Maman.
Réduite à l’essentiel : un souffle.
Étrangement, ce souffle si léger qu’on ne peut pas le saisir, impalpable au point de paraître quelquefois suspendu, nous relie à elle plus fortement encore que ne faisait sa voix, sa voix dont je pense aujourd’hui qu’elle était si parfaite, si naturellement parfaite, qu’elle n’étonnait pas, ne bouleversait pas, mais, simplement, retenait.
Elle disait :
« Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent. »
Sa voix, posée juste dans son medium, timbrée sans discordance, mesurée dans son temps était si unie, si recto-tono qu’on n’en écoutait pas la sonorité : elle livrait son message sans s’interposer à l’inverse de certaines autres voix qui font écran, qui escamotent.
La voix de maman délivrait les mots, le sens des mots, la pensée, loyalement.
Elle disait :
« Les mots ont un sens. »
Elle le croyait. Elle n’avait pas appris les non-sens, elle ne savait pas interpréter les lapsus, les blancs de mémoire (comme on dit au Québec), elle ne savait pas que les mots n’ont pas un sens mais plusieurs. Elle leur faisait confiance. Innocemment.
Elle disait :
— Précise ta pensée
parce que son propre langage était précis, clair, droit. Le langage servait sa pensée et c’est tout.
Maintenant elle n’a presque plus de mots. Elle a oublié les mots. Elle a désappris à penser.
Elle avait tellement peur des mots ; en refusant les mots, elle faisait reculer la réalité, elle repoussait les échéances. C’était sa manière à elle de combattre la mort.
Quand on perd sa mère on change d’âge d’un seul coup.
Rien ne me paraît plus réel ou irréel.
Je ne ressens plus rien.
Pas même un vide.
Pas un désir.
Rien.
[La mort nue]
Olivier BARROT présente le livre "La mort nue" de
Geva CABAN aux Editions VERDIER.