La fille et le moudjahidine, c'est l'histoire d'une rencontre improbable entre une journaliste française expatriée à Berlin et un jeune Caucasien en mal d'intégration… Avec la plume qu'on lui connaît (précise, directe et volontiers trempée dans un humour ravageur et impertinent…),
Prune Antoine déroule le fil de cette histoire d'amitié balbutiante entre deux êtres que tout semble séparer. Elle est féministe, indépendante et sacrément curieuse, il est salafiste, joue volontiers les machos, rêve de devenir champion de lutte, semble particulièrement doué pour les embrouilles… Leur rencontre ? Improbable, je vous dis : au bord d'un lac berlinois, elle bronze seins nus, il pique-nique avec un groupe d'hommes dont la plupart ne parlent pas un mot d'allemand. Intriguée par ses allures d'étrangers, elle l'aborde. Tout simplement. Lui demande quelle langue il parle, d'où il vient, comment il s'appelle… Et tout aussi simplement, il répond. Il vient du Caucase Nord, s'appelle Djahar. Peu à peu, une relation de confiance s'instaure. Quelques échanges via What'sapp et un rendez-vous sur la Potsdamer Platz plus tard, Prune annonce à Djahar son envie d'en savoir plus sur lui, pour, peut-être, écrire un article, elle ne sait pas encore trop… On est en juin 2013.
Au début l'idée est d'aborder la question de ces jeunes immigrés en manque de repères, mais au fil des rencontres, Djahar semble se radicaliser. Lorsqu'il commence à évoquer avec de plus en plus d'insistance « la Syrie et le one way ticket trip« , Prune réalise que son sujet est en train de prendre une nouvelle orientation… En janvier 2015, alors que son récit est pratiquement achevé, les attentats de
Charlie Hebdo et de l'Hyper Cacher font douter la journaliste : doit-elle ou non publier ce texte ? Quel sens cela a-t-il dans le climat actuel ? Finalement, le texte est là. Ce qui l'a décidée ? Elle répond dans son introduction :
« Parce que je crois qu'à son image, des centaines, voire des milliers d'autres gamins se trouvent sur le même fil du rasoir à la merci d'un souffle qui peut les faire basculer. Et parce que ces Djahar nous disent quelque chose sur les sociétés occidentales dans lesquelles nous leur offrons de vivre. »
Voilà un récit journalistique qui se dévore comme un roman, un petit livre à hauteur d'humains qui, l'air de rien, vous prend par la main pour vous faire voir de près ce dont on ne cesse de vous rebattre les oreilles à grands coups de chiffres, de titres chocs et de slogans… Tiens, et si au lieu de s'en tenir à des formules toutes faites, de se retrancher derrière des préjugés ou un angélisme candide, on essayait, tout simplement, d'approcher un individu particulier, avec toutes ses ambivalences et ses contradictions ?