Pierre Autin-Grenier impose d'entrée de jeu une certaine vision de la vérité. On ne discute pas des faits. Or tous les évènements qu'il rapporte s'en tiennent très peu à la réalité, une réalité banale, ordinaire et quotidienne, et s'apparenteraient plutôt à une réalité d'un autre ordre qu'on pourrait qualifier de fiction, mais l'auteur fait tout ce qu'il peut pour mélanger les deux familles, masquer l'une et grimer l'autre. Chaque texte se déroule sur une ou deux pages où tout est dit de ce qui doit être lu, d'une façon parfaite, taillée et poncée. Chez Autin-Grenier, les gens gênés, honteux ne regardent pas leurs chaussures, il écrit : « tous nouèrent leur regard aux lacets de leurs souliers ».
Ses récits s'inscrivent dans un temps indéfini ; plus d'une fois, l'atmosphère paraît liée à une période ancienne, voire moyenâgeuse, temps où la peur et le soupçon faisaient partie du fond de conscience et où fables et légendes jouaient à plein leur rôle de brouilleurs du réel. Tout se passe exclusivement dans un contexte rural, il est question de paysans et d'artisans, de mule, de carriole et de charrettes. On évoque en outre la période révolutionnaire pour son absolu et même le journal semble daté du début de l'imprimerie. Pour confirmer le flou historique, les personnages demeurent anonymes ou rarement identifiés comme moine, charlatans, ou marchande des quatre saisons. Il y a l'histoire et la langue, aucune ne précède l'autre, elles sont bel et bien liées, tant et si bien que c'est leur union, leur osmose qui fascinent.
Lecteur, on est pris par le conte et captivé par la manière de raconter, dans une perfection tangible du texte. On est souvent à la frontière du fantastique et de l'épique, que l'on perçoit d'autant plus fortement que le texte est ramassé et compact. Tout ce qui est narré doit être soumis à vérification : on croit, il semble, certainement, peut-être, sans doute, et le conditionnel passé est de mode… Cette incertitude accentue le vertige donné au temps, on saute à cloche-pied entre panique et folie.
Pierre Autin-Grenier lance des fulgurances dans crânes et mémoires pour éblouir l'imaginaire, « coffre fermé à secret ». Et le récit reprend son cheminement vers l'aube et le lointain. Enrichi d'illustrations de Georges Rubel, ce recueil a d'abord été publié en 1992 à l'Arbre, de Jean le Mauve. Il n'a pas pris une ride.
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Jacques Morin