Karen n'est pas idiote, ni handicapée, ni malade mentale, non. Elle a juste des « capacités différentes ». C'est ce que lui répète sa tante qui l'a recueillie alors qu'elle n'était encore qu'une enfant, abandonnée dans une cave et maltraitée par sa mère, telle une enfant sauvage.
Et c'est ce qu'elle n'aura de cesse de se dire tout au long de sa vie, pour se persuader - et persuader son entourage - qu'elle peut, elle aussi, faire de grandes choses.
Car Karen est autiste. Tout à la fois enfermée dans son monde, incapable de contacts avec l'extérieur (elle mettra des années à arriver à serrer la main à quelqu'un), mais dotée en même temps d'une mé
moire exceptionnelle et d'une appréhension de l'espace impressionnante.
Sa tante Isabelle essaye tant bien que mal de la sortir de son enfermement psychologique, et comprend vite que Karen n'apprendra rien et ne fera aucun progrès dans l'école spécialisée dans laquelle elle l'a inscrite. Elle la prend donc à ses cotés dans l'entreprise dont elle a hérité et qu'elle dirige avec poigne mais non sans difficultés. Il faut dire que le monde de la pêche thonière est en effervescence au Mexique : les Etats-Unis proclament l'embargo, réduisent les zones de pêche et il devient quasi impossible d'exporter le thon, même s'il provient de la plus grande conserverie du pays.
Karen découvre ce monde de la pêche industrielle, ainsi que les diverses activités de l'entreprise. Elle va découvrir également ces fameux poissons qui sont le gagne-pain de toute une communauté. Son apprentissage du métier lui fait vite comprendre que la pêche au thon est un véritable massacre, et même si les méthodes son reproduites depuis la nuit des temps. Une idée germe dans son esprit (lentement, chacune de ses idées mettra des années à se concrétiser). Elle va tenter de trouver d'autres solutions pour allier pêche "propre" et rentabilité, inventer une pêche qui ne fasse pas souffrir les poissons et qui permette également d'épargner les dauphins qui se trouvent régulièrement pris dans les filets, et par-là arriver à inonder ensuite le monde des produits de la firme familiale.
Elle découvre également la plongée sous-marine et ce monde envoûtant dans lequel elle se sent enfin bien, à l'abri sous les mètres d'eau, flottant sans pensées, et surtout en compagnie des poissons dont elle pense comprendre le mode de fonctionnement, l'instinct. Car Karen, même en grandissant, reste autiste : elle a besoin de se retrouver en elle-même, de se retrancher du monde et des hommes... Elle n'y arrive que suspendue au plafond dans sa tenue de plongée ou au fond de l'océan en compagnie des poissons, toujours prisonnière de ses démons et de sa maladie qui l'exclut des contacts humains dits normaux.
Karen se passionne aussi pour
Descartes et Darwin et pour l'énoncé : je pense, donc je suis. Pour elle, ce serait plutôt le contraire, elle EST ("
moi, je suis", c'est comme une rengaine dans sa vie, pour en quelque sorte se prouver qu'elle existe vraiment :
moi,
moi,
moi), et parfois elle arrive à penser normalement. Comme le font les animaux autour d'elle et plus particulièrement les poissons.
La gestion de la société va la rendre célèbre. En passe de devenir, malgré son handicap, une véritable femme d'affaires, Karen va cependant se retrouver sous la menace d'écologistes extrémistes qui bannissent ses techniques révolutionnaires. Elle va devoir prendre d'autres décisions...
Voici un roman vraiment original que j'ai dévoré. J'ai adoré cette Karen, si atypique, si étrange, géniale et attardée tout à la fois, attendrissante toujours. J'ai aimé cette plongée dans l'univers maritime, j'ai été fascinée par la relation de Karen avec les poissons et avec les hommes, si diamétralement opposée. J'ai été impressionnée par les capacités de cette femme qu'on aurait dite bonne pour l'asile au départ à sortir de sa gangue, à tenter de communiquer, de s'ouvrir au monde.
Et puis j'ai aimé aussi l'humour, parfois noir, de ce texte, ce "
moi" scandé, cette ouverture étonnante sur un monde de pensées totalement étranger du nôtre, de notre logique d'hommes et femmes "normaux".
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