Qu'est-ce que Warburg s'imaginait faire à Oraibi ? Ses documents de voyage le qualifient de "savant allemand" et "d'homme fortuné". Et dans une note rédigée à la clinique Bellevue, il se souvient qu'il souhaitait "s'enfuir vers l'objet naturel et la science". Arrivant à New York en 1895 pour assister au mariage mondain de son frère Paul, il est écœuré par le "vide de cette civilisation" et, inspiré par des ethnologues de la Smithsonian Institution, il décide d'aller voir les Pueblos du Sud-Ouest.
Grâce aux expériences qu'il y avait faites, il put reconnaitre l’existence d'une double vérité : pour l'homme de la Renaissance comme pour l'Indien [natif américain], il existe deux domaines de faits relativement indépendants l'un de l'autre : le monde de l'expérience rationnelle et celui de la magie. Lorsqu'ils entrent en conflit, la vérité magique peut l'emporter sur celle des faits, même dans l'Europe du XVIe siècle.
La référence à une catégorie scientifique l'amenait à soutenir qu'a l'origine l'oeuvre d'art constitue l'instrument d'une culture primitive fondée sur la magie, autrement dit un instrument employé pour se mettre en relation avec le surnaturel et ses manifestations naturelles, et que c'est seulement par la suite, dans la culture dite "élevée", que la représentation devient un processus apparemment esthétique.
Marie de Quatrebarbes lit (quelques pages de) Aby à l'occasion de la parution de "Aby" aux éditions P.O.L, à Paris le 1er mars 2022 - "Aby", c'est Aby Warburg
- Pages 62 à 65 + pages 43 à 45 -
"Kreuzlingen, 1921. En 1921, Aby a peur des métaux, des objets en métal, de l'électricité, de l'empoisonnement, du sublimé dans l'eau du bain. Il a peur que sa nourriture soit souillée par du sang menstruel, du sperme ou de la morve, il a peur des pogroms, de l'hypertrophie de la prostate, de faire l'objet d'une erreur judiciaire,de l'hypertension, du diabète, d'un poêle qui fume, d'une chèvre qui avorte, d'une citerne endommagée,
de la lettre de crédit, que ses lettres soient volées, ou ses bagages, que sa famille soit torturée et assassinée. Et par-dessus tout Aby a peur d'être emprisonné, exécuté, que les juifs soient éliminés, que son oeuvre soit mise au pilon et du sang humain ajouté à son médicament. Il traite à Bellevue ses affaires avec le plus grand soin, s'inquiète que ses costumes et ses bottes soient volés ou salis, craint qu'on change ses lacets, que le docteur Embden exécute sa famille, le docteur Otto Binswanger II, le frère de Ludwig, l'empoisonne et la femme de ce dernier soit une espionne."
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