Quelques heures après avoir terminé ce livre (en pleine nuit), je me demande encore en quoi c'est un thriller, car il ne respecte pas les codes habituels du genre – c'est en tout cas l'impression que j'ai depuis le début de ma lecture, mais sans pouvoir la définir clairement… Allons donc voir des références largement admises : Wiki définit le thriller comme un genre artistique utilisant le suspense ou la tension narrative pour provoquer chez le lecteur ou le spectateur une excitation ou une appréhension et le tenir en haleine jusqu'au dénouement de l'intrigue. Soit… sauf qu'ici, l'intrigue n'est pas follement excitante : à part quelques passages tout à coup pleins de tensions, mais qui se résolvent toujours très vite, tout est dit plus ou moins à l'avance, rien n'est vraiment voilé pour entretenir le suspense... pourtant bien présent ! Allons donc voir
Le Robert : Film (policier, fantastique), roman, récit qui provoque des sensations fortes.. Cette définition plus large permet alors –peut-être- de le classer ici, car des sensations fortes, oui, il y en a indéniablement, mais elles sont d'un tout autre ordre que ce qu'on attend habituellement d'un thriller : elles sont beaucoup plus proches de ce que peut susciter un drame psychologique, mêlant habilement le problème des tensions ethniques et, surtout, le terrible processus de deuil après la perte d'un enfant.
Et c'est magnifique, autant que c'est bouleversant !
L'intrigue est assez simple en fait (et mal rendue par les synopsis que l'on trouve sur les plateformes de vente) : le corps de Mark, 19 ans, est retrouvé pendu. Suicide. Tout en organisant ses funérailles, ses parents réagissent différemment. La mère, Liz, ressent tout à coup le besoin de prévenir le père biologique, Stephen, redevenu Tipene en maori, qui a abandonné mère et fils alors que ce dernier n'avait pas 2 ans. L'histoire laisse planer un doute sur les raisons de l'abandon de ce géniteur ; toujours est-il que, en toutes ces années, il ne s'est jamais manifesté auprès de Mark. le mari de Liz quant à lui, surnommé Box depuis si jeune que personne ne se rappelle son vrai prénom, a élevé Mark. C'est autour de Box que tout le livre est centré, lui qui a toujours considéré Mark comme son propre fils ; il est dévasté à tel point qu'il devient comme étranger à lui-même. Et ainsi, pendant les 55 premiers pourcents du livre, on suit Box à la trace, dans son quotidien à travers les petits détails des choses à organiser, sa réaction face à l'arrivée de Tipene et de toute une partie du clan maori chez lui, mais aussi plusieurs flashes back sur ses ancêtres, colons anglais, ou les drames familiaux plus proches de notre époque, dont sa dégringolade sociale, lui le maçon qui avait créé une entreprise florissante, mais qui a tout perdu à la suite de l'éclatement de la bulle immobilière mondiale. Et puis tout s'emballe à partir de la 3e partie (il y en a 5 au total), aux 56% du livre, quand Tipene et son clan maori –plus forts, plus nombreux, et plus riches grâce à leurs activités liées au tourisme- décident d'emporter le corps de Mark de la morgue, pour l'enterrer chez eux selon leurs propres rites. Évidemment, Box ne peut laisser faire…
On pourrait facilement résumer l'histoire à une opposition colon vs. indigène, mais alors ce serait l'arrière-petit-fils du colon, désargenté et malheureux, contre le Maori ex-victime devenu riche (et peut-être profiteur d'un certain système qui tend à rattraper les exactions des premiers colons) ; pourtant ce n'est pas ça que j'ai lu. Si cet aspect des choses est bien présent en filigrane, ce n'est jamais central – on a même une très intéressante scène (je ne crois pas spoiler en la citant) où Box est tout à coup soutenu par un quidam clairement raciste anti-maoris, mais Box reste imperméable au discours de ce type : il veut juste pouvoir retrouver son fils, c'est devenu son seul souci, son obsession. Et c'est cette obsession, parfois proche de la folie, qui va le guider tout au long des derniers chapitres, posant indirectement cette double question à laquelle il n'y a aucune réponse acceptable : comment survivre à la mort de son enfant ? et comment accepter, ou seulement comprendre cette mort, quand il s'agit d'un suicide ?
Le long et difficile deuil (mot qui n'est jamais prononcé) est exploité ici de façon presque exagérée, à travers une langue (et, ma foi, une très belle plume de la traductrice) très visuelle dans ses scènes du quotidien, avec parfois des accents proches du poétique lorsqu'il s'agit de la description de la nature – il est clair que
Carl Nixon aime son pays ! – ce qui rend cette écriture très accessible sans jamais tomber dans du trop-facile, agréable malgré la dureté du thème, et complètement addictive. En effet, de cette façon, l'auteur rend avec une justesse terrible l'aspect insoutenable d'un processus de deuil dans de telles conditions, à travers le personnage de Box qui est tout à fait « ailleurs », qui reste comme figé mentalement dans l'inconcevable, ce qui va définir ses décisions et leurs enchaînements. Ainsi, bien au-delà des idées bien-pensantes que l'on pourrait avoir avec notre vision européenne (continentale) idéalisée de la question des Maoris de Nouvelle-Zélande, on ne peut qu'être touché par ce sujet bien plus grave, bien plus universel que des tensions communautaires. Et ça prend aux tripes, profondément.