Selim Derkaoui signe un ouvrage au sous-titre explicite : "boxe et lutte des classes". Utilisant en fil rouge le parcours de son père, ancien boxeur et coach, issu de l'immigration postcoloniale, le journaliste signe une enquête sur ce sport à part, ayant fasciné des générations d'artistes.
Riche en entretiens avec des pros, entrecoupé de ses tentatives laborieuses pour se mettre à la pratique, l'auteur propose un livre riche en données statistiques. le propos est clair, documenté, direct comme un jab.
Les deux derniers chapitres sont particulièrement intéressants à mes yeux.
D'abord, celui sur les femmes, et qui rend compte de leur arrivée très très tardive dans la boxe et qui, nourrit des témoignages d'
Aya Cissoko et
Sarah Ourahmoune et étayé de références à
Elsa Dorlin, brosse un tableau rapide mais fourni de la question.
Vient ensuite le contre-point du propos du livre, "cols blancs et chemises brunes". le titre est explicite et aborde la boboïsation d'une part et la fascisation d'autre part de la pratique de la boxe. L'un des axes de ce chapitre est la dénonciation de "l'appropriation culturelle de classe" que
Selim Derkaoui met en avant pour tailler une certaine popularité de la boxe. L'ouvrage se voit rattrapé par l"'actualité", des photos présidentielles d'entraînement au sac de frappe ayant été publiées tout récemment.
Je ne connaissais pas cette utilisation du concept "d'appropriation culturelle de classe", et je ne sais pas encore trop quoi en penser - mais c'est intéressant.
Côté négatif, j'ai été un peu déçu, de la part du coauteur d'un livre intitulé "
La guerre des mots", de son utilisation de "métropole" ou de "transsexuelles". Pas très à la pointe des luttes tout ça me semble-t-il...
Pour ce livre,
Selim Derkaoui s'offre deux invités prestigieux et clivants. Médine à la préface,
François Ruffin à la postface. Médine et la boxe, on ne peut pas nier la logique, ni l'intérêt réel porté par celui-ci au noble art. Pour Ruffin, on comprend déjà moins, et lui-même ne sait pas ce qu'il fait là... outre une interview menée il y a dix ans qui ne redorera pas le blason des galas, il nous parle de son expérience de la salle de muscu - c'est un peu gênant, et même carrément quand apparaît un "jeune black à bonnet".
Il n'en reste pas moins un ouvrage intéressant sur un sujet original et précis. Un livre intergénérationnel qui pourra intéresser pugilistes et militant·e·s porté·e·s sur les classes.
Merci à Babelio et au Passager clandestin (dont le catalogue mérite le coup d'oeil) pour ce livre reçu via une Masse critique.