Sur la berge de la culture savante : peinture et architecture
Une abstraction critique
LORSQUE Michel Ragon fait la connaissance d'Hartung, Schneider, Soulages, Atlan et Poliakoff en 1946 et 1947, aimer la peinture abstraite apparaît comme le comble du paradoxe pour un prolétaire. Le modèle réaliste et figuratif demeure l'unique référent en matière artistique, particulièrement pour ceux qui se réclament du peuple.
( p.87)
Terres d'enfance - Nantes
Dans le milieu urbain, l'écart entre les riches et les pauvres provoque des tensions beaucoup plus fortes qu'à la campagne. Le garçon de courses ressent violemment le mépris cinglant dont l'accablent certains bourgeois auxquels il porte lettres et paquets. (...) Élevé dans la pauvreté, le jeune Michel l'a aussi été dans une certaine fierté, celle d'appartenir à l'aristocratie de la domesticité. Renvoyé brutalement à la réalité de sa pauvreté, de son rang social subalterne, il est très vite porté à la rébellion.
( p.39)
Le Paris de la littérature prolétarienne et du monde libertaire
Lorsque Michel Ragon, après encore bien des métiers ( dont celui de peintre en bâtiment avec Martin Barré), devient quelque temps commis libraire pour l'anarchiste Pierre- Valentin Berthier, puis s'installe " à son compte " comme bouquiniste sur les bords de la Seine, sa démarche professionnelle reste dans la droite ligne de ses convictions politiques qu'il peut d'ailleurs ainsi défendre plus efficacement qu'en restant simple manœuvre.Les bouquinistes représentent, avec leur liberté de pensée et d'horaires, leur indépendance par rapport à certaines charges pesant sur les fonds de commerce ordinaires, une sorte d'aristocratie de la librairie alors que les contraintes qu'ils ont à subir- un travail en plein air tributaire des conditions climatiques et parfois relativement précaires- les maintiennent dans la proximité du prolétariat.
( p.81)!
Sur la berge de la culture savante : peinture et architecture
Il s'intéresse à cet art (* architecture) parce qu'il peut exprimer dans son étude ses préoccupations sociales, son désir de profond changement. C'est dans sa propre vie qu'il en trouve la nécessité comme Julien, le personnage de son roman " Les quatre murs", architecte d'origine modeste et autodidacte, qui entreprend de faire son chemin dans le monde de l'architecture considéré, dans les années 1960, comme " une chasse gardée de la bourgeoisie ".A cette époque, le problème de la reconstruction de l'après-guerre se pose de manière cruciale, mais aussi celui du logement de tous ceux qui arrivent à la ville, qui y habitent dans des taudis, comme Julien à l'âge de son adolescence : il ne connaissait pas l'eau courante, les WC autrement que sur le palier." Toute sa vie, Julien avait rêvé d'un appartement confortable, vaste et silencieux...."
( p.122)
De sa mère et de sa grand-mère il conserve, profondément ancrés, le pragmatisme, l'attirance pour la terre, les objets, le concret, la matière même des choses et le respect de ceux qui les font: c'est dans et esprit qu'il abordera l'écriture prolétarienne, puis les peintres et la peinture, l'architecture et même sa propre écriture romanesque. (p.32)