(Difficile de passer après la magnifique critique d'Endymion, qui m'a fait découvrir ce recueil de poésie de Brautigan!)
Brautigan fait partie de ces quelques amis très personnels que j'ai un peu partout dans la maison, et que je retrouve de temps en temps, sur un coup de tête. On boit parfois un verre ensemble, on rigole, mais moi, personnellement, avec lui, je rêve surtout, au détour de quelques phrases banales... en apparence.
Parce que Brautigan a l'art, dans ses romans mais encore plus ici dans ses petits poèmes de rien du tout, de twister un tout petit peu son quotidien pour en faire quelque chose d'inédit et surréaliste. le dentifrice-hiver - "Le poids net de l'hiver est de 52,35g. / L'hiver a un goût naturel / enrichi au fluor pour lutter contre les caries."
Mais ses poèmes sont sans fioritures, simples et pourtant si bien tournés que chacun d'eux, en quelques lignes seulement, touchent ou donnent une autre vision du monde. En les lisant, j'ai souvent eu l'impression d'entrer dans l'intimité même de Brautigan, de le voir vivre, aimer, se brosser les dents le matin, manger seul le midi en regardant sa fidèle ampoule au plafond, méditer sur les filles, la solitude, l'amour et frissonner de la sensualité de Marcia quand elle frotte de l'ail sur un morceau de viande.
Certains poèmes sont à peine des poèmes, des désirs de poèmes tracés sur le papier qui se suffisent à eux-mêmes.
A conseiller sans modération aux fans du monsieur. Et à ceux qui ne le connaissent pas encore? Tentez!
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Cents, Deux Tickets, Amour
Je pensais à toi très fort
en montant dans le bus
j'en ai eu pour trente Cents
et j'ai demandé deux tickets
au conducteur
avant de réaliser que
j'étais tout seul.
Poème d'amour
Qu'est-ce que c'est agréable
de pouvoir se lever le matin
tout seul
et de ne pas avoir à dire aux gens
que vous les aimez
quand vous ne les aimez plus.
AMANTS
J'ai réinstallé sa chambre :
le plafond je l'ai surélevé d'un mètre,
ses affaires je les ai remises en place
( comme la pagaille dans sa vie )
les murs je les ai repeints en blanc
j'ai apporté une grande sérénité
dans la pièce,
un silence dont on sentait presque le parfum,
elle je l'ai couchée dans un petit lit en fer
sous des couvertures de satin blanc,
et puis je suis resté là à la porte
je l'ai regardée dormir en chien de fusil,
le visage détourné
qui ne me regardait pas.
Je ne sais pas ce qui se passe,
mais je ne me fais pas confiance
quand je commence à beaucoup aimer
une fille.
Ça me rend nerveux.
Je ne dis pas ce qu’il faut
ou alors peut-être que je commence
à examiner
évaluer
calculer
ce que je suis en train de dire.
Si je dis : « Tu crois qu’il va pleuvoir ? »
et qu’elle me dit : « Je ne sais pas »,
je me mets à gamberger : est-ce qu’elle
s’intéresse vraiment à moi ?
Autrement dit
ça me fiche un peu la trouille.
Un de mes amis m’a dit une fois :
« C’est vingt fois mieux de faire copain-copain
avec quelqu’un
plutôt que d’en tomber amoureux. »
Il a raison, à mon avis, et à côté de ça
il pleut quelque part, ça fabrique des fleurs
et ça rend les escargots heureux.
Tout ça, c’est déjà réglé.
Tourbillonnant comme un fantôme
accroché à la base d’une
toupie,
je suis hanté par tout
l’espace que je
vais vivre sans
toi.
(Version originale) :
Spinning like a ghost
on the bottom of a
top,
I'm haunted by all
the space that I
will live without
you.
Le choix de Mathias Malzieu : « C'est tout ce que j'ai à déclarer » de Richard Brautigan