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EAN : 9782354171155
230 pages
Editions du Moment (13/10/2011)
3.64/5   7 notes
Résumé :
Ça commence par un café, une causerie entre ministres sous la verrière, des blagues de potache et des dossiers qu'on se transmet. Puis l'huissier annonce : «Monsieur le président de la République !» Les portes se ferment, l'ordre du jour du Conseil défile. Projets de loi, nominations et communications plus ou moins inspirées. Jusqu'à la touche finale, un compte rendu sans âme.

Mais que cache tant de formalisme ? Le débat démocratique a-t-il cours au s... >Voir plus
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critiques presse (1)
LeMonde
06 décembre 2011
De ces moments où, selon les mots de Lionel Jospin, "le lieu de l'exécutif, qui devrait être le lieu de l'unité, devient potentiellement un lieu de conflit politique", Bérengère Bonte livre un récit nourri, qui éclaire un pan jusque-là peu connu de l'histoire de la Ve République.
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Dans le secret du Conseil des ministres - Bérengère Bonte

p.70
Un Conseil plus que tous les autres donne lieu à débat au début du premier septennat, celui sur les nationalisations, le 2 septembre 1981. Conseil qui se tient exceptionnellement dans le décor champêtre du château de Rambouillet. Pierre Mauroy, cravate à pois, canote benoîtement avec Catherine Lalumière dans une embarcation barrée par Jean Le Garrec, le Monsieur Privatisation de Matignon, sans toutefois faire oublier que l'ordre du jour est un nouveau défi à l'union de la gauche. Durant l'été, neuf conseils interministériels ont donné lieu à moult empoignades. À droite, Édouard Balladur, l'ancien secrétaire général de Pompidou passé dans le privé, a entamé un lobbying très actif auprès de l'Élysée et de Matignon pour que l'État ne prenne pas plus de 51 % du capital de ces sociétés. Une thèse portée au sein du gouvernement par Jacques Delors, ministre des Finances - qui a mis sa démission dans la balance en juillet – ou encore par son rival de la « deuxième gauche », Michel Rocard, ministre du Plan et meilleur ennemi de Mitterrand... qui ne se lasse pas de raconter ce moment : « Nous sommes en septembre. Cela fait trois mois que la France entière rigole du débat sur l'actualisation du Programme commun, et de cette question stupide de savoir s’il faut nationaliser les grandes entreprises publiques en même temps que leurs filiales [thèse défendue par les ministres communistes et Jean Pierre Chevènement]. A titre personnel, je considère que ça va couter un pognon fou alors qu'une majorité de 51 % suffit pour rester maître de la stratégie. De plus, nos banques nationalisées (BNP/Paribas, Société Générale et Crédit Lyonnais possédant déjà beaucoup d'actions dans les sociétés à nationaliser, il est inutile de racheter ces parts. Pour Saint-Gobain par exemple, si on veut une majorité à 51 % il suffit d'acheter 13 % du capital total. Avec une loi à 100%, il faut tout racheter, ce qui va coûter huit ou neuf fois plus cher. »

Pourtant, le « camarade Mauroy », comme dit Rocard, ouvre la séance et annonce la couleur : 100 %. La ligne de l'Élysée.
«À ce moment-là, poursuit l'octogénaire espiègle, le Président prononce une phrase que je crois bien ne plus jamais lui avoir entendu prononcer. "Qui demande la parole? ” Je me dis alors : il y a un ministre de l'Économie, Jacques Delors, qui ne peut pas avaler ça ; il y a un ministre de l'Industrie, Chevènement, qui ne devrait pas avaler ça ; il y a Laurent Fabius, certes zélateur et dauphin du Président... mais ministre du Budget. Payer trois ou quatre fois plus que la somme, ça doit le faire réfléchir normalement. Pourtant : silence! Mais un silence, qu'il faut... je ne sais pas moi... Tolstoï ou Stendhal pour décrire. On est quarante! Lourdeur terrible. Et tout le monde se tait. »

Au bout d'une minute trente, Mitterrand prend acte de l'échec de son tour de table et commence à refermer son dossier. Rocard, qui espérait parler le plus tard possible pour ne pas compliquer la tâche des ministres tentés de le soutenir, se jette à l'eau. Pas le choix ! Son monologue dure vingt minutes, y compris un dernier argument international.

Rocard : Détail important : dans deux pays – Belgique et Espagne -, une loi permet au gouvernement de nationaliser chez lui toute société étrangère qui serait sous menace ou qui aurait été nationalisée dans sa maison mère. A Saint Gobain, la majorité du profit final venant de la Cristal Levria Española, les Espagnols peuvent la nationaliser chez eux pour ne pas la laisser échapper. Et je trouve ça dangereux. Enfin, nous risquons d'avoir toutes les places financières contre nous. Tout cela me parait démentiel.

Nouveau silence. Puis une main se lève, celle du garde des Sceaux Robert Badinter. Rocard, qui ne le connaît que de réputation - le gouvernement n'est en place que depuis trois mois - s'inquiète : « Je me dis : "Si c'est Badinter, ça commence mal. La garde noire sonne l'hallali tout de suite pour clore le débat ". Même s'il est réputé d'intégrité très forte, c'est aussi un proche de Mitterrand. » Mais là, surprise! Le garde des Sceaux soutient la ligne Rocard.
Badinter : Monsieur le Président, il me faut vous dire que je suis totalement d'accord avec Monsieur le ministre d'État chargé du Plan et de l’Aménagement du territoire. Le danger international qu'il vient de souligner est patent et dans bien plus de pays que les deux qu'il a cités.

Claude Cheysson, le ministre des Affaires étrangères, demande ensuite la parole et soutient, lui aussi, les nationalisations à 51 %. Au centre de la table, Mitterrand écoute, glacial. Totalement maître de ses nerfs. « Imaginez Chou en Laï », s'amuse Rocard. Visage immobile, impénétrable.

Puis vient le ministre de l'Intérieur : « Le vieux Defferre trouve que le chef est en danger. Il fait une intervention pour nous démolir tous, en se trompant, en mélangeant les chiffres. Il fait rire le Conseil des ministres par la médiocrité de l'intervention. » Fait rarissime dix-sept ministres s'expriment ce jour-là! Jean-Pierre Chevènement (Industrie) favorable aux 100 %, puis Jacques Delors, partisan du 51 %, finalement Laurent Fabius qui ne sort pas de son rôle de ministre du Budget, « Fabius, le payeur, parle environ quatorze secondes, se souvient, Michel Rocard, revanchard. Il dit simplement : "Si on nationalise a 100 % ça coûte tant. Si on nationalise à 51 %, nos évaluations montrent que ça coûtera tant." Et le chiffre est faux ! »

Fin de la première manche. Rocard affirme qu'il « gagne par les trois-quarts ». Un score qui surprend aujourd'hui Lionel Jospin quand nous l'interrogeons... mais il ne parvient pas à démontrer le contraire. Alors premier secrétaire du PS, successeur de François Mitterrand à Solferino, il ne siège pas au Conseil.

Le Président laisse un dernier silence pour s'assurer que tout le monde a pu s'exprimer et range ses dossiers.

Mitterrand : Messieurs, je vous remercie, c'est un débat tout à fait passionnant. De haute qualité. Il honore la délibération en France. Je vous tiendrai informés de ma décision la semaine prochaine.

Au final, François Mitterrand maintient les nationalisations complètes, mais ne l'annoncera jamais lui-même. Le mardi suivant, à la réunion interministérielle où il entend le Premier ministre considérer les 100 % comme acquis, Michel Rocard, décidemment intarissable lorsqu'il s'agit de vanter ses hauts faits, raconte s'en être étonné : « Pierre me regarde un peu durement : "La décision est prise.” Je pousse l'insolence : "Où, quand, comment, par qui ? Y a-t-il un écrit ? ” Mauroy: “La décision est prise, Micheeeel !” J'ai rangé mes dossiers et j'ai quitté la salle. Cet incident-là s'est vu un peu plus que le précédent. »

Bien entendu, ces affrontements entre socialistes n'échappent pas aux ministres communistes qui s'en amusent, lucides. « Mitterrand les laissait parler, sachant ce qu'il allait entendre, mais aussi ce qu'il avait déjà décidé », analyse Charles Fiterman.
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Invitée : Bérengère Bonte, journaliste et autrice de “Élisabeth Borne, la secrète” - éd. L'Archipel • Enquête sur une Première ministre secrète
Élisabeth Borne a déjà passé 347 jours à Matignon, c'est plus qu'Edith Cresson, le record est battu. Il n'empêche, la deuxième femme à occuper ce poste sous la Ve République reste une énigme, un mystère. Enquête de Bérengère Bonte.
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