"Le capitalisme ne mourra pas de mort naturelle". Ce constat, tiré du Livre des passages de
Walter Benjamin, résume à lui seul le propos de l'essai de
Razmig Keucheyan,
La Nature est un champ de bataille (éditions Zones, Paris 2014).
Le capitalisme a les moyens de s'adapter à la crise environnementale, comme il a su s'adapter aux autres crises précédentes. L'auteur démontre ici, de nombreux exemples à l'appui, que la financiarisation et la militarisation de la crise écologique sont la démonstration, par le système capitaliste, de sa capacité à se réinventer sans cesse pour surmonter ses crises.
La financiarisation de la nature est la première réaction du capitalisme devant la crise écologique. L'auteur explique "qu'elle protège l'investissement des conséquences du changement climatique, amortit l'augmentation du coût des conditions de production à laquelle il donne lieu, et permet par la même occasion d'en tirer profit, dans un contexte global marqué par une crise économique de longue durée."
Cette financiarisation du risque environnemental est rendu possible par l'impossibilité des États – affaiblis par la crise fiscale – à recourir uniquement aux assurances pour couvrir les dégâts créés par les catastrophes naturelles. Ainsi le monde de la finance capitalise sur le chaos pour en tirer des profits.
La militarisation de la crise écologique est le deuxième "anticorps'" produit par le capitalisme pour se sortir de la crise actuelle. Les états-majors américain et même français, ont intégré depuis plusieurs décennies l'impératif climatique dans leurs stratégies militaires. le réchauffement climatique bouleversera l'accès aux ressources essentielles à la civilisation (eau, terre). Leur raréfaction, entraînera donc des conflits d'un genre nouveau. le capital aura donc besoin de l'aide militaire pour assurer l'appropriation de ces ressources. Toute la géostratégie est repensée sous ce nouveau paradigme, et il est troublant de voir combien les militaires sont en avance dans ce domaine (les prémices de la transition énergétique de l'armée américaine en est l'exemple le plus probant) en comparaison à nos politiques qui restent enfermés dans des projections sur le court terme.
Par ailleurs, l'auteur dénonce le rôle de l'État qui exerce une fonction d'intermédiaire ou d'interface entre le capitalisme et la nature : "En régulant l'accès aux ressources et en prenant en charge les conséquences négatives du développement, l'État oeuvre en faveur des intérêts de long terme des classes dominantes et permet que la nature puisse être exploitée durablement" .
Comment alors abattre ce trio que forment la nature, le capitalisme et l'État, et empêcher que ce dernier oeuvre en faveur des intérêts du capital ?
Pour R. Keucheyan, il s'agit de s'inspirer du mouvement pour la justice environnementale américain, qui a inventé le concept de racisme environnemental et dénonce le fait que les conséquences néfastes du développement capitaliste ne sont pas subies de la même manière par tous les secteurs de la population.
Les luttes pour la justice environnementale et contre la marchandisation de la nature sont donc les pistes les plus concrètes aujourd'hui pour mettre un terme aux relations entre l'État et le capital. C'est ce que s'appliquent à faire les zadistes de Notre-Dame-des-Landes par exemple, ou ceux qui luttent contre l'exploitation des gaz de schiste à travers le monde.