...Le plus difficile est du côté spirituel. Le Québec est une des seules cultures qui réalise avec brio son propre génocide culturel au point d'être fier de n'avoir plus que des ¨valeurs communes¨, rien d'autre, pas de racines historiques, pas de racines littéraires, pas de racines philosophiques, pas de racines spirituelles, pas de racines religieuses, juste des valeurs laïques objectivées, comme l'autome, des feuilles mortes emportées par le vent des modes. Le désarroi de la jeunesse est pénible à voir. J'étais jeune, tellement confus lorsque j'ai élevé ma famille, tellement désorganisé par la Révolution tranquille, que je n'ai rien donné de cohérent à mes jeunes enfants, mais j'ai tout de même ouvert leur soif aiguë, lancinante même, pour une métaphysique cohérente. Ce n'est pas un très grand cadeau, mais c'est mieux qu'une porte fermée sur l'infini.
J'ai été le champion du coeur. J'ai aimé, j'ai ri, j'ai pleuré. Pourtant, chaque jour, je découvre combien ma vie m'échappe. Je n'ai pas véritablement rencontré mes proches, mes enfants, mes amis. On dirait que tout s'est passé dans le brouillard de demi-rencontres, de demi-confidences, de demi-vérités. En toute réalité, je n'ai touché pleinement à rien, l'amour m'a glissé entre les mains.
Je veux m'arrêter, je veux cesser de ne pas venir au monde, de ne pas entrer dans le monde, toucher quelque chose de solide.
Suis-je chez moi! Tout me coule entre les doigts.
Vivre ressemble à descendre dans la rue sans savoir où nous allons, chaque jour composer avec les situations, tirer notre épingle du jeu, tisser des liens plus ou moins sûrs, garder la santé, maintenir l'équilibre, essayer de comprendre quelque chose à ce qui nous arrive, tenter de nous maintenir debout, organiser les choses pour y prendre part, nous rendre utiles, accomplir notre travail, faire vivre notre famille et, s'il reste du temps, réaliser quelques une de nos aspirations sachant qu'à terme nous frapperons le grand mur du silence. Je n'arrivais pas à m'y résigner.
L'identité vient du mot identique¨, et non pas du mot ¨distinction¨, c'est d'abord la conscience que ma personne, l'arbre devant la porte, l'étranger qui sort de chez lui en face de chez moi vivent de la même substance créatrice, poissons d'un même lac et d'une même origine. Et c'est pour cela que nous sommes tous différents, cette source pareille nous fait différents.
...Dans l'amour, il ne s'agit pas de se connaître mutuellement. mais de danser sur un gazon bondé de fleurs et bordé de falaises.