L'État hors-la-loi

Pour contourner l’illégalité de la nasse, les préfets l’ont utilisée à des fins judiciaires. Puisqu’il est illégal d’encercler pendant une longue période un grand nombre de manifestants pour des raisons d’ordre public, ils ont décidé de procéder à l’interpellation de toutes celles et tous ceux qui étaient pris dans dans ses filets. On a ainsi pu assister pendant la mobilisation contre la loi retraite à l’encerclement de plus d’une centaine de manifestants, rue des Capucines, le soir de l’adoption de la loi à l’Assemblée nationale par recours au 49-3 au printemps 2023. Tous ont été interpellés et conduits dans différents commissariats. Pour justifier ces gardes à vue qui ont duré parfois plus de 24 heures, les officiers de police judiciaire ont eu recours à l’infraction de groupement en vue de commettre des violences ou des dégradations. Cette infraction est devenue l’outil judiciaire majeur du maintien de l’ordre : elle permet d’interpeller pratiquement n’importe qui sous des motifs le plus souvent fallacieux, et donc illégalement.

Je me souviens de ces deux enquêteurs qui se sont déplacés au domicile de cette frêle jeune fille de 17 ans, percutée par le scooter. Je les vois maintenir l’impassibilité de leur visage quand elle se pliait en deux au bout de quelques minutes d’audition. Conduire vers l’empathie et l’émotion. C’est peut-être là notre travail le plus fondamental et efficace.