4321Paul Auster
roman
traduit de l'américain par Gérard Mandal
Actes Sud, 2018, 1020p
Tout commence par une blague juive, contée par des Juifs de Pologne et de Russie qui s'établissent en Amérique. L'auteur imagine alors quatre personnages, nés en 49, à New York, les mêmes et cependant autres, tous avec le même nom -dû à un oubli- Ferguson, prénom Archibald dit Archie, ou « archi » comme archives, mais avec des destins différents, ce qui ne veut pas dire meilleurs ou pires, seules les circonstances changent. Trois de ces personnages doivent mourir, malgré la peine qu'en conçoit l'auteur qui s'est attaché à eux. Leur mère, la même toujours, n'est peut-être pas très cultivée, en comparaison avec la soeur de celle-ci, professeur d'université, mais elle est un excellent photographe. le père est un homme d'affaires, petit ou grand. Avoir ou non de l'argent change le cours d'une vie.
Siri Hustvedt au cours de l'écriture du livre, a donné son opinion à son mari qui doutait : elle a trouvé le bouquin très intéressant. En effet la construction est originale, et la perspective sociale-réaliste. Ce qui motive Auster, c'est de se réinventer à chaque nouveau livre. Si l'on retrouve les thèmes, si on passe d'un texte à l'autre, la structure diffère.
L'écriture est pleine de verve : on ressent tout le plaisir qu'Auster prend à l'écrire. Même s'il est plein d'hésitations et qu'il fournit beaucoup d'efforts pour s'interdire des facilités, éviter la superficialité, donner la vérité des choses. le texte se lit avec aisance, il est émaillé d' humour, il donne des informations sur ce qu'est l'Amérique vu par un Américain. C'est un portrait nuancé, malgré son parti pris, que l'auteur brosse de ce pays, sur trois décennies 50, 60 et 70. Il y est question de la guerre du Vietnam et des angoisses de jeunes gens qui finissent leurs études et risquent d'être envoyés là-bas pour des intérêts absurdes, des émeutes estudiantines à Columbia, de la lutte pour les droits civiques, de la révolution sexuelle, entre autres. C'est qu'il s'agit de saisir une époque.
On y trouve le goût d'Auster pour la lecture et l'écriture, son amour du français et des poètes de France, Villon,
Eluard, Reverdy, qu'il traduit, sa passion du cinéma, son plaisir du sexe et de l'état d'amoureux, son goût très vif pour le base-ball et le basket. Ce n'est pas une autobiographie ; si les faits sont tirés de sa vie, l'auteur n'écrit pas sur sa vie. Deux épisodes sont particulièrement marquants dans le récit de ces vies, le premier, c'est la mort d'une rupture d'anévrisme d'un ami d'enfance, le second c'est l'amour éprouvé pour une fille de la famille recomposée Amy Schneidermann.
On voit aussi la naissance d'un écrivain ; comment un jeune homme passe par tous les stades de l'écriture, d'articles de journaux, de réflexions sur des films, de commentaires d'un match, de récits imaginaires et drôles. On a le contenu de certains de ces textes, le livre dans le livre donc, et qui plus est, le livre qu'on est en train de lire, c'est le livre que Ferguson 4 écrit à Paris, alors qu'il a à peine plus de vingt ans. C'est dire si
4321 est un livre qu'Auster portait en lui. On peut donc parler d'un roman d'initiation, à l'écriture, accompagnée d'une initiation au sexe et à l'amour, ce qui doit être la même chose, répondre à un besoin d'expansion.
le style est oral, et vivant, très vivant. On a l'impression de lire du Dickens. C'est un Ferguson qui parle, à différents âges, et qui parle de façon naturelle et animée. On pourrait lire les histoires des différents Ferguson d'une seule traite, si on le désirait, mais on a préféré se laisser emporter par le courant, et tourner les pages comme elles se présentaient.
C'est un livre plaisant à lire. On ne s'ennuie pas. Les personnages sont attachants. On se replonge dans un passé, quand on a un âge certain, proche. S'il fallait représenter le livre par un dessin, ce serait celui d'un carrefour avec de nombreuses bifurcations. Si l'on choisit telle route, c'est qu'il fallait la suivre. Il n'y a pas de regret à avoir. J'ai suivi la longue route d'Auster. Il me fallait la suivre, et j'en sors contente.