UN GOÛT DE TROP PEU...
Petit ouvrage inclassable et décidément trop bref, ce Poème des livres disparus donne à découvrir un délicieux choix de chroniques rédigées pour la presse germanique de son temps par
Joseph Roth, l'inoubliable et génial auteur de l'apocalyptique
La marche de Radetzky (la fin de l'ère impériale autrichienne) ou de l'émouvant et philosophique
le Poids de la grâce.
La petite vingtaine - dix-huit pour être précis - de textes donnés ici offre au lecteur de découvrir par aussi essentielle que presque totalement inconnue du lecteur francophone, celle que l'écrivain journaliste confia aux pages de journaux courant de 1915 à 1939, année de son décès, dans la dèche la plus totale et au fond de l'alcool. L'ultime papier donné ici n'est que de quelques jours avant sa mort et porte le titre aussi terrible qu'annonciateur de "Le chêne de
Goethe à Buchenwald" dans lequel Roth dénonce, avec une acuité aussi terrible que parfaitement cynique, la folie et la monstruosité du nazisme.
Mais tous ces textes ne sont pas aussi glaçant que ce derniers, bien au contraire. Tous de nature autobiographiques, ils dépassent, et de loin, ce seul caractère privé, chaque moment, chaque description de ces temps désormais révolus - parfois même du temps de l'auteur - donnent à découvrir diverses facettes de cet écrivain juif autrichien à la plume aussi élégante qu'elle peut se faire féroce, mais toujours avec distinction et une certaine forme d'abandon : une tendresse souvent infinie pour les personnage qu'il nous donne à découvrir, quand bien même ceux-ci auraient les pires défauts psychologiques, un genre de désespoir heureux mais qui ne l'empêche jamais d'espérer en l'avenir, un humour d'apparence ténue mais qui est, bien au contraire, d'une immense profondeur et d'une ironie plus que consommée.
On retiendra, parmi quelques autres, "Histoires de guerre du vent d'automne", écrit terrible et somptueux tout à la fois, comptant les ravages de la guerre et des tranchées, sous les auspices aussi émouvants que sombres de ce fameux vent d'automne personnifié ; "un cadeau pour mon oncle", clamant tout en même temps l'amour de l'auteur pour les livres et l'étrange rapport amical qu'il entretint avec cet oncle un rien bizarre et rapiat ; "un enfant dans la salle d'attente de la police" qui, en quelques paragraphe d'une intense poésie, brosse le témoignage terrible des réfugiés d'hier comme ceux - on ne peut s'abstenir d'y songer tant le texte est intemporel - d'aujourd'hui.
Un tout petit ouvrage, donc, pour lequel il faut remercier l'éditeur helvétique Héros-Limite, mais un immense moment de littérature, de poésie et d'humanité.