Anjan Sundaram ressent l'appel du large quand il quitte en 2005 la voie toute tracée qui l'attend à sa sortie de Yale.
Il arrive à Kinshasa, République démocratique du Congo où il démarre une carrière, cahoteuse pour le moins, de journaliste. Mais à la veille des élections présidentielles de 2006, c'est un semblant de démocratie qui émerge lors de ces premières élections libres.
Ce qui est parfaitement accessible quand on lit cet auteur c'est l'ambiance du pays dans lequel on se trouve à ses côtés, en totale immersion. On voit bien que les années de dictature ne se balayent pas à coup de bulletins de vote et que la paix démocratique ne s'importe pas selon le prisme de la réalité occidentale. Non ! à Kinshasa, le régime quel qu'il ait été fait partie de la chaire du peuple ; il s'immisce dans le souvenir et dans le réel du vécu de chacun des habitants et pour chacun à des degrés divers ; qui de la jungle urbaine ou de la réalité de l'intégration. Ça ressemble un peu à un apprentissage lorsque nous voulons intégrer par assimilation une langue étrangère. À mesure que l'on progresse, il arrive parfois qu'une résistance s'oppose, opérant en son for intérieur une meurtrissure, comme si une partie de soi bien qu'inconsciente, était amputée de son identité ; on est alors une personne en cours de mutation oscillant entre son avant prépondérant et son devenir en préparation. C'est alors pourquoi les peuples, bien que miséreux et fragilisés par l'état de guerre permanent nous paraissent, apparaissent incapables de s'externaliser mentalement vers un changement qui de fait reste inconnu, fut-ce une promesse de démocratie. Une réflexion qui m'amène à penser que sous couvert de liberté, dame démocratie revêt, ici comme ailleurs, un air de soumission quand elle permet tous les abus.
L'écriture de cet auteur est par ailleurs très agréable et nous conduit très habilement au coeur du Congo, au Kinshasa donc, mais jusqu'au cou.
Mais, c'est moi ! qui remercie la famille Marchialy et le partenaire Babelio.
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Un grand merci aux éditions Marchialy pour cet envoi. Cette maison d'édition m'a toujours plu car elle mêle avec beaucoup de brio le romanesque à la documentation. Ce roman nous montre le parcours d'un jeune homme qui a tout quitté pour se retrouver au Congo. On y décèle les problématiques liées au pays : argent, manipulation, violence, maladie, etc. l'auteur nous livre son ressenti et son expérience non censurée de cette période de sa vie. Sa problématique liée à son envie de devenir reporter nous touche forcément. On est complètement happé par ce jeune homme qui tente de s'en sortir. Mais dans ce roman où la richesse de son témoignage nous touche, je trouve qu'il demeure trop « documenté ». On a donc un jeune homme qui nous parle de son parcours mais qui a pour moi un manque de recul nécessaire pour comprendre et mieux appréhender ce qu'il vit ou à vécu. Dans cette histoire j'ai aimé le Congo et son rapport à celui-ci, mais je suis un peu déçue par la finalité qui ne nous donne presque rien. Je ne m'attendais pas à cela, plus romancé ou plus réaliste, je ne serais clairement l'expliquer. Et malgré la qualité de ma lecture elle m'a perdu parmi tout ce qu'elle voulait m'apporter. Ce voyage a du être hallucinant pour lui et malheureusement un peu moins pour nous.
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Le Congo, je le sentais, était victime du mythe du dictateur. C’était ce que j’avais vécu enfant : l’endoctrinement qui fait du despote un sage et un sauveur tout-puissant. Jusqu’à récemment encore, Dieu était généralement invoqué dans le mythe pour justifier un pouvoir fondé sur un droit divin. De nos jours, les dictateurs ont moins besoin d’avoir recours au mystique : ils se servent des outils de la liberté comme les élections, le commerce, l’éducation, l’art, les médias. Le despote réussit quand il rend à la fois sa présence terrifiante et son absence effrayante. Mais son mythe, qui peut profondément modeler la société et qui se trouve de fait construit par la société elle-même, est aussi destructeur que puissant. (p.85)
Une famille [d'Indiens] de trois personnes arriva. Ils étaient modestement vêtus et marchaient pieds nus. La peau de leurs pieds était si craquelée qu'on aurait dit de la terre séchée. [...] Ces gens venaient de la brousse et le village traversait une période délicate. Il avait subi les attaques d'un vampire quelques mois auparavant : celui-ci serait arrivé dans un bruit terrifiant et aurait terrorisé les habitants pendant des semaines jusqu'à ce qu'un chamane le terrasse. Les villageois firent part de leurs malheurs : le vampire avait mangé les troupeaux, il avait fait exploser un toit, vidé les filets d'un pêcheur et infecté leurs poumons. Le fils d'un pêcheur me raconta qu'ils avaient retrouvé le cadavre de la bête. Il voulait me le montrer. C'était juste à la sortie du village, disait-il, près des champs. Je m'accrochai à son tee-shirt tandis qu'il escaladait agilement les arbres morts. Il me fit passer devant d'anciennes habitations sans toit, masquées par les hautes herbes, puis nous arrivâmes dans une clairière dans la jungle où, couverte de plantes grimpantes et de feuilles, gisait la carcasse d'un avion.