Il est des ouvrages dont on sait en les lisant qu'ils vous marqueront à jamais. Celui-ci est de ceux-là.
Christian Accaoui, pianiste, compositeur et actuellement professeur à l'université de Paris-VIII, livre ici un essai articulant deux disciplines qui depuis toujours intéressent le temps : la philosophie et la musique. Elles se rencontrent autour de la notion de temps-fresque, véritable sujet/objet du livre.
Très documenté ( nombreux extraits de textes philosophiques, analyse d'exemples musicaux ), il est divisé en trois parties : temps, temps-fresque et temps-fresque classique.
« Temps » traite le sujet sur le plan subjectif : la perception temporelle est à la fois écoulement et synthèse, l'esprit traite en même temps la succession et la simultanéité, les objets temporels se donnent à nous « l'un après l'autre bien qu'ensemble » mais tout autant « ensemble bien que l'un après l'autre ». « Temps » plante ainsi le décor de la condition temporelle.
« Temps-fresque » étudie le problème plus objectivement sous l'angle des structures musicales. L'auteur en dénombre quatre : le rythme, la variation, la forme et la gamme. Ces quatre moyens, qui peuvent se combiner, se renforcer mutuellement, sont convoqués par le compositeur pour donner l'illusion de la maîtrise du temps, voire de son abolition. « Le temps-fresque est une réponse du musicien à la condition temporelle, réponse quasi obligée dès lors qu'il s'agit de donner du sens à un processus temporel. » (p. 207)
« Temps-fresque classique » cerne le passage de la musique baroque à la musique classique, le passage « du temps de la rhétorique à la rhétorique du temps », le passage de la musique portée par une rhétorique externe, celle des mots, fussent-ils absents, à la musique pure structurée/énergisée par une rhétorique interne, propre à chaque oeuvre, générant un temps organique.
Christian Accaoui met en évidence, en s'appuyant sur les notions opposées mais concomitantes de distentio-intentio, notions au coeur du problème de la condition temporelle, le choix qui s'est opéré en occident dès
Saint-Augustin en faveur de la synthèse ( « compositio » en latin ), soit donc l'emprise sur le temps. Dès lors l'évolution vers une musique pure devait se produire à un moment où un autre. Il s'est produit à la fin du XVIIIe par une convergence de faits et de pensées ; ce fut un moment décisif dans la conception du temps dont on trouve les traces jusqu'au XXe siècle, tant dans la discussion philosophique que dans le domaine musical.
Cantus.