Raphaël Bée, dans « Shanghai Fan », parle d'expérience. Il a travaillé quatre ans à Shanghai dans une agence de publicité. Si la ville est omniprésente c'est à travers l' ambiance survoltée d'une caste internationale totalement investie dans les affaires.
La première partie du roman expose le portrait de cadres français et chinois qui développent une société de publicité. Ils sont chargés de préparer la promotion d'une entreprise," Shanghai Fan", qui conçoit et distribue des produits chinois haut de gamme dans le monde entier. Cette première partie paraît un peu longue, elle dresse les fils d'une association entre plusieurs sociétés dont l'avenir dépend de la réussite d'une soirée. L'enjeu paraît déterminant pour chacune. La seconde partie du livre développe, à la façon d'un thriller, les péripéties qui lient les protagonistes à l'évènement chargé de promouvoir "Shanghai Fan". .. L'intérêt à la lecture est plus soutenu jusqu'à un dénouement inattendu.
L'auteur se concentre sur les cadres d'entreprise, leur vie dans l'entreprise, leurs espoirs et leurs manoeuvres. Son habileté a été de décrire une ville en plein essor, dont les protagonistes sont entièrement dévoués à des activités liées au numérique et ouvertes à la mondialisation. Les cadres sont jeunes, compétents dans leur domaine et immergés dans une activité qui les dévore. Les portraits sont sans concession : égoïstes, sans scrupules, ils sont d'une férocité redoutable envers la population locale et sans pitié pour leurs collègues. Leur seul objectif est une réussite professionnelle qui leur apportera fortune et renommée. Leurs tâches reposent sur l'éphémère et le virtuel ; publicité et numérique fonctionnent sur le relationnel et le carnet d'adresses est fondamental. La limite extrême du système est atteinte quand le succès d'une soirée est lié à l'invitation (moyennant rétribution en liquide) des KOLs, ou relais d'opinion. Leur influence est déterminante quand leurs blogs sont lus par des milliers de chinois. Leurs avis sont définitifs et assurent succès ou échec d'une marque, ils font et défont une réputation. Et pourtant quelle naïveté chez Clem (le personnage principal) quand elle néglige sa mallette dans un pub renommé ! L'ignorance des moeurs locaux et de la langue chinoise poussent Clem à suivre les avis de ses collègues, avis qui s'avèrent nocifs. L'énergie de la jeunesse est parasitée par la puérile certitude de ses capacités.
Ainsi est décrite une ville mondialisée, où les enjeux du moment déterminent la vie ou la mort économique des acteurs. Les dirigeants sont éblouis par l'argent et la notoriété, leurs postures publiques manifestent l'hypocrisie du paraître. Les volte-face des acteurs sont rapides et sans état d'âme : il faut écraser les concurrents sans oublier d'humilier les collaborateurs. L'auteur analyse froidement la vie, la mentalité, les aprioris. Il souligne l'aveuglement des expatriés qui sont immergés dans un univers qu'ils pensent contrôler. La scène finale préfigurerait-elle le futur de la mondialisation : le feu d'artifice qui doit couronner la fête est volontairement mis à feu et explose .. « L'évènement tourne au cauchemar ».
Au final, le développement du roman est inégal mais l'intérêt du lecteur est accroché par une intrigue au développement maitrisé dans la deuxième partie. Si l'auteur a un recul lucide sur son expérience personnelle, son analyse et sa vision d'un futur possible de la mondialisation sont préoccupantes. Le style est fluide, contrarié, cependant, par quelques scènes érotiques au vocabulaire cru (volonté de sacrifier à quelque mode « trash » ?).
La lecture est agréable tant au niveau visuel que tactile. L'impression et la conception de l'ouvrage sont soignées. Merci aux Editions « Remanence » et à Babelio pour l'opération Masse Critique.
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Le petit moustique qu'on libère dans une pièce pour en déranger les occupants et s'assurer ainsi de leur vivacité.
... Et pour goûter au luxe de voir la ville sous un ciel bleu : l'avantage d'une chine à l'arrêt, c'est autant d'usines qui ne tournent plus à plein régime.
Mais on lui a tellement répété qu'il ne fallait pas faire perdre la face à un Chinois.
A peine rentrée je ne rêvais que d'une chose : retourner en France. Mais les Français que je croisais à Shanghai n'avaient qu'une seule obsession : ne pas revenir. Ils disaient que chez eux, il n'y avait pas d'avenir. Qu'on les étouffait alors qu'ici, ils étaient tranquilles, entendus et enrichis. Je ne comprenais pas. Pour moi ma France, ce pays - et je n'en avais pourtant pas vu d'autres - était le plus beau du monde. Et jamais, même si la Chine m'a tout pris, jamais je n'oserai parler comme eux de mon pays. Leurs discours me stupéfiaient, et parfois, ils me rendaient triste.
C'est utile, une tête de victime, ça permet de se fondre n'importe où.