Le maître et Marguerite, réécriture du mythe de Faust, est un roman dense, qui présente trois histoires imbriquées qui finissent par se rejoindre à la fin du roman et se déroule sur deux espaces-temps : celui de Moscou dans les années 30 et celui de la Judée en 33 après J-C.
Nous suivons dans un premier temps l'arrivée de Satan, le professeur Woland expert en magie noire, et de sa troupe composée de Béhémot, un gros chat, de Fahot/Koroviev, le bedonnant débonnaire, Azazello, le tireur d'élite, et Hella, la servante succube. Ceux-ci semblent bien décidés à exterminer l'élite littéraire de Moscou et leur syndicat, le MASSOLIT, ainsi que le milieu du spectacle, Woland et sa troupe décimant les membres du Théâtre des Variétés. Les malheureux qui croiseront leur route auront tous une fâcheuse tendance à finir à l'hôpital psychiatrique du Professeur
Kandinsky ou à atterrir entre les mains de la milice pour trafic de devises étrangères.
Le second récit est amené par le diable lui-même, suite à sa rencontre avec un membre du MASSOLIT, Berlioz, fervent athée qui fustige un poème de son ami, lui reprochant de donner l'impression que Jésus a réellement existé. Il s'agit du récit portant sur Ponce Pilate. On se retrouve propulsé dans l'empire romain, en Judée, au moment où Yeshoua Ha-Nozri est arrêté et présenté au procurateur. Contrairement à la partie consacrée à l'arrivée du diable, qui est joyeuse et burlesque, le segment traitant l'histoire de Ponce Pilate est réaliste et assez noir, montrant les remords et les regrets du procurateur obligé de mettre à mort un homme dont le discours et les idées le tentaient.
Enfin, bien plus tard, dans la seconde partie de l'oeuvre apparaîtra enfin Marguerite et son amant, le maître. On apprendra que le maître, écrivain, est interné volontaire à l'hôpital psychiatrique du fameux professeur
Kandinsky, rendu fou par les mauvaises critiques qui ont accompagné la sortie de sa grande oeuvre portant sur Ponce Pilate. Marguerite, elle, se morfond, à la recherche de son amant disparu. Elle conclura un pacte avec le diable, acceptant de devenir une sorcière et de l'accompagner au bal qu'il donne pour le Vendredi Saint afin de retrouver le maître et vivre enfin leur amour.
Derrière ces trois récits,
Mikhaïl Boulgakov dresse une satire acerbe et acide de l'union soviétique, de ses certitudes et de sa rationalité poussées jusqu'à l'absurde, de sa main-mise sur l'élite intellectuelle et de sa fâcheuse tendance à recourir à la milice, omniprésente tout au long du roman.
C'est un portrait de la société russe des années 30, en pleine dictature stalinienne, que l'auteur esquisse : les mystérieuses disparitions dues au diable font écho à celles bien plus réelles organisées par la police d'État ; de même, les péripéties qui entourent l'appartement du défunt Berlioz et dans lequel emménage le diable rappellent étrangement la pénurie de logement qui sévissait alors, tous les personnages manigançant pour s'emparer de cet appartement communautaire. L'épisode de l'épicerie qui ne vend que des denrées venues de l'étranger, accessible seulement aux personnes ayant des devises étrangères, est aussi une dénonciation : les apparatchiks ont accès à des magasins débordant de denrées rares et introuvables tandis que les plus pauvres se contentent de faire la queue (bien souvent interminable) devant des épiceries quasiment vides.
De fait, Woland et ses compères ne sont pas des forces maléfiques qui veulent répandre le mal à travers le monde : ils représentent ici l'opposition au régime en place. le Diable lutte contre une société conformiste et rationnelle à l'excès, il agit, en quelque sorte, en redresseur de tort : il punit, parfois assez cruellement, les cupides, les incroyants ou les faux artistes. Seuls
le maître et Marguerite sont récompensés : il fera sortir le maître de son asile car il est un vrai écrivain, et permettra à Marguerite de rejoindre son amant, la récompensant pour sa grandeur d'âme et son esprit de sacrifice.
Le maître et Marguerite est un roman qui a plusieurs niveaux de lecture : critique de la société russe, plaidoyer pour la liberté artistique et individuelle, tout autant qu'une réflexion sur la religion et la rédemption, portée par le personnage de Ponce Pilate qui attend le pardon depuis deux mille ans, mais aussi une réflexion sur le bien et le mal, Woland étant un diable bien ambigu : il fait ce qu'il veut, le fait cruellement mais non sans humour, mais il occupe aussi un rôle de messager et de témoin : il a assisté au supplice de Ha-Nozri et rappelle bien volontiers aux athées l'existence de Dieu. Un indéterminisme moral cause de confusion et de folie pour ceux qui l'approchent et ont besoin d'une structure morale ferme et prédéfinie. [...]
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