Lorsque vers 441 av. J.-C.
Sophocle traça de la pointe de son calame le dernier mot de sa pièce
Antigone, il était loin de penser que son texte serait recopié de siècle en siècle jusqu'à nos jours. Non seulement le texte d'
Antigone a été préservé, mais cette tragédie est encore jouée et a inspiré d'autres auteurs qui ont voulu créer leur propre version.
Jean Anouilh le célèbre dramaturge est de ceux-là, sa version a été représentée pour la première fois au
théâtre de l'Atelier à Paris le 4 février 1944, durant l'Occupation allemande, 2400 ans après la représentation de la version originale !
Jean Anouilh réalise la prouesse de s'approprier les faits et l'intrigue imaginés par
Sophocle sans dénaturer l'oeuvre. Il modernise les dialogues tout en restant assez fidèle au texte d'origine, il reprend les mêmes personnages en faisant ici ou là quelques retouches, les décors volontairement dépouillés et neutres permettent au lecteur/spectateur de ne pas s'enfermer dans une vision limitée au style et aux moeurs en vigueur dans la Grèce antique.
Comme souvent dans le
théâtre grec l'histoire prend appui sur la mythologie.
Antigone est la fille d'Oedipe [lequel, comme chacun le sait à épousé sa mère sans le savoir après avoir tué son père par erreur]. Je passe certains détails pour présenter le coeur de l'intrigue :
Antigone ne respecte pas l'interdiction de son oncle Créon, le roi de Thèbes, d'enterrer son frère Polynice considéré comme un traître et dont la dépouille est livrée aux vautours. le fait de désobéir à cet ordre est un crime puni de la peine de mort. Créon fait son possible pour étouffer l'affaire et sauver la vie sa nièce, mais celle-ci ne veut rien savoir et préfère mourir que de renoncer à ses convictions. Par fidélité aux lois de la cité mais en violation de l'ordre divin, Créon est obligé de condamner
Antigone laquelle, malgré sa faible constitution et son jeune âge, ne cède à aucun des arguments qu'on lui présente. Elle symbolise l'esprit de résistance à l'injustice. La fin de la pièce est tragique,
Antigone se suicide ainsi que son fiancé Hémon fils de Créon et par un enchaînement tragique la femme de Créon
Eurydice se suicide également.
Pour rendre plus actuel son texte,
Anouilh a recours aux anachronismes, il parle de carte postale, de café, de bar, de cigarettes, de voitures de course. Mais ce procédé ne choque pas le lecteur, car les thèmes évoqués par la pièce sont intemporels.
Certains ont cru voir dans ce texte une allégorie de la résistance française face à l'invasion allemande, il n'est pas certain que
Jean Anouilh ait souhaité se limiter à ce seul message. L'auteur aborde d'autres thèmes : la solitude, l'enfance, le suicide. le personnage d'
Antigone est aussi le symbole de la résistance du devoir moral face au pouvoir arbitraire de l'État.
Cette réécriture d'un grand classique du
théâtre antique par un dramaturge du XXe siècle se lit facilement et présente le mérite de donner envie de lire les autres pièces de
Sophocle. Somme toute c'est une bonne introduction au
théâtre grec ou au
théâtre classique en général. En me documentant sur
Sophocle j'ai appris qu'il était l'auteur de cent vingt-trois pièces, mais dont seules sept nous sont parvenues :
Oedipe Roi,
Oedipe à Colone,
Antigone,
Philoctète, Électre,
Ajax et
Les Trachiniennes.
— «
Antigone »,
Jean Anouilh, La Table Ronde [2009], 123 pages.