Dans la littérature de "genre", le polar en l'occurrence, les romans dits "classiques" vieillissent-ils bien?
Cela dépend, répondra l'homme avisé.
Mauvais calcul nous raconte les péripéties d'un homme, meurtrier par hasard, par malchance, qui choisit de faire profil bas en se disant qu'on ne le retrouvera pas. le lecteur suit d'abord les méandres de l'esprit de cet homme, tentant de se rassurer, de se persuader qu'il n'est pas fautif, encore moins coupable. Ensuite, le lecteur assiste à plusieurs tentatives pour éluder, esquiver l'enquête, en changeant de tête... Hélas rien ne marche vraiment et Henrik Morck est finalement retrouvé et harcelé par la seule personne qui a compris qu'il était le meurtrier.
S'ensuit (sur un gros tiers du roman) une sorte de jeu du chat et de la souris, cynique et décalé. Avec une fin, qui plaît ou pas... Inutile d'en dire plus pour l 'instant.
Le roman est vieux... il date de 1968, et de 1970 pour la première traduction française, revue pour la réédition du livre en 2014.
Cette nouvelle traduction est sans doute une bonne chose. Difficile de juger, je manque de comparatif, mais la langue est fluide, aisée et l'ensemble se lit sans heurt, ce qui n'est pas toujours le cas pour des romans aussi datés.
C'est important, toutefois, de se replacer dans le contexte. On peut juger la fin assez amorale, avec un doute qui plane... Morck a-t-il commis un second meurtre, un assassinat prémédité, ou a-t-il été devancé par la chance...? Vouloir tuer, est-ce tuer? Je sais que certains n'aiment pas la fin un peu trop simple, rapide. Je la trouve agréablement cynique, à l'instar du livre. Car finalement, celui qui meurt est celui qui a fait le plus
mauvais calcul...
Cette fin me fait penser à un film de
Woody Allen, Crimes and Misdemeanors, où le personnage principal joué par Martin Landau commet un meurtre au début et passe tout le film à essayer d'évacuer sa culpabilité en se raisonnant. A la fin du film, il dit quelque chose comme "un jour, tu te réveilles et tu n'y penses plus". C'est exactement ce qu'on trouve dans
Mauvais Calcul. Finalement, le crime paie. J'ai même pensé à American Psycho... Evidemment, comparaison n'est pas raison, et
Mauvais Calcul reste très sage et quasiment politiquement correct par rapport au romand de Brett Easton Ellis.
Mais le vrai sujet n'est pas là, à mon avis. Au-delà de ce suspense psychologique bien rendu,
Anders Bodelsen nous livre une critique acerbe de la société danoise, entre alcool, sexe libre, convenances et gros salaires. C'est vitriolé, juste ce qu'il faut, et cela a dû faire l'effet d'une petite bombe en 1968.