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Christine Laferrière (Traducteur)
EAN : 9782845451452
355 pages
Editions des Syrtes (30/11/-1)
3.81/5   18 notes
Résumé :
Le livre retrace la vie d'un jeune Tzigane, Andrejko Dunka, voleur hors pair, depuis sa naissance jusqu'au moment où, après des années d'errance à travers la Tchécoslovaquie et la perte de sa compagne (sa cousine), il est contraint, faute de moyens, d'abandonner son enfant, et décide de repartir. L'histoire individuelle et familiale se double en filigrane de celle des nations, la famille étant obligée de fuir sans cesse au gré des grands événements du XXème siècle (... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (9) Voir plus Ajouter une critique
"Čhajori romaňi, ker mange jagori, na cikňi na bari, čarav tro voďori."

"Ma petite toute gentille, allume le feu, s'il te plaît...", implore la vieille chanson tzigane.
En effet, il vaut mieux profiter de la chaleur bienveillante des flammes, quand Martin Šmaus se met à nous raconter l'odyssée d'Andrej Dunka. L'histoire fait froid dans le dos, et les coups qu'Andrejko reçoit de la vie font souvent très mal.
Le récit de ses errances commence dans le petit hameau slovaque de Poljana, tout près de la frontière ukrainienne, mais se déplace très vite dans le quartier populaire de Žižkov à Prague. le garçon passe par plusieurs institutions d'"assimilation", il sillonne le pays en train, revient par deux fois à Poljana pour essayer de renouer avec un passé idyllique, mais l'époque change à la vitesse d'un cheval au galop, et le pays aussi.

Je suis à ce jour la seule à donner cinq étoiles au livre (lu en tchèque, mais le peu que j'ai vu de la traduction française me semble plutôt réussi), et il ne me reste plus qu'à justifier cette note.
La première étoile est pour l'excellente surprise que l'attribution des prix littéraires peut encore avoir une certaine pertinence. le livre a reçu dans son pays la prestigieuse Magnesia Litera, un prix qui devient ces derniers temps dangereusement teinté de toutes sortes d'idéologies apparentées à tout, sauf à l'art de faire de la bonne littérature "littéraire". Avec la quatrième de couverture, bizarrement formatée pour transformer le roman avec succès en quelque chose qu'il n'est pas, c'était une raison suffisante pour le reléguer aussitôt au fond de ma pile, d'où il est sorti des années plus tard grâce à un ami babéliote.

La deuxième étoile va au tchèque absolument enchanteur de Šmaus, qui ne cache pas son admiration pour Hrabal ou Pavel, ni l'influence de Kerouac pour construire son récit. Est-ce le réalisme magique ? le style résonne avec la culture tzigane pleine d'émotions, c'est tellement réel, et pourtant, la cruauté du destin s'insinue de façon presque lyrique, frôlant parfois de près le sado-masochisme sentimental, ce qui n'était pas vraiment pour me déplaire. La conscience flotte entre les bicoques délabrées, immeubles gris, existences étranges, enfants sales et mélodies languissantes qui arrachent l'âme ; elle sait que la chute doit venir, que tout a sa fin... mais ce moment, ce mouvement des yeux qui attrape l'époque qui n'est pas encore si loin, est de toute beauté.
Le roman a aussi le mérite de consigner pour la postérité certaines expressions typiques pour les années 80-90, déjà sorties de la langue populaire tchèque.

La troisième étoile est pour le courage de Martin Šmaus de choisir un thème considéré comme "sensible", et le traiter de façon à appeler un chat un chat. le récit n'est ni exagéré ni édulcoré, et il reflète parfaitement la situation des Roms tchèques, et leurs déboires depuis la fin de la guerre, quand ils étaient contraints à migrer vers le milieu urbain. le malheureux Andrej reste un homme de l'époque des chevaux et des roulottes, qui ne sait pas où aller dans ce monde nouveau ; les ponts s'effondrent l'un après l'autre, les portes lui claquent au nez, les lourdes barrières tombent... et pourtant, il n'aspire qu'à un peu de tranquillité, quitte à se soumettre aux exigences des gadjé. Mais certaines racines sont impossibles à trancher, arracher et replanter.

La quatrième étoile pour un regard lucide des deux côtés : la société tchèque qui veut assimiler de force les Roms, et doit supporter les conséquences de cette assimilation ratée : appartements d'état détériorés, violence, prostitution, criminalité, femmes prématurément vieillies entourées d'une ribambelle d'enfants qui volent et mendient dans les gares, et qui font d'autres enfants pour obtenir l'argent facile des allocations, selon l'adage "nane čhave, nane love, nane bacht" - "sans enfants il n'y a ni le bonheur ni l'argent". La haine et les préjugés des deux côtés, dus à la différence des mentalités entre la cigale et la fourmi : les uns qui ne pensent qu'au futur, et les autres qui sont persuadés que la vie commence et finit aujourd'hui, l'argent est fait pour être dépensé, et "se remémorer hier et rêver de demain est tout juste bon pour les gadjé". Deux mondes inconciliables, forcés de cohabiter... Šmaus fait balancer sans arrêt le coeur de son lecteur entre deux pôles, en rappelant subtilement l'idée morale de base que tout un chacun est avant tout un être humain.

Cinquième et dernière étoile pour la recherche... où, sur quel chemin se sont perdus les coutumes, la langue romani et les chants d'autrefois, les anciennes et mélancoliques halgatá qu'on ne peut pas consigner par écrit, sauf si la partition était tissée d'une fine toile d'araignée couverte des gouttes de rosée du matin, des églantiers rouge sang et des étincelles lumineuses qui s'échappent des feux de camp. Il ne reste que l'impression de solitude...

Vous pensez que le mot "impossible" n'existe pas ? Que cet adjectif sert seulement d'excuse pour dire "je ne veux pas", ou "ce n'est pas le bon moment" ?
Si les phrases très longues et l'absence de dialogue ne vous font pas peur, laissez Martin Šmaus vous expliquer le contraire, dans ce roman aussi beau que cruel.
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Quels sont ces hommes, ces femmes, ces enfants, aux cheveux noir corbeau, aux yeux cernés de suie, dont l'apparence vestimentaire rebute, qui ne se nourrissent pas d'électricité et d'eau pure, mais de soleil, d'étoiles et de boue ?
Qui sont-ils, ces gens qui tremblent de peur devant Durga, la redoutable déesse de la guerre et devant Kali la noire, la déesse de la mort chez les Hindous ?
Ce roman de Martin Smaus nous invite à les découvrir.
Ils sont différents… leurs différences dérangent… et ils vont subir…

« Petite, allume un feu… » est un roman tchèque, étrange et envoutant.
On y découvre une famille, les Dunka. Ils sont fiers, attachés à leur tribu. Ils éprouvent beaucoup d'amour les uns pour les autres. Ils ont beaucoup de respect pour leurs anciens.
Mais leur drame, c'est qu'ils sont déracinés, et rejetés constamment.

Le personnage principal de ce roman, est arraché très jeune au hameau slovaque de sa famille tzigane : c'est Andrejko.
Il est malingre, mais habile. Il est misérable, mais idéaliste.
Il ne cesse de fuir, - que ce soit ses oncle et tante, qui vivent à Prague, et l'obligent à mendier et à voler, - la maison de correction, - une ville industrielle où il tente de s'intégrer vainement, - ou un asile.
Il retournera une deuxième fois au berceau familial déserté, dans les montagnes, avec sa belle petite cousine.

Cette jolie cousine, Anetka, va mette au monde un enfant. Andrejko va devenir alors davantage mature, et responsable, et se distinguera de ses congénères par le fait qu'il ne veut pas vivre des allocations fournies par l'Etat, après la naissance de sa petite fille.
Lui, ne veut pas mendier. Il est courageux. Il veut travailler.
Il est alors fier et heureux… Mais son bonheur sera saccagé encore par la haine atavique entre Blancs et Tziganes, malgré la sympathie de quelques-uns…
« Depuis son plus jeune âge, Andrejko avait dans sa tête, comme marqué au fer rouge, que la vie commençait et s'achevait par le jour d'aujourd'hui et que se souvenir de la veille et rêver au lendemain, ce n'était bon que pour les gadgé… »

Malgré les difficultés de la traduction, la langue imagée, est sensuelle et frémissante.
Elle véhicule l'émotion et donne vie à la société multiethnique tchécoslovaque de l'après-guerre, bouleversée par les changements politiques et économiques qui s'inscrivent en filigrane.
Les Dunka, et avec eux tous les Tziganes de Tchécoslovaquie, vont subir l'invasion des Allemands avec la guerre, puis ce sera l'arrivée des Russes, qui vont repousser vers l'ouest les Allemands…
Ces Russes, qui en nouveaux maîtres, vont confisquer, expulser, violer, et les Dunka vont devoir, une fois de plus, se déplacer pour échapper à tous ces malheurs…

Les Tziganes sont déracinés. On ne veut pas d'eux, mais ils aiment plus que tout, la liberté, et ils arrivent à vivre en osmose avec la nature.
Ils connaissent bien le langage des chevaux, qu'ils savent ainsi maîtriser. Mais avec la modernisation des villages, avec l'électrification, les tracteurs, et les routes en asphalte, ils vont être amenés à ne plus fréquenter les villages et à rechercher la vie facile avec l'argent de l'assistance plutôt qu'à travailler. Et ils seront victimes…
« Les Tziganes morts ou amochés à coups de couteau, ça ne comptait pas ; les enquêtes étaient toujours différées et le docteur modifiait encore volontiers le certificat de décès, car lui aussi aimait bien boire, lui aussi avait besoin des gens du village, et lui aussi n'était qu'un homme… »

Les Tziganes ont des difficultés à se faire comprendre, et parmi eux, les anciens sont souvent analphabètes. Ils ont leur propre langue. Ils parlent le romani.
Les enfants ont du mal à suivre à l'école les cours de tchèque et de russe…

Les Tziganes sont vus comme des parasites, qui goûtent et apprécient plus que tout leur liberté.
Ils ne possèdent rien, ne travaillent pas, volent, mendient, se prostituent, boivent, dépensent très vite l'argent qu'ils ont. Ils sont cigales et non fourmis !
Ils dégradent les lieux qu'on leur attribue. Ils sont rusés, habiles, plus malins que les gadgé.
Les enfants des gadgé ont des vélos, de belles peluches, et les enfants tziganes en sont avides…
Ils savent bien mieux lire sur les visages, estimer les faiblesses de chacun pour extorquer plus facilement.

Mais ils chantent, ils dansent, dansent et pleurent, ont le sens de la famille et du bonheur, sont généreux, savent savourer l'instant, pleinement.
Et la musique est très importante pour eux.
Les Roms sont connus pour être d'excellents musiciens et danseurs.
Le guitariste Django Reinhardt a influencé durablement le jazz en y mêlant la musique tzigane.
En France, leurs talents d'amuseurs publics et de dresseurs de chevaux ont généré des familles du cirque, célèbres, comme les Bouglione ou les Zavatta.

Quand ils chantent, ils fascinent, ils attirent… Il y a en eux une force étrangement séduisante.
Ils aiment faire la fête. Cela fait partie de leurs coutumes.
« …Quelle beauté, quelle douleur que ces chansons qui flottaient comme le vent parcourant l'herbe longue des prairies de haute montagne, enjouées comme le poulain bondissant ça et là dans le pré, flamboyantes comme les sorbiers… ces chansons recelaient un long chemin par les plaines de Hongrie, des feux de minuit et des nuits passées à danser dans la steppe devenue silencieuse, une joie à en perdre la raison, un chagrin et une douleur dont l'homme devait, devait se libérer par les chansons, ainsi que l'amour, pour lequel on mourait si facilement et pourtant si péniblement… »

L'histoire des Roms en Europe commence en 1416-1417. Les Tziganes (ou Roms), exonymes Tziganes / Tsiganes, Gitans (de l'espagnol gitano; de egiptano, parce que les Européens pensaient à tort qu'ils venaient d'Egypte.), Bohémiens, Manouches ou Romanichels,
(Ils parlent le « romani »), étaient à l'origine des nomades de la région du Pendjab, au nord de l'Inde.

Non loin de nous, dans le temps, leur histoire est sombre…
Par les nazis, ils ont été considérés comme un mélange de races inférieures et asociaux.
Rapidement parqués dans des réserves et enfin internés dans des camps de concentration sur ordre d'Himmler, ils ont été assassinés dans des camps d'extermination.
Le génocide contre les Roms a été officiellement reconnu par l'Allemagne, seulement en 1982 !
Si le génocide contre les Juifs porte le nom de Shoah, celui des Roms reste flou.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, ils ont été déportés notamment à Auschwitz et à Buchenwald.
Entre 50 000 et 80 000 Tziganes d'Europe sont morts des suites des persécutions nazies.
Mais chose moins connue, les Tziganes ont aussi participé à la résistance armée notamment en France, en Yougoslavie, en Roumanie, en Pologne et en U.R.S.S. !

Les Roms sont mentionnés pour la première fois dans un texte officiel de l'ONU d'août 1977 de la Sous-Commission de la Promotion et de la Protection des Droits de l'Homme, exhortant les pays « qui ont des Tziganes (Romanis) à l'intérieur de leurs frontières, à accorder à ces personnes la totalité des droits dont jouit le reste de la population ».

L'auteur de ce roman, Martin Smaus, ne juge pas.
Il constate le comportement et la façon de vivre de chacun
- gadgé d'un côté - et Tziganes de l'autre… qui sont tellement différents !
Les épreuves endurées par Andrejko, le jeune Tzigane écartelé entre plusieurs cultures, aident à mieux comprendre ceux qu'on appelle aussi
« les gens du voyage ».

« Petite, allume un feu… » est un roman que j'ai trouvé vraiment talentueux, qui permet de mieux connaître ces hommes et ces femmes, ce peuple qui ne peut se sentir bien que lorsqu'il peut goûter pleinement à son enivrante liberté.
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Andrejko Dunka aurait eu de qui tenir. Né tzigane dans une famille dont le père et le grand-père étaient tout à la fois voleur et dresseur de chevaux et un oncle - Ferko - qui avait dû fuir le village à la suite de quelques soucis avec les habitants du coin, son avenir était tout tracé. Andrejko ne pouvait que devenir pickpocket. Ce qu'il a commencé à faire inconsciemment dès l'âge de quatre ans avec la chaîne en or et la montre de l'oncle Ferko. Admiratifs devant autant d'audace, la famille décide d'envoyer l'enfant à Prague parmi les voleurs des rues de la capitale tchèque.

A peine arrivé à Prague, le petit - arraché à l'amour des siens et plus particulièrement à celui de sa douce maman, la belle Maria - est laissé aux bons soins de la tante Ida et de l'oncle Stefan, respecté du clan Dunka à cause de son passé de mineur et de sa pension d'invalidité. Sachant que les gadjé allaient s'apitoyer sur un enfant maigre, grelottant, décharné, morveux et pleurnichard, Andrejko commencera sa vie dans les rues de Prague pour gagner sa pitance. Dans cette nouvelle habitation, les parents Dunka vont et viennent au gré des vols et autres chapardages. Et comme l'appartement est bien trop petit pour contenir tout ce monde en transit, les plus jeunes font de la rue leur seule et unique demeure. En voyant cette farandole d'adultes égarés et d'enfants perdus, Andrejko comprend très vite que le nerf de la guerre, c'est l'argent. Pour lui, pour ses jolies cousines Anetka et Jolanka, pour ses futurs enfants, il veut et exige le même avenir que les gadjé.

Petit de taille, son terrain de prédilection pour le vol à la tire sera le tramway et l'autobus bondés, le magasin surpeuplé où Andrejko passe inaperçu. Mais le petit est doué et il apprend vite et bien. Il invente sans cesse de nouvelles combines pour gagner toujours plus d'argent. Et c'est l'oncle Stefan qui récolte et boit le fruit de ses larcins parce que, selon lui, un vrai tzigane qui se respecte ne travaille pas. Mais l'habileté et la dextérité d'Andrejko ne lui attireront pas que des sympathies, même parmi ses cousins, qui voient en lui un sérieux concurrent. Comme souvent chez les Dunka, les problèmes se règlent à coups de pieds, de poings et de couteaux bien sentis. Les jeunes, oubliant la tradition séculaire de respect, veulent jouer les caïds et les gros bras. Seulement, la justice des gadjé est la même pour tous, tzigane compris. Andrejko et ses cousins connaîtront l'enfermement et la maison de correction où la loi du plus fort prédomine.

Une fois de plus, Andrejko réussira à fuir et à trouver refuge dans le village où il a vu le jour, celui de la patrie des Dunka, Poljana. Il y sera accueilli et hébergé par des gadjé. On lui apprendra à revivre après les épreuves subies, à renaître de ses cendres. Il tentera de se socialiser, de s'intégrer dans un monde créé par et pour les gadjé et où les tziganes n'ont pas droit de citer. Mais la vie est dure. de prison en asile psychiatrique, Andrejko errera comme une âme en peine, cherchant sa voie et sa place dans une société trop rigide pour un jeune tzigane avide de liberté. le nouveau régime politique, ce vent de liberté et de paix, venu de très loin, lui offrira cette délivrance. Il retrouvera les siens pour mieux les fuir, choisissant une autre voie que celle toute tracée. Quitter cette fange, cette jungle des grandes villes et ses tentations maléfiques. Andrejko partira pour la campagne, pour un retour aux sources, aux origines de son clan. Lui qui rêve d'une vie plus saine, plus pure, plus propre, amènera Anetka sa cousine pour se construire un avenir plus beau, plaçant les valeurs morales au-dessus de tout.

A travers l'histoire sombre et tragique d'Andrejko, le lecteur de "Petite, allume un feu ..." perçoit celle de tout un peuple, les tziganes d'Europe centrale et orientale. Par les Dunka, c'est toute l'épopée de ces gitans haïs et honnis de tous que l'on découvre. A peine installés dans un quelconque hameau, ils sont repoussés aux marges de celui-ci par ses habitants. Considérés pire que les juifs, ils en partageront souvent le sinistre sort lors de l'invasion de la région par les nazis. Lorsque les russes chasseront les précédents, les Dunka et les autres tziganes devront partir à nouveau, considérés - une fois encore -, comme des parias, des sans-terre, des asociaux, des dangers potentiels pour le communisme. Marginalisés, mis au ban de la société, ils n'auront d'autres choix que celui de la débrouille, de l'art et de la manière de tricher, de feinter, de gruger, de mentir, de se servir du système pour continuer à vivre libre comme leurs ancêtres. La liberté d'être et d'aller où bon leur semble est leur credo, leur chant, leur litanie. Les enfermer, les sédentariser, revient à les faire mourir, à détruire tout ce qui fait la matière originelle de leur culture. Dans une écriture belle, tout à la fois poétique et âpre, réaliste, l'auteur nous raconte l'histoire de ce peuple si peu ou si mal connu, rejeté de partout et de tous, ou presque. "Petite, allume un feu ..." est une ode à cette liberté, pleine, entière et totale. de celle qui ne mérite aucune concession, parce que la plus exigeante. Cette liberté d'aller, au gré des humeurs, du temps, de l'envie, d'être et de vivre comme les Anciens. Dans ce roman construit comme un conte oral, Martin Smaus nous parle d'une histoire unique qui s'inscrit dans notre patrimoine universel.
Lien : http://dunlivrelautredenanne..
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Martin Smaus n'a pas écrit que ce livre , disons que c'est le seul traduit en Français à ce jour , gageons qu'il y en aura au moins un autre . Les auteurs tchèques connus en France , pas si nombreux que ça sont appelés à voir grossir leurs rangs tant ce pays est doté de personnes talentueuses dans différents domaines : musique , littérature , technique ,restauration d'oeuvres d'art etc.... Or Smaus est non seulement un bon écrivain mais aussi un excellent professionnel en génie électrique . Connait-on Jaroslav Sieffert ? ....Il est temps de se pencher vers d'autres cultures .
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Sur la couverture de ce gros livre, un groupe de personnes, adultes et enfants, dont les visages ne reflètent aucune joie.
Méfiance, colère, haine sur ces visages bruns aux yeux noirs.
L'auteur est tchèque et il dit sa fascination pour le monde tzigane.
L'existence de Andrejko est triste. Dès l'enfance, il est séparé des siens, de sa maman qu'il aime et se trouve plongé dans un monde hostile, à Prague. Vols, prostitution, misère et violences. A l'âge où les gadjés vont à l'école, au collège, au lycée, reçoivent des cadeaux et des marques d'affection, il vit l'enfer de la rue, du foyer, de la prison, de l'asile psychiatrique...
Pourtant le coeur d'Andrejko reste pur. Il rêve d'amour, il accueille ses petits cousins pour les soustraire à la rue.
Dès lors on entrevoit l'amorce d'une vie heureuse...
Un beau livre, un peu long parfois, qui aborde les thèmes de l'exclusion, de la déportation ,du racisme.
Une belle traduction avec de nombreuses phrases en langue romani, qui ajoute de la poésie au texte souvent cru de Martin Smaus.


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Citations et extraits (6) Voir plus Ajouter une citation
Lors d'une matinée d'automne, ils n'ont plus réussi à réveiller le vieux Laco, un vieillard desséché et voûté, toujours si adroit avec les chevaux. Et ils l'ont assis à table, ils lui ont fourré un bout de ficelle dans la main pour remplacer la bride, et soudain, du moins pour quelque jours, ils se sentaient à nouveau proches l'un de l'autre. Assis autour de la table, pendant trois jours ils veillaient Laco, marchaient sur la pointe des pieds, et personne ne chantait ni riait, ils abreuvaient tant eux-mêmes que le vieillard avec de l'eau-de-vie, afin qu'il marche d'un pas léger sur son dernier chemin, et selon l'ancienne coutume ils en versaient un peu à côté, pour obtenir les faveurs de la terre à laquelle ils voulaient confier le vieux.
Quand ils poussaient sur ses genoux figés en le mettant dans le cercueil, son corps s'est redressé, et le vieillard, les mains croisés, s'est assis comme s'il voulait dire encore quelque chose avant qu'ils ne lui clouent le couvercle par-dessus la tête ; ils sont tous partis en courant, et quelques jours encore un frisson leur parcourait l'échine et leurs dents s'entrechoquaient comme une brouette qui caracole sur les durs pavés de la ville.
Ils sentaient tous qu'avec le vieux Laco s'en vont les temps anciens des feux à minuit, des chevaux sauvages, des pieds nus qui marchent dans la boue et des roues de chariots en bois qui s'enfoncent dans la terre, des nuits miraculeuses où tombent les étoiles, des nuits pleines de lumière, où la Lune roule dans le ciel comme un fromage géant et dans l'archaïques bosquets fleurissent les plantes magiques ; mais aussi des nuits sombres ordinaires, dont l'obscurité recouvre même les champs des gadjé avec leurs patates et leurs choux.
Et par la porte entrouverte par Miro, puis défoncée à coups de pied de Marian et d'Imro, s'engouffrait déjà un monde nouveau, un monde féroce des couteaux à cran d'arrêt, des pavés et des retraités martyrisés, un monde qui ne laisse plus de temps pour fumer longuement sur le seuil en devisant, pour lire l'avenir dans la main et pour les plaintes mélancoliques sous les étoiles.
Par cette porte défoncée, sans frapper, est entré un monde que personne n'a pas encore réussi à comprendre. (*)

(*traduction approximative à partir de la VO)
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Et une fois, quand la vieille n'était pas chez elle, Imro et Marian ont attrapé son chat noir et ils l'ont cloué sur la porte ; ce sera bientôt Pâque, disaient-ils, et la vieille, cette connasse moisie, n'aura même pas besoin de se déplacer à l'église... et Andrejko avec les autres petits regardaient tout par-dessus leurs épaules et écoutaient les hurlements déments du chat, les râles et les plaintes qui faiblissaient, et soudain, la cour est devenue toute silencieuse.
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Les enfants tziganes, débraillés, flânaient rue Matejska en faisant la manche pour s'acheter de la barbe à papa et lorgnaient d'un œil envieux les enfants gadjé qui faisaient des tours de manège ou de balançoire. Les enfants tziganes s'arrêtaient près des vitrines des jouets ou devant la pâtisserie, alléchés par l'odeur de tartes qui sortaient du four et du chocolat chaud, le nez collé contre la vitrine derrière laquelle se bousculaient les petits gadjé avec leurs ours en peluche et leurs poupées, les garçons en blouse de marin et les filles en robe rose, avec des nœuds dans les cheveux ; [...] Face à une telle injustice, Andrejko n'arrivait pas à trouver le sommeil et passait des nuits entières à sangloter ; les doigts crispés sur la croix de sa mère, il écrasait ses larmes sur ses joues sales.
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Quand ils avaient de la visite, les gadgé faisaient chauffer du café et disposaient quelques biscuits sur une petite assiette, mais, pour les Dunka, l’invité signifiait plus : ils ouvraient tout grand à leurs hôtes leur cœur et leur garde-manger, ils posaient sur la table leurs meilleurs saucissons, viande et jambon et, ensuite, il leur arrivait même d’emprunter, dussent-ils être à l’eau et au pain sec pendant un mois. S’ils avaient, ils donnaient ; s’ils n’avaient pas, ils donnaient pareillement…
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Jusqu’à là-bas, où finissaient les rails et se dressaient les touffes de laine de brebis, avec leurs cerisiers isolés et leurs églantiers rouge sang le long des sentiers poussiéreux, où paissaient les chevaux à la crinière humide de rosée matinale ; où s’alignaient des meules et des granges pleines de foin odorant ; où s’élevaient des forêts millénaires et des bocages anciens ; où, par les chaudes nuits d’été, scintillaient les feux follets, la mousse dorée et le bois des souches en décomposition ; où, à l’automne, les feuilles se couvraient d’or avant de tomber et les versants dénudés se voilaient timidement d’un lacis de brindilles nues, de petits fils d’or et de cuivre tout fins, avant que le gel n’enferme les fontaines à septuple tour, que les habitants ne dégagent d’étroits sentiers dans les congères entre les maisons et que n’apparaissent, derrière le village, des empreintes de loups dans la neige.
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