L'individu cynique préserve son confort intellectuel en se dispensant explicitement de tout choix moral. N'ayant nul besoin de savoir ce qui est bon ou mauvais, il poursuit son intérêt selon les codes en vigueur de la comédie sociale. Tous les coups sont permis à condition de ne pas se faire prendre. L'astuce consiste à reporter sur l'ensemble de la société la charge de faire respecter un semblant de morale. C'est pourquoi un étonnant moralisme baigne tant de discours officiels.
Pas de vague, pas d'introspection critique, pas de contestation des absurdités environnantes. Ces cyniques ordinaires se caractérisent encore par un respect absolu pour les détenteurs du pouvoir, qu'ils soient grands ou petits. Et par mépris de fer pour les insignifiants qui n'ont pas les moyens de se faire entendre. Pas de pitié, et encore moins de considération, pour ceux qui ne représentent aucune espèce de menace pour sa propre proposition.
Sloterdijk évoque les cyniques qui "témoignent d'une ironisation radicale de la morale et de la convention sociale, comme si, pour ainsi dire, les lois n'étaient là que pour les imbéciles, alors que sur les lèvres de ceux qui savent se dessine ce sourire fatalement avisé".
Qui n'a jamais croisé le regard supérieur, tout juste atténué par un rictus de politesse conventionnelle, de certains "décideurs" ?
" Dans la manière de s'expliquer, on doit éviter de parler trop clairement; et dans la conversation, il ne faut pas toujours parler à cœur ouvert ". François Mitterand avait parfaitement saisi tout cela. Alan Greenspan, le puissant gouverneur de la banque centrale américaine, aussi. On se souvient de sa savoureuse remarque: "Si vous avez compris ce que je viens de dire, c'est que je me suis mal exprimé."
Quand tout le monde triche ou presque, bien sot est celui qui demeure honnête. Gâre à ce demeuré qui s'écarte du mode de vie dominant de l'époque. Il sera pris pour un lâche, un prétentieux, un archaïque, un bigot, un idéaliste, bref, un crétin.
Les Matins de France Culture - La Gauche et la sécurité