagination du lecteur en lui offrant des vues non légendées, mais étroitement liées au lieu.
C'est à travers « la maison d'un rêveur » que
Sylvie Giono entraîne le lecteur : elle l'invite aussi à ce « voyage immobile » cher à l'écrivain, et donne ainsi envie de pénétrer de manière sensible dans cet univers, même si l'on pense le « connaître » déjà…
Evelyne de Martinis