Keiko Ichiguchi est une autrice du sensible et de la tragédie qui me touche depuis notre première rencontre avec
America en 2007. Elle se fait rare mais chaque titre fait mouche grâce au côté très intime et personnel de son oeuvre.
C'est en effet une mangaka engagée qui a réellement quelque chose à raconter de très intime dans chacune de ses oeuvres. Il y est souvent question de déracinement mais aussi de la montée des extrêmes et de notre impuissance dans ces moments-là malgré toute notre volonté de contrer cela. Une oeuvre vraiment de circonstance que je ne peux pas que vous encourager à découvrir, que ce soit avec
1945 ou
Les cerisiers fleurissent malgré tout, ou même avec le plus tranche de vie
Là où la mer murmure. Ce fut à chaque fois un âpre émerveillement.
Ce nouveau texte, encore une fois un volume unique, nous mène sur les traces d'une artiste japonaise méconnue, première peintre japonaise de style occidental et première Japonaise à servir de modèle à un artiste occidental : Otama alias Eleonore Segura. de sa rencontre avec l'amour de sa vie, à sa carrière d'artiste, en passant par ses déceptions de femme, ainsi que son retour sur ses terres natales en des temps troubles, en peu de pages la mangaka nous conte tout son parcours. Si j'ai regretté une trop grande concision et si j'aurais aimé un titre plus long, c'est parce que justement j'ai été touchée par l'histoire de cette femme qu'on ne fait qu'effleurer ici et que j'aurais aimé bien plus !
J'ai à nouveau trouvé que l'autrice faisait preuve d'une grande sensibilité très pure et délicate pour mettre en scène cette grande dame, désormais âgée au début de l'histoire, qui comme dans Laurel & Hardy, revient sur son passé à l'occasion de la rencontre avec un jeune garçon naïf et curieux. C'est un procédé qui fonctionne toujours et qui ici nous ouvre une double porte : celle du regard de la dame âgée sur celle qu'elle fut plus jeune et celle du regard de cette même dame et de ce jeune homme sur les chamboulements en cours dans leur pays. J'ai aimé suivre le parcours plein d'achoppements d'une étrangère dans un autre pays, seule dans une famille qu'elle ne connaissait et ne comprenait pas toujours, qui trace sa route grâce à son art et au soutien de son époux. J'ai été bouleversée par tous les noms de ce terrible nationaliste qu'on sent monter dans les années de son retour, les atroces années 30 où ce mouvement fait son lit sur la pauvreté qui recouvre bien des Japonais qu'on a forcé à s'occidentaliser trop rapidement. C'est glaçant. Pour autant, l'autrice fait preuve d'une belle sensibilité en n'étant ni trop naïve, ni trop revendicatrice, mais en trouvant un juste milieu honnête et évocateur, qui donne juste envie de lire plus de textes de cette eau-là.
Comme dans l'ensemble de son oeuvre, je trouve l'autrice très forte pour nous attacher rapidement au destin bousculé d'un personnage simple dont la mélancolie nostalgique d'un passé perdu nous touche. A la manière de son dessin, sobre, franc et direct, elle fait de même avec cette histoire au décor historique réussit bien que pas assez profond à mon goût. Je serais tellement restée à décortiquer tout ce qui se joue à travers la famille du jeune garçon venant rendre visite à Otama, et qui semble caractériser tout ce qui va faire basculer le pays : pauvreté, figure parentale absente, embrigadement aveugle, bascule dans la prostitution… C'est terrifiant. Et pourtant, le message reste positif, lumineux, car Otama est une femme qui a lutté toute sa vie et qui est capable de transmettre ses valeurs et sa force aux nouvelles générations. Elle est là ainsi malgré tout, en dépit de tout, pour épauler et essayer de les aider à s'en sortir à sa manière. C'est l'une des forces de cette lecture.
Retrouvailles réussies avec cette autrice qui se fait rare mais fait mouche à chaque fois. Avec un récit historique sensible et pur, elle décoche sa flèche et présente à la fois une femme d'art et de combat toute en nuance et subtilité, dans un Japon en plein tumulte qu'on n'étudiera jamais assez sous toutes les coutures. Un texte peut-être un peu trop bref, donc un peu frustrant, mais où l'émotion et le message sont parfaitement passés !
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