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EAN : 9782378561789
160 pages
Verdier (24/08/2023)
3.62/5   60 notes
Résumé :
Un grand-père meurt. Une petite-fille récupère son frigo et l’installe dans sa cuisine.
La porte à peine ouverte, nous franchissons la frontière de la Pologne juive, et c’est un monde qui se découvre, un monde de foie de volaille, d’« ognonnes », de gefilte fish, la carpe farcie en yiddish. La cuisine ashkénaze n’est peut-être pas la plus sexy, et le yiddish n’a pas toujours été une langue bien normée. Mais ce sont autant de saveurs et de couleur... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (16) Voir plus Ajouter une critique
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"Si la cuisine ashkénaze était une personne, ce serait un genre de quidam pas coiffé, les habits froissés, que vous auriez surpris au saut du lit, des traces d'oreiller sur la figure et qui, pour couronner le tout, vous accueillerait en tirant une tête de douze pieds."

La mémoire de la langue et du palais, un dîner de roi, des réactions mystérieuses, une mandoline, une tendresse particulière, des épisodes de Columbo, du Prisonnier, les racines culinaires, un bâton de dynamite, des cornichombres, de l'enthousiasme, le cri des mouettes, le frigo du grand-père, des irrégularités, la légende familiale, du brouhaha, une brillante résistance, des recettes symboliques, une statue de sel, l'identité, la sonorité poétique, des angles morts, le dépaysement, le doux bercement d'un bébé...

Et oui, tout le monde n'a pas la chance d'aimer la carpe farcie... Je n'en ai jamais goûté, donc je ne sais pas si j'aimerais ou pas. Par contre, je sais que j'aime vraiment ce livre !

Il m'a donné faim et soif ! Faim et soif de bons, de beaux moments en bonne compagnie, de savoirs, de découvertes.

Merci énormément à lecteurs.com ( Fondation Orange ) et aux Éditions Verdier ( Depuis 1979) pour la découverte de cet excellent premier roman.

Élise Goldberg m'a emballée et bouleversée avec cette histoire tellement présente et prenante.
Son style est attendrissant, imagé, mélodique, vivace, réjouissant, mélancolique.

Le groupe facebook des éplucheurs de boulbès !


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«Débrouiller le brouillard»

Avec humour et sensualité, Élise Goldberg nous offre un premier roman qui explore ses origines familiales à travers la cuisine ashkénaze. La carpe farcie devient alors une boussole qui permet de remonter dans le temps. Et de découvrir une culture.

Quand son grand-père meurt, la narratrice hérite de son réfrigérateur. Un objet qui a conservé une odeur bien particulière, celle du chou blanc, bien loin de celle des plats qu'elle se souvient avoir mangé chez lui lors des fêtes de famille. Une première énigme qui sera suivi de nombreuses autres, car bien des mystères entourent le passé familial.
Mais pas question de faire chou blanc. Voilà la romancière qui enfile son tablier et prend la direction de la cuisine.
Vont alors défiler de nombreux plats, mais avant tout des couleurs et des odeurs. Et derrière la carpe farcie – que tout le monde n'a pas la chance d'aimer – c'est toute une culture que le lecteur va découvrir. Et derrière ces mots en yiddish, c'est la destinée des juifs polonais qui va s'écrire avec un humour inimitable. Derrière les incontournables que sont le hareng et la pomme de terre, le foie haché et la carpe farcie, on savoure des mets improbables cachés derrière un vocabulaire qui ne l'est pas moins. Prenons-en quelques-uns, histoire de cous faire saliver: «Klops. Sonne comme shmok (imbécile), comme claque, éclopé, clope, mais surtout comme cloque. Pain de viande débordant de sa terrine en cloque. Latkès, se prononce comme «délicatesse» pour désigner de simples beignets de patates râpées. Ferfels, petites pâtes vaguement carrées qui, avec leur grise mine tristounette, n'ont rien de farfelu. Yoykh, cri de joie surprenant pour un bouillon. Lokshn comme louche, qu'on troquera pour une fourchette qui piquera dans ces pâtes. Vempl, aussi sexy qu'une vamp pour un plat d'estomac de boeuf. Kreplekh, raviolis faux amis quand blintsès se rapproche davantage des crêpes que chacun connaît. Boulbès, rappelant le bulbe de l'oignon pour des patates. Kroupnik: croupe-nique ou, pire, croupi pour une soupe d'orge perlé. Tsibèlès mit eyer, cible d'un ailleurs pour ce qui s'avère n'être qu'oeufs aux oignons.»
Si aujourd'hui les convives sont de moins en moins nombreux autour de la table, c'est qu'ils sont morts, emportés par la vieillesse, mais aussi par la barbarie. Une partie seulement des ancêtres parviendra à échapper aux nazis, prenant alors la route d'un exil incertain menant en Russie communiste, au Kirghizistan et en Ouzbékistan avant de rejoindre la France via l'Allemagne et la Suisse. C'est pourquoi la romancière s'est trouvée un «intérêt terreux pour les racines» et entend «débrouiller le brouillard».
Si on se laisse volontiers emporter par la musicalité de ce texte, c'est sans doute parce qu'il a été conçu d'une façon tout à fait particulière. Car Élise Goldberg anime des ateliers d'écriture et a appris à faire chanter les mots. Avant d'en faire un roman, elle a construit un spectacle autour de sa culture et de la cuisine ashkénaze, mêlant les musiques traditionnelles yiddish à ses mots. le tout donnant un concert savoureux et nostalgique qu'elle a présenté avec la chanteuse et guitariste Muriel Missirlou.
Voilà en tout cas une entrée en littérature réussie, mêlant avec subtilité les cornichons dans toutes leurs variations et l'inspecteur Columbo, «une gentillesse qui ne vous prend pas de haut. Comme mon père.», à moins que ce ne soit Alexandre le Bienheureux ou encore Bernie LaPlante, le personnage incarné par Dustin Hoffmann dans Héros malgré lui. En faisant à nouveau la preuve que l'amour passe par l'estomac, Élise Goldberg sonde sa mémoire et la mémoire collective, réfléchit aux questions d'héritage et de transmission. Son récit est habilement construit, en fragments, mêlant avec une belle musicalité un humour dont on se souviendra qu'il est la politesse du désespoir.


Lien : https://collectiondelivres.w..
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J'ai eu l'impression d'être gentiment invité parmi des gens que je ne connaissais presque pas. Comme dans toutes les occasions où des tables sont dressées, la cuisine était un thème de choix. J'ai essayé de m'intéresser à d'autres débats, certains étaient pointus. Je captais des conversations, sur des livres ou des films dont j'ignorais l'existence. Heureusement, dans quelques cas j'arrivais à suivre : Peter Falk alias Colombo, Pierre Richard, Gainsbourg… Trop souvent cependant, j'avais du mal à comprendre ce qui était évoqué même si l'on s'efforçait d'expliquer posément. Je m'efforçais à mon tour de paraître intéressé par ce qui ressemblait décidément trop à un entre-soi. Quand il y a plein de monde, plein de conversations, il est difficile de se concentrer sur une discussion. A certains moments, j'ai été ému, captivé : le récit d'un exil du côté de l'Ouzbékistan ou du Kirghizistan, le récit d'un voyage en Pologne. J'ai souri aussi à des anecdotes savoureuses et surtout bien racontées. Seulement, vous connaissez ces lieux trop bruyants ? Votre interlocuteur pense à autre chose et de nouveau il est question de plats dont vous ignorez tout, d'une langue que vous ne connaissez pas et de nouveau cette sensation de perdre le fil. Tout autour de vous est sympathique, oui, décidément vous êtes bien accueillis ! Et pourtant, vous vous dites que vous aimeriez être ailleurs. Cette presque honte de vous ennuyer : tout autour de vous est si sympathique, oui, oui, vous êtes bien accueillis. Bon, je commence à radoter, il est temps de conclure… Finalement, je n'ai pas eu la chance d'aimer la cape farcie. C'est dommage parce qu'elle était servie bien gentiment. Je me demande si je serai réinvité : j'ai dû passer pour un shmok.
- Lu dans le cadre du Prix des lecteurs des bibliothèques du Lodévois-Larzac -
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Tout part d'un frigo, celui du grand-père maternel qui vient de mourir. Un petit frigo, parfait pour un petit appartement parisien. Un frigo qui ne sent ni la carpe farcie, plat traditionnel de la cuisine ashkénaze, ni les oignons frits. Mais il a dû contenir de ces nourritures de l'enfance qui surgissent soudain à la mémoire de l'autrice. Attention, c'est un banquet, une orgie : beignets d'Haman, bortsch, cornichons sucrés (énormes) (dont vous aurez une étude comparée digne de 60 millions de consommateurs !), pattes de poulets, genoux de veau, chou en veux-tu en voilà, truites aux amandes et cakes au miel. Mais attendez attendez, il faut les mots pour apprécier les mets: shnitzels, leykekh, meyguèlè, guèbrentè soup. Vous reprendrez bien un peu de kroupnik ? À moins que vous préfériez du kouguel ou du tshoulnt ? Ah… ces mots… on se régale à les entendre!
Et attention, clou du spectacle : la gefilte fish, la fameuse carpe farcie. En darnes ou en boulettes ? Parce que ce n'est pas la même chose hein !
Avec tout ça, la cuisine ashkénaze vous met l'eau à la bouche ? Lisez ce qui suit… En effet, pour l'autrice, elle serait plutôt  : «  le triomphe de l'irrégularité, les créations de pâte à modeler d'un enfant de cinq ans érigées en art… c'est un foie pas complètement haché, où la dent cherche les grumeaux de viande et d'oignons, ce sont les darnes boursoufflées de farce du gefilte fish, ce sont les ferfels dont aucun ne ressemble à sa germaine, ce sont des raviolis, kreplekh, qui ne ressemblent à rien, c'est un gâteau au fromage fissuré sous le coup de chaud des deux cents degrés. Elle ne se soucie guère de faire bonne impression. Si la cuisine ashkénaze était une personne, ce serait un genre de quidam pas coiffé, les habits froissés, que vous auriez surpris au saut du lit, des traces d'oreiller sur la figure et qui, pour couronner le tout, vous accueillerait en vous tirant une tête de douze pieds. »
Des mets qui convoquent immédiatement la mémoire, les fragments de l'enfance, les traditions et la culture d'une famille juive polonaise...
Des mets aux maux, à la douleur de l'histoire familiale dont l'autrice essaie de recoller les morceaux, à l'Histoire tout court… Tout se mêle, les recettes, les citations, les souvenirs, les réflexions, les confidences : on passe de Columbo dont l'autrice regardait les épisodes avec son père : « Columbo ne sait pas faire marcher un fax. le meurtrier doit lui expliquer comment fonctionne le stylo qu'il lui rend. Bref, c'est un shlèmil. Columbo, c'est un pouilleux. Un shlèppèr, un shnorrèr : un pauvre hère. Il ne craint pas de fouiller dans les poubelles- prêt à récupérer le reste du fromage sur la table où gît la victime. N'allez pas croire que Columbo soit issu de l'immigration italienne. Columbo, c'est un vrai Juif ashkénaze et je jurerais qu'en réalité, son plat préféré n'est pas le chili con carne, mais le gefilte fish. », on passe donc de Columbo à la page Facebook « des éplucheurs de boulbès », des blagues juives au destin tragique de la famille et à la Shoah.
Carpe farcie et humour pour évoquer, pudiquement, la Catastrophe…
C'est aborder le pire en le tenant à distance. Rire et sourire pour ne pas pleurer, pour retenir l'émotion, qui est là, toujours, à fleur de mots. Car, ils ne reste plus qu'eux, les mots, et leur pouvoir infini d'évocation, pour témoigner, faire exister. Ils sont porteurs d'un monde disparu et à eux seuls font renaître ce qui n'est plus.
Un livre merveilleux, tendre, drôle, émouvant et plein d'autodérision… Un vrai délice !
Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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« On les a sur le bout de la langue, là où fourmillent les papilles. Les mots nous emplissent la bouche, sollicitent la mâchoire. Les mots sont des mets que l'on mastique. Nourriture que l'on concasse des molaires pour en faire des gru-mots. Mâcher ses mots. Simplement, ils sortendu corps plutôt que d'y entrer. La langue qu'on apprend, c'est comme la nourriture qu'on absorbe, il faut le temps de la métaboliser, de la digérer. La langue nous nourrit et chacune a sa saveur, yiddish compris. On dit le français plat pour son absence d'accent tonique, on le dit monocorde - fade? Si l'on peut accuser sa cuisine de l'être, le yiddish, lui, est loin d'être insipide. Il a l'accent ironique. Et puis, sentez toutes ces diphtongues dont il assaisonne allègrement sa base germanique, réveillant l'appétit. »
(pp.81-82)
Un régal, et presque au sens propre, puisqu'il est question, dès le titre et presque à chaque page de ce livre (là encore, pas tout à fait « un roman »… Cette rentrée pullule, décidément, de textes aux limites du genre !), de goût et de cuisine. Mais pas seulement, puisque la narratrice y parle aussi d'une langue presque disparue, le yiddish – glissant, avec délectation, dans ses phrases les quelques mots qu'elle connaît, comme on égrène les perles d'un collier -, et de la culture juive ashkénaze, évoquant, avec drôlerie ou gravité, l'histoire de sa famille.
le grand-père d'Élise est mort, laissant derrière lui un frigo, que sa petite-fille récupère pour l'installer dans sa cuisine. Et voici ce frigo, comme un coffre magique, qui s'ouvre pour délivrer ses secrets, les ingrédients et les recettes des plats de la cuisine ashkénaze. Ici, le temps d'un ou deux paragraphes, la narratrice disserte des longueurs comparées du cornichon et du concombre, décidant finalement, pour clore le débat, d'appeler tous les légumes de ces espèces des « cornichombres » ! Là, c'est la meilleure recette de « gefilte fish », la fameuse carpe farcie, plat traditionnel des Juifs d'Europe centrale, qui devient l'enjeu d'un débat sur plusieurs pages. Et, dans le même temps, un mystérieux « Groupe Facebook des éplucheurs de boulbès (des oignons, si l'on comprend bien) » s'interroge sur internet pour savoir s'il existe encore à Paris des restaurants ashkénazes dignes de ce titre… Bientôt, pourtant, la cuisine devient prétexte à évoquer d'autres aspects de la culture juive, les rites et les rythmes du quotidien, les cérémonies qui réunissent parents et amis, mais aussi quelques héros de l'imaginaire familial, comme l'inspecteur Columbo ou l'acteur Pierre Richard, admirés pour leur gaucherie et leur tendresse. Et puis, toujours, le retour des expressions yiddish, de ces mots qui collent comme des gants à cette culture et à ses traditions, comme si Élise Goldberg souhaitait les exposer, les mâcher et remâcher, pour mieux les sauver de la disparition.
le plus étonnant dans ce récit sont les allusions fréquentes à une autre culture et à sa littérature, celles du Japon, dont on sent qu'elles fascinent aussi l'auteure-narratrice, donnant l'idée que ce détour par une autre civilisation et sa puissante mythologie permet de mieux évoquer l'univers ashkénaze. La pratique du kintsugi, cet art nippon du recollage des fragments d'un vase, laissant apparaître les sutures en les soulignant à la poudre d'or, devient ainsi la métaphore même de son travail d'écriture, de ce « ressoudage » des morceaux du monde juif, dans un texte-puzzle dont l'originalité et l'humour ne sont pas sans rappeler (même si les deux récits ont des sources d'inspiration très différentes) ceux du roman autobiographique d'Anne Pauly, Avant que j'oublie, publié également par Verdier, en 2019… Quand on sait le succès qu'a connu ce dernier livre, jusqu'à l'obtention du prix du Livre Inter, doit-on y voir promesse d'un bel avenir pour l'oeuvre d'Élise Goldberg ?
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critiques presse (3)
LaLibreBelgique
21 décembre 2023
Au départ d’un plat ashkénaze, Élise Goldberg remonte le fil de son histoire familiale.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
LeMonde
29 septembre 2023
[Un] texte fragmentaire, aigre-doux comme l’un de ces cornichons qu’elle soumet à un test gustatif précis.
Lire la critique sur le site : LeMonde
LesInrocks
28 août 2023
C’est l’un des premiers romans les plus singuliers de la rentrée.
Lire la critique sur le site : LesInrocks
Citations et extraits (32) Voir plus Ajouter une citation
Si je connais si bien Columbo, c’est grâce à mon père. Le samedi soir, nous dévorions chaque épisode en faisant un sort à la plaquette mastoc de chocolat Côte d’Or. Mon père avait beaucoup aimé entendre l’acteur raconter comment il s’y prenait pour entretenir la crasse de son imper, toute tache de café, tout gobelet de thé renversé venant parfaire la vérité du costume. S’il me semble avoir décelé que ma mère avait un faible pour les perdants, mon père adorait ceux qui en ont l’air mais cachent bien leur jeu.
Columbo est négligé, mal sapé, conduit une bagnole déglinguée, est parfaitement conscient de tout cela et n’en éprouve pas le début d’un commencement de gêne.
Columbo n’a aucun savoir-vivre. Il allume son cigare dans l’ascenseur. Comme un concombre au sel dans une coupelle de caviar, il fait irruption au beau milieu d’une séance de psy et, loin d’en être contrit, demande s’il peut rester. Oh, il se confond bien en excuses, mais on voit parfaitement que son repentir est simulé. Il se moque d’être intempestif comme de son premier « shmattè ».
Il ergote, coupe les cheveux en quatre comme seul sait le faire un Ashkénaze, héritier d’années de « pilpoul », ces discussions infinies sur telle nuance infime de tel point de détail du Talmud. Pourquoi le sang se trouve-t-il sur la partie supérieure du revolver et non en dessous ? Pourquoi le contenu du cendrier pèse-t-il deux fois moins que la totalité de la cendre d’une cigarette normale alors que la cigarette de la scène du crime s’est entièrement consumée et n’a pu être allumée que sur place ? Comment peut-on se suicider juste après avoir raconté une blague juive ?
Columbo ne sait pas faire marcher un fax. Le meurtrier doit lui expliquer comment fonctionne le stylo qu’il lui tend. Bref, c’est un « shlèmil ». Columbo, c’est un pouilleux. Un « shlèppèr », un « shnorrèr » : un pauvre hère. Il ne craint pas de fouiller dans les poubelles – prêt à récupérer le reste de fromage sur la table où git la victime.
N’allez pas croire que Columbo soit issu de l’immigration italienne. Columbo, c’est un vrai Juif ashkénaze et je jurerais qu’en réalité, son plat préféré n’est pas le chili con carne, mais le « gefilte fish ».

Pages 17-18
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Le « khoutspè », c’est l’arrogance, le sans-gêne, le culot, l’insolence. Mais c’est aussi la débrouillardise, l’absence de conformisme, l’audace, le cran. Le « khoutspè », tu lui donnes ça, il prend ça. Mais c’est aussi avoir de l’estomac. Sans « khoutspè », pas d’Erin Brockovich, pas de justice hors des clous. Mais c’est aussi ne pas se prendre pour du « shmalts ». C’est se hausser du col. C’est jouer des coudes. C’est y aller au bluff. C’est vivre sans entraves. C’est être égoïste. C’est croire à la sélection naturelle et se l’appliquer à soi-même. Mais c’est aussi estimer que rien n’est donné, qu’il faut se battre pour obtenir ce qui de droit nous revient. C’est tout faire pour s’en sortir. IL y a une énergie dans le « khoutspè ». C’est ne pas craindre le qu’en-dira-t-on. C’est avoir compris que politesse et bienséance ne sont pas l’aleph et le sof. ….
Etre « khoutspèdik » n’est pas inné, il faut y mettre du sien. C’est avoir le courage de quitter l’ombre des façades et se tenir bien droit dans la lumière. Quitter la transparence pour la consistance. La honte n’a pas disparu. Elle est là, pernicieuse, dans votre dos, sous le porche, attendant son heure, mais pas question de lui laisser prendre le pouvoir. Alors on redouble de culot. Resquiller demande une certaine dose de bravoure.

Pages 88-89
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« Chez Marianne », rue des Rosiers. Ma mère et moi allions rejoindre la file devant la guérite pour acheter un de ces pains que l’on garnissait sous nos yeux de boulettes de pois chiches, aubergines frites et crudités. Le jeu consistait, pour l’employé, à remplir le pain pita à craquer, et pour nous à manger sans rien faire tomber. Je m’en tirais fort mal, « shlèmil » que j’étais, et l’on aurait pu me pister aux flaques blanches et aux brins de carottes râpées que je semais sur mon chemin.
L’expédition avait lieu aux beaux jours, il s’agissait de manger en flânant. La rue, légèrement sinueuse, était si brève que nous l’avions parcourue du début à la fin en ayant à peine entamé notre déjeuner nomade. Nous poursuivions par la rue Pavée, Ferdinand-Duval ou des Ecouffes, ces quelques mètres de présence juive dont témoignaient librairies spécialisées, boucheries casher, bijouteries alignant « maguen David » et pendentifs « haï ».
Aujourd’hui, la rue des Rosiers égrène les magasins de vêtements chic. Les devantures sont tirées à quatre épingles, même le pavage paraît flambant neuf. Lustrée et figée, l’artère de mon enfance ressemble à un gâteau recouvert d’un épais glaçage qui en stérilise la saveur.

Pages 65-66
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C’est peut-être à Pessah que le choix des plats et des ingrédients atteint l’acmé de son rôle symbolique – tantôt métaphorique, tantôt métonymique, assaisonné de synesthésique.
Un os, représentant l’agneau que chaque famille juive aurait sacrifié avant son départ d’Egypte. Du radis, du céleri, pour se souvenir qu’au royaume des Pharaons on ne faisait pas bombance. Des herbes amères (laitue, raifort), pour l’âpreté des conditions de vie. Des œufs durs qui rappellent la destruction du Temple. Du « hahosset », sorte de pâte à base de noix, de pommes, d’amande et de cannelle, solution de continuité sucrée entre deux fines tranches de pain azyme, pense-bête comestible pour le mortier que les esclaves juifs appliquaient entre deux briques. Un bol d’eau salée où l’on trempe œufs, céleri, radis, pour les larmes versées en captivité (on n’est pas là pour s’amuser).
Alors seulement (après avoir mangé cinq œufs et s’être cimenté l’estomac de mortier car, en ces heures de prières trop chichement ponctuées par ce picorage austère, le ventre vide commence à se rebeller), on passe au vrai dîner.

Pages 42-43
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Imaginons Catherine Deneuve préparant le « gefilte fish ».
Prenez de la
Prenez de la farine (entendez : de pain azyme)
Versez dans la
Versez dans la terrine
Quatre mains bien pesées
Autour d’un puits creu
Autour d’un puits creusé …
Impossible de se représenter l’actrice vêtue de sa robe couleur du temps. Totalement contraire à l’esprit ashkénaze. Pour que la scène soit crédible, Catherine aurait été sommée de se rhabiller. Et plus vite que ça. Fini la princesse, place à Peau d’Âne.

Pages 36-37
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