« Ce monde perdu, songea Francesca. Le monde du noir et blanc… Moi aussi j’aurais aimé vivre ma vie en noir et blanc. Plus net que les couleurs, qui vous illusionnent… Pourquoi ai-je tout fait foirer ? » Vision classique, prétend-on, de ceux qui vont se noyer d’une seconde à l’autre : tout son passé lui revint en l’espace d’un éclair. Les hommes riches qu’elle avait ratés parce qu’elle était trop pressée, trop vorace. Il lui fallait tout, tout de suite. Elle n’avait même pas pris la peine de passer par la première phase de respectabilité, celle de la « gentille femme avec un môme ». Non, elle voulait régner sur tout, tout s’arroger : la scène, le cinéma, le sexe, la liberté.
À l’époque où il se considérait encore comme un « être humain », une femme l’avait qualifié d’« aristocratique » – oui, c’était bien le mot qu’elle avait utilisé. Dans sa jeunesse, il rêvait de devenir le plus grand danseur de claquettes de tous les temps. « En effet, mesdames et messieurs, je suis le rival, voire le successeur de Fred Astaire !… » Pourquoi était-il devenu un résidu inutile de la société ? Était-ce à cause des femmes ? Non. De l’alcool ? Non. Tout juste des chiquenaudes de la vie quotidienne. Des blessures faites à son être profond, des injures non méritées. Du destin.
De trente-cinq ans plus jeune que lui, elle lui avait fait passer une nuit mémorable. Elle l’avait fait assister aux ébats de plusieurs couples, puis lui avait procuré un plaisir extrême. Elle se vantait de ses conquêtes et de ses longues jambes, parlait de Las Vegas.
Il avait découvert qu’il tenait plus aux diamants qu’à sa propre vie. L’argent en soi ne représentait pour lui aucun intérêt particulier. Il voulait les « Yeux ». Il pensa vaguement qu’on pouvait aussi bien le déposséder de sa fortune et le faire disparaître. C’était le risque encouru. Il aurait dû parler de ce voyage à Jeff, son homme de confiance, mais, au départ, il ne connaissait même pas le nom des villes par où il passerait
Dès que tu venais et que tu me regardais, j’étais ensorcelé. Après, ç’a été fini… Pas forcément à cause de toi… Malgré ça, je t’aimais. Et je t’aime encore. Si je te vois très moche, comme tu dis, ce sera peut-être une garantie pour moi que tu ne m’abandonneras pas pour le premier venu que tu rencontreras.
Interview avec Christine Arnothy sur France Culture