Embarquement immédiat avec le poète voyageur! Des quatre coins du monde, infatigable ( il aura 99 ans en août !), Frédéric Jacques Temple envoie des cartes postales à ses nombreux amis et nous communique son émerveillement jamais faiblissant devant la nature, son enthousiasme. Sa tristesse parfois aussi...
Les poèmes de ce recueil s'échelonnent de 1995 à 2019. Mes parties préférées sont " La chasse infinie" et " Profonds pays" et le magnifique " Un émoi sans frontières", titre qui résume à lui seul toute la poésie de l'auteur.
" Jules Verne! C'est lui qui m'a poussé, et non les poètes, vers la poésie "s'exclame-t-il. On comprend alors son désir d'aventure, de voyages. Et son ancrage dans la nature, il le doit à un oncle paternel qui l'a initié très tôt à entrer en dialogue avec la forêt, les oiseaux, les arbres.
Son écriture est dense, diversifiée, tour à tour joueuse, il y a d'ailleurs quelques calligrammes, sensible et émouvante, nostalgique aussi de l'enfant qu'il était. Les " poèmes de guerre" qui clôturent le recueil montrent, quant à eux, la douleur secrète des souvenirs de combattant de la seconde guerre mondiale.
Ce qui m'a plu essentiellement , c'est que tout est sensations pour le poète, transcrites avec intensité mais aussi sobriété:
" Nous sommes de cette terre
dans la douce respiration
sans relâche
de la mer
les embruns
nourrissent le thym
nous vivons
dans le chant solaire
de ces lumineux parages
lourds de fragrances
et de sel"
J'ai aimé la chaleur, la générosité qui se dégagent des mots: toujours le poète s'adresse aux amis, visite des lieux chargés d'histoire littéraire, comme Combourg, ou la tombe de Rimbaud. On le sent tourné vers les autres, bouillonnant de vie et d'amitié. Il a été journaliste, réalisateur de films, sa biographie est riche de rencontres et de déplacements multiples.
Et j'ai été sensible particulièrement aux évocations si tendres de sa mère, décédée précocement, le poème qui lui est consacré " Dors, ombre douce" m'a beaucoup émue...
Un périple enthousiasmant au travers de mots inspirés et vivifiants, cela vous tenterait-il? Je l'espère...
Commenter  J’apprécie         324
Tombé dessus par hasard au rayon poésie du Gibert de Lyon. Excellent achat et découverte d'un magnifique poète.
Commenter  J’apprécie         30
APRÈS-MIDI AU JARDIN DES PLANTES
Des ombres glissent
qui ne sont pas celles des arbres
dont le vent courbe
les hautes branches claires
dans les allées où jadis enfant
je n'avais ni le souci de vivre
ni l'immense projet de mourir.
Je médite à l'abri d'un ailante
ce qu'en ces lieux sans doute écrivit
Thomas Browne :
"les générations passent et les arbres demeurent".
Fidèle à ceux qui m'ont précédé
avec un livre ouvert parmi les simples
et sous les orangers des Osages
dont je lançais les pommes grumeleuses
sur les nourrices à bonnets
sans nul égard pour les térébinthes,
indifférent au friselis des bambous dans la brise,
fidèle à ces passants qu'éternisent des bustes
ceints de laurier, de viorne et d'amarante,
je suis allé parler au cénotaphe
de Narcissa qui fut l'ombre d'une ombre
dont les mânes voltigent sur les myrtes.
Pensées, soucis et monologues
se mêlent aux bosquets de l'antique Montagne
dominant cinéraires et lys de mer.
Les mésanges en deuil, les rossignols virtuoses
chantent l'odeur sucrée des alyssons :
la mer est proche et le vent grec charrie
le relent des eaux mortes.
Un bassin endormi déborde de soleil
sous les vertes ombrelles des lotus.
Aux déodars pendent de lourdes pommes d'or.
Je suis ravi dans le muet dédale
des secrètes gésines où sans répit
mûrissent d'insignes germinations
et les confins irrévocables de la vie.
Il suffit d'une tombe vide
pour inspirer de lentes promenades
et le silence, tel qu'en inventent
en leur pénombre les sanctuaires
où seuls s'émeuvent les choucas
des cloches envolées d'une ville
imminente et pourtant lointaine
dans ce jardin des âmes bienveillantes
qui me font signe entre les cyprès d'encre.
En ce lieu clos, creuset de la mémoire,
enfermez-moi encore, Ô dieux masqués
de feuilles et de fleurs...
Ici je suis couronné de bonheur.
À Hervé Harant, in memoriam
(extrait de "Paysages") pp. 105-107
LA DIVE BOUTEILLE
La volupté
mille fois
renouvelée
que promet
la musique
labiale et
claire des
bouchons qui
fusent du gou-
lot, en soupir de
vif regret d'avoir
à quitter le liquide
depuis longtemps peut-
être familier ‒ j'ose dire
intime-quasi amniotique,où il
ne flotte pas, et dont il s'enfle
lentement, transfusion revivifiante
dont il gardera, pour combien encore,
Ô délices, le parfum stimulant du ma-
gique alcool né du soleil, de la ter-
re, et qui gonfle les fibres du liège
pour en faire un sexe libéré et gor-
gé d'une sève inimaginable qui exul-
te en l'orgasme initial du rituel de
boire enfin ce qui mûrissait dans le
verre épais de la mère bouteille qui
contient aussi la jouissance du vide
en devenir, Ô désir,fabuleux transva-
sement et deuil qui en est le fruit,
lorsque règne enfin en souveraine la
transparence dans ce flacon où,com-
me après l'amour vient une belle las-
situde de cette chimie secrète qui re-
vit d'opérer au regard des dieux ca-
chés, et qui en dernier lieu ne lai-
se qu'une lie purpurine tel un lourd
regret porteur de victorieux espoirs
p.77
À ta santé là-bas, Frédéric Jacques
Temple qui nous a quitté ce six août
2020.
LA CHASSE INFINIE
à Brigitte
C’est par les veines de la terre
que vient Dieu,
par les pieds qui sont racines
dans l’humus et la pierre,
vers les cuisses, l’aine humide
et douce
comme un herbage de varaigne,
et non du ciel
Virginal
Où il ne trône pas.
Sur le lit de faînes rousses
je le contemple
par les pores de l’inconscience
et j’adore la senteur fauve
qui transsude
de sa présence abyssale.
Érigé dans la folle avoine
je le traque,
l’aurochs éternel
hérissé d’angons,
dont l’œil béant m’invite
à la chasse infinie.
p.63
Dors, ombre douce
Quand la nuit pénètre la mer
luisant de mille ardoises
ma mère est là
dans l'odeur des alyssons
et des lys des sables.
Elle sourit telle autrefois
dans les près fleuris de l'enfance
me regardant comme en rêve.
Dort-elle?
Pourquoi dors-tu
depuis si longtemps déjà ?
Tant de luzernes mûres et fanées
ont passé sur ton sommeil !
Dors, ombre douce,
un jour je te réveillerai
comme une fanfare
et nous irons, âmes ardentes,
cueillir les verveines
de la tendresse triomphante.
L’OREGON TRAIL
à Jean Carrière
Et moi aussi j’ai pris la diligence
qui passe au large de Chimney Rock
dans l’herbe jaune du souvenir
J’ai vu les sauges grises
de la rivière Platte
et les yuccas témoins du Poney Express
dans le soleil cheyenne
Les coyotes fuyaient devant nos montures
furtifs
comme les femmes des tribus sans retour
Au loin montait la poussière des troupeaux
mugissant vers les vieilles odeurs
nocturnes
de l’aventure morte
Et le long fouet sec
claquait dans le vent
sur les collines infinies
de Scriven’s Ranch
Et j’entendais gémir les lents chariots mormons
dans les ornières
sous le regard fantôme des Indiens
morts.
À l'occasion du Printemps des Poètes, Bruno Doucey décline le mot "Désir" en toutes lettres !
Pour la dernière lettre du mot Désir, ce sera donc R comme Rage de vivre que Bruno Doucey explore en poésie...
Livres évoqués :
/ "Le désir – Aux couleurs du poème", anthologie
/ "Vive la liberté", anthologie
/ "Par le sextant du soleil", Frédéric Jacques Temple