Ah mince, une pièce de Sophocle que je n'aime pas ! C'est pas comme si les pièces de Sophocle pullulaient dans la nature... Ma déception tient probablement à la composition de la pièce, ce sur quoi je reviendrai plus tard.
Alors voyons l'histoire, qui intervient à la fin de la vie d'Héraclès. Donc après les fameux travaux, après qu'il ait massacré sa première femme et leurs enfants, et après tous ces trucs qu'il est censé avoir fait ici et là, comme engrosser pas mal de femmes sur son passage (ce type est un modèle d'hyperactivité). Héraclès est donc marié depuis un certain temps à Déjanire, qu'il a laissée en plan (le goujat !) pour aller caracoler on ne sait où. Ça fait quand même quinze mois que Déjanire l'attend, ce qui n'est pas rien, surtout quand votre mari vous a dit que s'il revenait, ce serait au bout de quinze mois (comme par hasard...), ou bien qu'il périrait à la fin de ce laps de temps. du coup, Déjanire est un peu à cran. Mais voilà qu'on annonce le retour d'Héraclès, qu'un pote à lui se pointe, ainsi qu'un messager, ainsi que des tas de gens - en particulier un groupe de captives. Et c'est parti pour une série de douches écossaises infligées à Déjanire ! Bon, ce qu'elle, elle voudrait savoir, c'est où se trouve Héraclès (les différents rapports sont plus ou moins divergents) et qui sont ces captives. Et voilà qu'on lui sert une explication aux petits oignons (bien que pas très claire à mon goût), donc ô joie, voilà que le choeur se réjouit ! Oui mais non. Il s'avère qu'Héraclès a dévasté une ville (l'ordure !) pour s'accaparer une des captives en particulier, la fille d'un roi (le salaud !) et qu'il compte rentrer tranquillou et faire de Iole, la captive en question, son épouse, ou sa concubine, ou ce qu'il voudra, vu que c'est qu'une femme, et réduite en esclavage, par-dessus le marché. Oui mais non. Déjanire voit tout ça d'un très mauvais oeil. Elle a donc l'idée d'utiliser la ceinture de Nessos, le centaure tué lors des douze travaux. Car il se trouve que Nessos, bien des années avant notre histoire, après avoir essayé de violer Déjanire et avoir été mortellement touché par une flèche d'Héraclès, avait conseillé à Déjanire de récupérer son sang mêlé à celui de l'hydre de Lerne, pour en faire une espèce de philtre d'amour (ce serait plutôt un onguent, en l'occurrence). Et Déjanire d'obéir (quelle naïve, c'était évidemment un piège !) Retour à notre histoire : voilà donc Déjanire qui fabrique une tunique pour Héraclès teinte avec le sang de Nessos et de l'hydre de Lerne, et qui la lui fait envoyer là où il est (j'ai complètement oublié où était censé se trouver Héraclès à ce moment précis). le choeur (de jeunes Trachiniennes naïves) s'est empressé d'acclamer la bonne idée de Déjanire, et le voilà qui se réjouit encore (ah oui, c'est bizarre un choeur de tragédie grecque qui passe son temps à se réjouir...) Sauf que Déjanire a soudain de bonnes raisons de penser qu'elle s'est fait avoir par Nessos, ce qui va s'avérer puisqu'elle apprendra qu'Héraclès est à l'agonie. Et comme son fils vient l'insulter, allez hop, elle se suicide, et Héraclès revient pour crever dans d'atroces souffrances. Fin.
J'explique juste pourquoi la pièce s'appelle Les Trachiniennes, et non La vengeance de Déjanire ou L'agonie d'Héraclès : l'action se déroule à Trachis, ville où Déjanire a trouvé refuge, et le choeur est constitué de jeunes Trachiniennes, comme je l'ai déjà précisé, qui, je suppose, forment la suite de Déjanire (sinon, je vois pas bien pourquoi elles traînent tout le temps dans ses jupes). Pour autant, le choeur n'est pas si important que ça dans la pièce - bien sûr, il permet de souffler le chaud et le froid, mais bon. Et puis, sauf erreur de ma part, y'a même pas de coryphée. Et puis donc, on voit pas bien pourquoi ce titre, même avec l'explication que je viens de vous donner. Mais tout est bizarre dans cette pièce.
On ne sait pas dater Les Trachiniennes, mais on a tendance à penser que ce serait une des plus anciennes pièces de Sophocle. Alors attention, quand je parle des plus anciennes pièces, il s'agit des plus anciennes pièces qui nous soient parvenues. On suppose donc qu'elle aurait été composé vers -445, ou encore vers -442, ce qui la situe à l'époque d'Ajax ou d'Antigone. Sauf qu'elle ne ressemble en rien à Ajax ou à Antigone. On ne s'y insulte pas, ou si peu ; c'est dire que les échanges entre les personnages manquent de la vivacité habituelle à Sophocle. Et Déjanire, qui est le personnage principal, disparaît au bout d'un temps pour laisser la place à Héraclès, ce qui scinde la pièce en deux parties distinctes, la seconde étant centrée sur l'alternance de gémissements et de vociférations d'Héraclès. Gémissements et vociférations qui le rendent un peu grotesque. Mais avant cette intervention d'Héraclès qui parle quasiment tout seul, les dialogues entre Déjanire et Untel ou Untel ne sont pas plus folichons que ça. Et que je te raconte où est Héraclès, pourquoi, ce qu'il a fichu pendant un an, ce qu'il a fichu pendant les trois derniers mois. Et on recommence, avec une autre version. Bref, que des histoires rapportées, avec finalement pas tant de place que ça pour la montée en puissance de la jalousie de Déjanire et pour ses angoisses, encore moins pour son désespoir final. Bien sûr, c'est un topos de la tragédie grecque que de faire raconter les événements les plus sanglants et de ne rien montrer - ou de montrer uniquement le résultat, avec cadavres à l'appui. Mais d'habitude, ça sert la dramaturgie, et donc la marche inexorable vers l'issue tragique. Là, je ne sais pas, quelque chose ne fonctionne pas bien à mes yeux, sans que j'arrive à mettre exactement le doigt dessus. Même le coup de la douche écossaise me semble moyennement efficace.
Alors oui, on a bien une héroïne à la Sophocle, qui cherche à déjouer les embûches du destin. Mais j'ai l'impression persistante que Déjanire méritait mieux, et qu'au fond, Héraclès, on s'en fout un peu - c'est quand même qu'un gros con, en tout cas c'est comme ça que le présente Sophocle. du coup, je reste sur ma faim et sur ma déception de ne pas avoir vu une Déjanire plus passionnée, plus combative, plus déterminée. Plus intéressante, quoi. Tant pis.
Challenge Théâtre 2020
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Héraclès est un demi-dieu, un super-héros ; il fracasse les méchants, il balaie le souk que les dieux ont laissé lors de la création du monde. On l’admire, le mec. Et pourtant, des magazines comme Closer se régaleraient de déboulonner sa statue en révélant certaines facettes de sa personnalité.
Un exemple ici : il vient de dérouiller Euphytos, roi d’Œchalie, et de raser sa ville. Il trouve Iole, la fille du roi, à son goût et l’envoie par courrier express à sa femme Déjanire en lui spécifiant de faire de la place pour sa nouvelle concubine. Sympa non ?
Déjanire passe son temps à attendre le retour de son époux toujours par monts et par vaux. Enfin il annonce son retour avec, dans ses bagages, une nouvelle femme. Elle pourrait s’énerver pas vrai ? Ben non. Elle n’en veut pas à la pauvre Iole qui n’a pas son mot à dire dans tout ça. Elle se rappelle les dernières paroles de Nessus, le centaure qui avait tenté de la violer et qu’Héraclès avait abattu d’une flèche : « si un jour Héraclès veut aller conter fleurette ailleurs, fais-lui porter ma tunique tachée de mon sang, il reviendra vers toi illico. » Elle fait parvenir la fameuse tunique à Héraclès. Mais au bout d’un moment, elle se demande si son violeur, assassiné par Héraclès, n’avait pas une idée derrière la tête. D’après vous ?
Dès qu’il s’enveloppe dans la tunique, Héraclès est immédiatement brûlé au 27ème degré. Il ne s’en relèvera pas. Quand elle l’apprend, Déjanire se suicide. Et avant de mourir, Héraclès fait jurer à son fils Hyllos d’épouser Iole – la fille à cause de qui ses parents viennent de mourir. Tout n’est pas bien qui finit pas bien.
Comme à l’accoutumée, aucune action n’est directement visible sur scène. Les personnages se font raconter les évènements par des hérauts ou des messagers. Cela donne lieu à des soliloques assez longs mais parfois à des dialogues savoureux qui utilisent des ressorts théâtraux existant visiblement de toute éternité. On se régale d’entendre Lichas, le héraut d’Héraclès dans ses petits souliers, essayer d’éluder les questions de Déjanire qui lui demande qui est cette Iole. On adore voir Héraclès pleurnicher comme une « femmelette » alors qu’il se sait mourant et comprend qu’il ne mourra pas les armes à la main. Héraclès encore, tellement occupé à vouer sa femme aux gémonies pour l’avoir tué qu’il ne laisse pas son fils Hyllos en placer une pour lui expliquer le piège de Nessus. Ce sont des ressorts de comédie qui sont appliqués dans cette tragédie.
Cette pièce est considérée comme l’une des plus anciennes de Sophocle, une « œuvre de jeunesse ». Il est vrai que je n’y ai pas retrouvé la force et la subtilité d’Antigone ou d’Œdipe-Roi, mais elle a tout de même beaucoup de plaisir à offrir à un amateur de l’Antique.
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[DÉJANIRE] Là-devant, malheureuse que je suis, je ne sais à quelle pensée me jeter, mais je vois que j'ai fait quelque chose d'épouvantable. Car enfin, quel motif, quelle dette avait-il, ce centaure, au moment de mourir, pour me montrer de la bienveillance, à moi qui était cause de sa mort ? Impossible ! S'il me cajolait, c'était pour obtenir la perte de celui qui l'avait frappé (Héraclès). Et moi, je ne le comprends que trop tard, quand cela ne sert plus à rien. C'est moi seule, si mon pressentiment ne me trompe pas, c'est moi, misérable, qui aurait détruit sa vie !
[Le chœur à Déjanire]
Oui, j'ai des reproches à te faire:
je te les adresse avec déférence,
mais sans biaiser: tu ne devrais pas,
je te le dis, laisser flétrir
tes pensées d'heureux avenir!
Être à l'abri de la douleur,
même le Tout-Puissant, le Roi fils de Cronos
ne l'a point assigné aux mortels; non: sur tous
peine et joie vont leur cercle,
comme la ronde que décrivent
les étoiles de la Grande Ourse.
CHANT DU CHŒUR. – […] Soit dit sans te blesser, ce trop d’inquiétude,
je ne l’approuve pas.
Je dis qu’il ne faut pas toujours décourager ton espérance,
De sort affranchi des douleurs,
jamais le roi tout-puissant, le fils de Cronos lui-même
n’en assigne aux mortels ;
mais la joie et la peine alternent pour chacun,
comme en leur parcours circulaire passent les étoiles de l’Ourse,
Rien n’est constant pour les mortels, ni la nuit d’astres diaprée,
ni les revers, ni la richesse ;
brusquement, quittant l’un, de l’autre s’approchant,
ainsi va le bonheur, ainsi l’adversité.
HÉRACLÈS : Va, mon fils, fais cela ; aie pitié de celui qui a droit à mille pitiés, qui crie et qui pleure ici comme une fille, alors que cela, personne ne peut dire qu'il l'ait jamais vu faire à l'homme que je fus. Toujours, sans une plainte, je suivais les douleurs. Mais cette fois, sous pareil coup, je me révèle, hélas ! une simple femme...
[HÉRACLÈS] Va, mon fils, ne te dérobe pas, aie pitié de moi, qui fais pitié à tous, et qui hurle et sanglote comme une petite fille... Cela, personne avant ce jour, ne prétendra qu'il l'a vu faire à Héraclès : sans une plainte, je suivais toujours mon rude chemin. Mais à présent, tombé de si haut, on me voit me conduire comme une femmelette ! Quelle misère !
Le livre est disponibles sur editions-harmattan.fr : https://www.editions-harmattan.fr/livre-des_hommes_des_dieux_et_du_destin_poetique_des_relations_dans_des_pieces_du_theatre_tragique_europeen_jihane_raymond_farhat-9782140203794-74152.html
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Cet ouvrage éclaire la « poétique » du vertical, série d'images qui rend compte du dialogue entre hommes, dieux et destin. Établissant une approche comparatiste et historique, l'étude visitera des pièces d'Eschyle, de Sophocle, Rutebeuf, Racine, voire même Molière, Shakespeare, Marlowe, Goethe, Grabbe, et Beckett. Aujourd'hui, avec l'irruption de l'inexplicable, ce livre rend compte d'un questionnement lancinant, d'une aspiration à la concorde originaire de l'homme et du divin, réconciliation qui pourra, in fine, dans un monde à la dérive, déclencher l'action.
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