Après mai 68 et les envies de changement que ce mouvement a suscitées, beaucoup ont été tentés par l'expérience communautaire.
Gare aux clichés sur le sujet, tous les groupes n'avaient pas pour devise sex'n drugs'n rock'n roll, peace & love, saute sur tout ce qui bouge dans les brumes de la défonce, vis à poil, c'est moins fatigant (pas de lessive, pas besoin de te désaper pour satisfaire ta libido)... Ceux-là étaient voués assez rapidement à l'échec. On comprend pourquoi quand on connaît la nature humaine - d'autant que dans les Pyrénées-Orientales et le Larzac (lieux de prédilection du 'retour à la terre' entre potes), ça peut cailler sévère...
La Communauté dont il est question ici, la 'Minoterie', reposait sur un projet réfléchi partagé par quelques couples et célibataires, jeunes et moins jeunes, s'articulant autour de l'artisanat et de la vie en autarcie (élevage, culture...).
L'expérience est relatée par un des membres de la Communauté ; ses propos sont recueillis par Hervé Tanquerelle, auteur de BD. La démarche rappelle celle d'Etienne Davodeau ('Les mauvaises Gens', 'Un homme est mort', 'Rural'...) et est d'autant plus réussie et touchante que Yann, celui qui raconte, est le beau-père de celui qui transcrit en images. L'échange est donc très riche, les questions nombreuses, puisque Hervé Tanquerelle découvre ainsi les premières années de sa compagne, alors petite fille vivant dans cette communauté avec près de vingt autres enfants et des dizaines d'adultes.
En 350 pages, l'ouvrage fait un tour complet de la question : relations avec le voisinage (les 'vrais' agriculteurs), partage des tâches et des biens au sein de la communauté, refus du principe capitaliste mais contradiction accrue entre ce rejet et les méthodes à suivre à mesure que la petite entreprise artisanale se développe, conflits inévitables entre individus dus à des divergences de point de vue, ou tout simplement parce que vivre en cercle fermé est sclérosant, etc.
♥ Merci à Yann & Hervé pour le partage de cette aventure qui a quand même tenu plus de dix ans ! J'ai été d'autant plus captivée que Yann Benoît est de la génération de mes parents et que la Minoterie en question était située pas très loin de chez moi. J'y ai donc reconnu des particularités du monde rural de cette époque et de ces lieux - la convivialité entre hommes autour de quelques verres, le vocabulaire...
Je connais également les produits de la 'Minoterie' (l'entreprise a changé de mains depuis), mais il m'a fallu un peu de temps pour résoudre l'énigme car la marque actuelle n'est pas nommée...
- cet avis porte sur la version intégrale -
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La première partie d'une expérience post soixante-huitarde de vie en communauté, racontée par un de ses membres, avec son lot de voisins méfiants, voire médisants, de coups à boire et d'équipes de foot pour s'intégrer à la société local, d'utopie, de travail et de désillusions...
Très sympa à lire, vivement le deuxième tome!
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Un très bon moment de lecture.
Je ne partage pas la même idéologie que le personnage mais c'est intéressant de découvrir une autre vision de la société. Il y a énormément d'humour.
Les techniques de graphisme sont assez incroyables avec l'intégration des personnages dans les scènes du passé. Toutefois je préfère les dessins en couleur et avec plus de détails.
J'ai hâte de lire le second volume.
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[ début des 60's ]
- Nous avions une maison familiale importante à la campagne. Nous y allions à Pâques uniquement avec la famille proche. On jouait avec les enfants des voisins d'en face, qui étaient agriculteurs. On jouait comme des mômes. Et je me rappelle très bien vers 12-13 ans, je m'étais retrouvé là-bas l'été et il y avait toute la famille : les grands-parents, les soeurs, les belles-soeurs, les bonnes... Et cette gamine avec qui je jouais venait servir à table. ME servir à table. Et là je me suis dit, sans y réfléchir vraiment : il y a quelque chose qui ne colle pas. Mais c'était pas encore trop idéologique.
- Oui, tu ne te retrouvais pas dans ce monde-là.
- Il y avait une fêlure. Quelque chose qui n'allait pas. J'ai eu très vite un appel...
- L'envie de rencontrer des gens différents ?
- Voilà. Complètement. Je cherchais ça et je ne voulais absolument pas être bourgeois. Plus tard, quand un copain me disait 'Toi, t'es un bourgeois', je le vivais très mal.
- Cela veut dire que tu l'admettais mais...
- Je ne l'admettais absolument pas ! Je ne voulais pas être bourgeois. C'était ce qu'il ne fallait pas être.
- Et 68 a permis ça ? Pour toi, ce qui comptait, c'était de briser les frontières sociales, la lutte des classes, non ?
(p. 9-13)
- Oui, toi tu étais plutôt du genre provocateur avec tout ce qui portait un uniforme.
- Héhé. C'est pas faux. [...]
- Tes filles m'ont raconté leur angoisse quand vous vous faisiez arrêter sur la route par des flics.
- Ah oui, mais là, j'étais con. J'étais agressif. J'ai fini plusieurs fois au poste. Depuis, j'ai mis de l'eau dans mon vin, heureusement !
[ il raconte un contrôle ]
« - Papiers du véhicule, s'il vous plaît.
- Non !
- Pardon, Monsieur ?
- Dites donc, vous avez un joli sifflet !
- Vous vous moquez de moi ?
- On peut siffler dedans, Monsieur l'agent ?
- Vous voulez jouer au plus malin ?
[ les filles, à l'arrière : ]
- Arrête Papa !
- On va aller en prison !
[ la femme ]
- Yann, arrête !
[ l'agent ]
- Sortez du véhicule, Monsieur. »
...
- Tu n'avais pas peur des conséquences ?
- Pas trop, non. Tu sais, c'était l'époque 'Charlie', 'Hara-Kiri'. On était 'rentre-dedans'. Flic ou pas flic, on faisait ce qu'on avait envie de faire. C'était l'idée, en tout cas.
(p. 123-124)
[ vie en communauté dans les 70's ]
- Et ces différences de mode de vie ne vous gênaient pas, devant les voisins [agriculteurs] ?
- Ah non, au contraire ! On ne le cachait pas, on le montrait ! C'était idéologique, donc c'était logique !
- Oui, ça participait de l'idée de l'exemple.
- Exactement.
- Et ça a porté ses fruits ?
- Si tu veux dire par là : 'Est-ce que les agriculteurs se sont laissé pousser les cheveux, ont adhéré aux idées du féminisme et se sont mis en communauté ?' La réponse est non. Mais je crois qu'on était une bouffée d'air frais dans un milieu encore très traditionnel. Surtout pour ceux de notre génération. Ça les interrogeait. Certains venaient souvent chez nous. Et puis je crois tout simplement qu'on a accompagné l'évolution de la société en général.
- Bon, et alors ?
- Et alors quoi ?
- Ben, ta conclusion, sur tout ça !
- Ah ! Eh bien... Déjà, avec du recul, je vois bien que ce qui me motivait et que je basais à l'époque sur des pratiques sociales, et disons, politiques, c'était beaucoup plus une recherche affective qu'autre chose. Ensuite, je suis convaincu que croire fortement qu'une structure sociale pourra permettre à chacun de vivre une histoire personnelle fabuleuse est de l'utopie pure. Tout simplement parce que, sous la structure, les histoires personnelles restent sous-jacentes et ressortent toujours et d'autant plus fortement qu'elles ont été le plus souvent refoulées. C'est exactement ce que l'on a vécu. Tout ce qu'on voulait casser est revenu au fil du temps... Par contre, je crois que chaque personne, même si les manières d'agir étaient différentes, a cru sincèrement à la réussite de cette aventure. Mais chacun avait ses propres motivations, totalement différentes selon son milieu, son passé. C'est ça, l'utopie, un désir fort d'autre chose qui va balayer tout. Sauf que ça ne marche jamais et pourtant, il y aura toujours quelqu'un pour chercher la bonne formule.
(p. 342-343)
- Je me souviens très bien de la première naissance de petits lapins à la Minoterie. On était très émus. Ça peut paraître idiot, mais c'était la première 'naissance communautaire' ! Ça voulait dire que ça marchait, qu'on pouvait produire des bêtes.
- Les naissances, c'est bien mignon, mais vous aviez bien conscience qu'il allait falloir les tuer ces bêtes, pour les manger !?
- Ohla ! Ça a été un gros problème, mon Hervé ! Ça a été un gros problème !
- Aucun de vous n'avait de l'expérience dans la zigouille ?
- Pas trop, non ! Le premier poulet que j'ai tué, il était malade... Je l'ai coincé dans un trou et je n'ai rien trouvé de mieux que de lui jeter des caillasses ! Ça a été horrible parce qu'il a résisté longtemps... très longtemps. Ça a été la même histoire avec les premiers dindons... Ou les premiers canards...
(p. 82-84)