La carte Postale.
Un titre sobre et presque banal pour un grand livre.
L'histoire sur plus de 70 ans de la famille Rabinowitch.
Lelia, la mère de l'auteur,
Anne Berest, reçoit un jour de l'année 2003 une carte postale, non signée, avec seulement écrits dessus, 4 prénoms : Ephraim, Emma, ses grands-parents maternels, Noémie et Jacques, son oncle et sa tante, tous quatre morts en déportation, à Auschwitz. Cette carte tombe dans l'oubli, jusqu'à ce que 15 ans plus tard, interpellée par une allusion de sa fille, « on n'aime pas trop les Juifs à l'école », le souvenir de cette carte postale remonte à la mémoire d'Anne. Celle-ci ne va désormais avoir de cesse de tracer l'histoire de sa famille, jusqu'à découvrir l'auteur de cette carte anonyme. Et le pourquoi.
Construit comme une enquête policière, minutieuse,
Anne Berest va relater l'aventure de la famille Rabinowitch, découvrant tout d'abord ses origines juives maternelles qu'elle semblait ignorer. » Je suis Juive nous dit-elle, mais je ne connais rien de cette culture ». Comme souvent dans les histoires de famille, transgénérationnelles pourrait on dire, il lui faudra forcer les choses, faire sauter des cadenas bien verrouillés, comme si le silence s'était lourdement déposé sur l'histoire familiale. Ne plus remuer l'horreur. Comme si la honte allait avec. Elle va minutieusement reconstituer, dans les plus intimes détails, la vie, au jour le jour, les dialogues, les rencontres, l'exil des différents personnages de sa famille. S'appropriant rapidement ses origines juives, l'autrice va nous amener de la Russie à la Lettonie, d'Israël à Paris, où aucun d'entre eux ne trouvera, ni le repos, ni la sécurité, mais où tous, seront arrêtés, déportés par la police française au Vel d'Iv puis dans les camps de concentration, et ce nom terrible, Auschwitz, qui va avec. Et où ils mourront. Tous les quatre .
Anne BEREST n'aura de cesse de dénouer le fil de cette pelotte familiale embrouillée, découvrant ses origines, décrivant à la manière d'un détective (auquel elle fera d'ailleurs appel ) tout ce qui fait l'horreur et la grandeur de la vie, passant progressivement d'un style presque journalistique à celui à la fois romanesque, ample et souvent déchirant lorsqu'elle parle de Myriam, sa grand-mère, unique rescapée. Si l'on suit bien sûr pas à pas, à la fois la quête et l'enquête proprement dite qui doit la mener à retrouver la personne qui envoya cette carte anonyme 15 ans plus tôt, on est presque autant happé par l'histoire familiale, la reconstitution historique, la petitesse des esprits bourgeois, peureux, pleutres et lâches de beaucoup de français durant cette période maudite. Jusqu'à poser la question du pillage des familles juives déportées et la restitution de leurs biens, si petite soit-elle, la reconnaissance de leur calvaire, tant d'années après la fin de la guerre, comment est-ce possible, lorsque
Alain Juppé était premier ministre. C'est dire.
J'ai aimé ce livre vous l'avez compris, j'ai été bouleversé par cette histoire, j'ai eu tellement honte du comportement de tant de mes concitoyens, j'ai été fier du courage et du désintéressement de tant d'autres qui ont fait grandir l'âme humaine par leur droiture et leur intégrité.
Ce livre, résonne en beaucoup d'entre nous, car tant de familles ont connu durant ces périodes troubles, des situations si proches. Combien de secrets de famille définitivement étouffés. La description des camps et du rôle qu'ont pu tenir certains médecins français (l'étant moi-même) faisant honneur à leur vocation, est extrêmement touchante.
Je me suis rendu compte en refermant le livre, que j'avais lu très peu d'ouvrages retraçant cette période de l'histoire humaine, sans doute parce que nous avons vu tant de films ou de documentaires nous racontant par le détail l'horreur de la Shoah et des camps que nous pensions tout savoir. Nous n'en saurons jamais assez, ce livre, terrible, est là pour nous le rappeler.
Et si nous voyons piteusement aujourd'hui l'histoire bégayer à travers la sombre actualité, la guerre, la montée de l'extrême droite, plus que jamais, ce livre autobiographique d'
Anne Berest, « fille et petite-fille de survivants », nous aide à nous forger encore et encore une morale, des valeurs, un refus catégorique et inlassable de l'intolérance, du racisme et de l'antisémitisme. Très fortement recommandé.