Le tableau choisi pour illustrer la couverture, quoique pertinent au regard du sujet, m'avait initialement un peu rebuté. Allait-on vers un nouveau récit des guerres d'Indochine ?
En fait, l'auteur utilise la participation (lointaine, quoiqu'à portée de canon) du lieutenant de vaisseau
Julien Viaud, de son nom d'écriture
Pierre Loti, à la bataille des forts de Hué en 1883, et le mini-scandale causé par la relation qu'il en donna pour
Le Figaro, comme fil rouge d'un ouvrage qui englobe de nombreux sujets liés à l'époque.
Sylvain Venayre s'attache d'abord à la vie de ce
Pierre Loti, qui en 1883 s'est déjà fait remarquer comme écrivain. La notoriété est déjà là. Il s'est servi de son séjour à Istanbul pour écrire aziyadé, puis du séjour de son frère et de son propre séjour en 1871 à Tahiti pour Rarahu, comme base de ses premiers romans. L'officier de marine qui embarque vers l'Annam a publié quatre romans et va envoyer au fur et à mesure des opérations françaises en Annam un récit au rédacteur en chef du Figaro.
Venayre décrit le contexte dans lequel intervient cette guerre de conquête.
Jules Ferry mène une politique d'expansion coloniale. Quelques années après le désastre de Sedan, l'armée et la marine française redorent à peu de frais leur blason. L'opinion publique est plus partagée qu'on ne le dit sur l'opportunité de cette expansion coloniale. La plus grande partie de l'élite politique et économique y est favorable, mais une partie de la population n'y voit que soldats envoyés au loin pour un bénéfice aléatoire.
Au delà de la bataille que Loti décrivit en 1883, c'est donc tout le débat sur l'Empire colonial, et la mission "civilisatrice" des puissances européennes qui revit.
D'autant que cette fameuse bataille de Hué a été sanglante (pour les asiatiques, pas pour les Français). Les troupes envoyées à terre n'ont pas fait de quartiers et les scènes de guerre sont choquantes. Lorsque Loti écrit son récit, il le fait sur la base des propos entendus auprès des soldats, puisque lui était en mer, occupé à bombarder les positions ennemies. Il ne voit pas ce que sa narration, même travaillée d'une façon littéraire, peut avoir de choquant. Pourtant ses articles interviennent dans un siècle qui a vu quelques années plus tôt Henri Dunant créer la Croix Rouge.
Venayre choisi de ne restituer les propos de Loti qu'assez loin dans son livre, sans doute mieux en comprendre les enjeux.
Enjeux politiques et militaires, mais aussi enjeux littéraires. Loti est de la génération
De Maupassant, qui lui aussi a fait du reportage de guerre à Sfax en Tunisie.
Flaubert et salammbô ne sont pas loin. Venayre replace l'oeuvre de Loti dans les courants de la littérature française du temps. Place aux romantiques, et aux voyages qui ouvrent d'autres horizons.
Finalement à partir d'un événement pas forcément très connu, l'auteur parvient à faire un survol d'une époque. le tout est porté par un style assez agréable, Venayre prend souvent le lecteur à témoin et opère des parallèles avec notre temps.
Ce court ouvrage mérite vraiment qu'on s'y intéresse. Merci à l'éditeur et à Babelio avec Masse critique d'avoir enrichi ma connaissance de l'époque.