Avec
Une nuit au Mississippi,
Craig Shreve, auteur canadien dont l'aïeule, Mary Ann Shadd Cary a combattu l'esclavagisme et pour les droits civiques des Noirs, fait une entrée remarquable dans le monde littéraire. S'appuyant sur des faits historiques, il utilise la forme romanesque pour évoquer la ségrégation raciale infligée aux afro-américains, particulièrement dans les Etats du Sud, où aujourd'hui encore, le feu nauséabond du tout-puissant Ku Klux Klan, couve toujours sous la cendre.
Depuis les années 50, Warren Williams vit avec ses parents, ses soeurs Glenda et Etta, son frère Graden, dans une modeste plantation de coton et d'arachides, propriété de son père, ce qui pour tout Noir du Mississippi, est une source de fierté. Au sein de cette société basée sur la suprématie d'une couleur de peau, se forment dans les années 60, des mouvements protestataires qui luttent pour faire inscrire les Noirs sur les listes électorales. le Freedom Summer de 1964 est l'épisode le plus connu de ce combat pour l'égalité du droit de vote. Dans la famille Williams, les avis sont nuancés. Seul Graden s'est engagé et milite activement et clandestinement. En conséquence de son désir de justice, en 1965, Graden est enlevé, séquestré, torturé, émasculé puis jeté encore vivant dans un marécage où il se noie. le pasteur dit de lui lors de ses obsèques qu'il était un jeune homme passionné, idéaliste, résolu, une vive lumière qui s'est éteinte beaucoup trop tôt. Ses assassins ne sont pas inquiétés au-delà d'une parodie de procès qui les laisse libres.
Warren écrasé par la culpabilité et le doute, quitte sa famille, et entame une longue errance à travers les Etats-Unis au cours de laquelle il rassemble avec ténacité tous les renseignements concernant la mort de son frère.
Craig Shreve ne donne pas au lecteur un cours magistral d'histoire contemporaine, il s'en défend d'ailleurs dans une très brève note en fin d'ouvrage. le récit de la vie quotidienne des Williams émaillée de brimades, humiliations, agressions, suffit à faire comprendre universellement la violence et les injustices subies par l'ensemble des afro-américains, et donne au roman toute sa force, tout son réalisme, toute sa sincérité. Les faits relatés ont le goût irremplaçable du vécu. Tout le talent de l'auteur consiste à incruster une famille ordinaire dans un contexte historique plus vaste, en évoquant le Freedom Summer ou Emmett Till, battu à mort à l'âge de 14 ans pour avoir sifflé une blanche dans la rue. L'écriture de
Craig Shreve est précise, économe et puissante, acéré est son sens de l'observation et minutieux le choix de ses mots. Pour toutes ces raisons et bien d'autres, il s'agit d'un roman à découvrir.